Tata Nano: une révolution technologique à 2.500 dollars

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Par Dmitri Kossyrev, RIA Novosti
Par Dmitri Kossyrev, RIA Novosti

Les rédacteurs des divers médias du monde entier ont dans l'ensemble préféré présenter l'apparition en Inde d'une voiture à 2.500 dollars à peu près de la même manière qu'une information selon laquelle un fakir aurait pressé dix cobras contre son sein et serait parvenu à y survivre. Cette nouvelle mérite pourtant de figurer parmi les évaluations des risques et des atouts pour l'économie mondiale en 2008 et au-delà. Cette voiture est moins l'exemple d'une révolution technologique que de celle qui se produit dans la psychologie des consommateurs. Or, les révolutions ont cela de particulier qu'elles sont imprévisibles.

Commençons par la description de la voiture dont il est question. Elle sera probablement baptisée Nano. D'une cylindrée de 624 cm3, elle peut accueillir deux personnes, ainsi qu'une troisième ou différents objets sur un petit siège arrière. La nouvelle voiture incarne deux idées intéressantes du XXIe siècle, entre autres, la propreté des gaz d'échappement. Elle a été présentée au public, lors du 9e Salon automobile de New Delhi, par Ratan Tata, patron de l'immense corporation du même nom, connue, entre autres, pour ses puissants camions, ainsi que par l'Indica, une petite cylindrée vendue à environ 5.000 dollars apparue en 1998 sur les routes de l'Inde.

L'Inde qui compte plus d'un milliard d'habitants possède une classe moyenne qui représente, selon les Indiens eux-mêmes, 200 à 300 millions de personnes. Selon les critères classiques de l'Europe ou de l'Amérique (le revenu par habitant), ces 200 à 300 millions de personnes ne peuvent être considérées comme une classe moyenne. Ainsi, il est peu probable qu'elles soient capables d'acheter même une voiture à 10.000 dollars. Cependant, de petites cylindrées importées qui ne trouvent pas preneurs dans les pays prospères circulent depuis longtemps dans les rues des villes indiennes. A présent, quelques dizaines de millions d'habitants du pays ont une chance de pouvoir eux-aussi être "motorisés". On peut prédire que d'ici 10 ans ces heureux détenteurs de nouvelles voitures à 2.500 dollars auront à leur disposition une chose inouïe en Inde: un réseau développé de routes automobiles où seraient respectées les règles de la circulation.

Autrement dit, la classe moyenne indienne se développe d'une façon différente de ce qu'on a pu observer dans d'autres pays. Elle peut se permettre d'être "moyenne" tout en dépensant moins. Les conséquences de ce phénomène sont encore difficiles à prévoir, et il est d'autant plus difficile de prévoir le nombre de pays qui présenteront à leur tour au monde leurs propres modèles de développement.

Ceux qui s'intéressent au tableau politique du monde constatent que les modèles de démocratie importée ne fonctionnent pas en dehors des sociétés américano-européennes. La raison en est l'existence d'autres cultures avec leurs propres échelles de valeurs et leurs propres principes concernant les rapports entre les gens. Il en est de même des schémas de développement économique des sociétés, parce que l'économie repose avant tout sur la psychologie des gens: l'homme reçoit ce à quoi il aspire.

Selon le magazine de Hong Kong Asiaweek, qui ne paraît plus, les compagnies occidentales ont, dans les années 1980, à peu près 7 à 8 ans après le début des réformes chinoises, effectué un sondage en Chine pour savoir quels produits commençait à acheter en premier lieu un Chinois qui s'enrichit. Il s'est avéré que c'étaient les réfrigérateurs, les machines à laver, puis les téléviseurs qui faisaient l'objet de la plus forte demande.

Selon le même magazine, un sondage semblable a été réalisé au milieu des années 90 en Russie où les réformes libérales ont commencé dix ans plus tard qu'en Chine. A l'achat d'un téléviseur ou d'une voiture, les Russes ont préféré le voyage à l'étranger.

En fin de compte, les classes moyennes des deux pays ont reçu tout cela, ainsi que les machines à laver, mais l'essentiel est ailleurs. Il s'agit du caractère différent et imprévisible des modèles de développement présentés au monde par les nouveaux leaders. Mais revenons aux voitures. Personne ne s'attendait à ce que la Russie, pas encore vraiment riche, s'avère l'un des débouchés les plus importants au monde pour les voitures de luxe: pour le consommateur de ce pays, le problème semble se poser en ces termes: le meilleur ou rien. C'est un contraste frappant avec l'Inde où la simplicité et la pauvreté ne sont pas considérées comme honteuses, où conduire une voiture à 2.500 dollars est une chose courante et où les personnes les plus respectables voient un chic particulier dans le fait de porter une tunique dont ils ont eux-mêmes rapiécé les coudes.

On ne peut que deviner les conséquences purement politiques de tous ces changements. Selon l'avis récemment émis par un commentateur de Project Syndicate, l'une des agences qui distribuent aux médias du monde non pas des informations, mais de commentaires, "...l'histoire du succès de la Chine est, entre autres, le défi le plus sérieux jeté à la démocratie libérale depuis le fascisme des années 30. Non pas parce que la Chine représente une grande menace militaire... ce n'est que la fantaisie d'une poignée de paranoïaques ultranationalistes. Le modèle politique et économique chinois... remporte des victoires dans le royaume des idées, il se présente comme une alternative attrayante au capitalisme démocratique libéral. Et c'est une alternative réelle".

Le modèle chinois a prouvé son attrait, car les préférences, l'échelle de valeurs du consommateur et le système d'approvisionnement en produits convoités ont coïncidé. La Chine fournit un exemple à de nombreux pays dont l'heure de gloire n'a pas encore sonné.

Le modèle indien est certainement différent, mais il est lui aussi efficace. Le Brésil et la Russie ne ressemblent ni à la Chine, ni à l'Inde, ni l'un à l'autre. D'autres histoires du succès sont probablement encore possibles.

A certains moments décisifs de l'histoire de l'humanité, les états d'esprit du consommateur provoquent de véritables changements d'époques. Cela se produit soudainement. Souvenons-nous de la charnière des années 20 et 30. A ce moment-là, la première ligne aérienne existait déjà entre New York et Boston, alors que les habitants de la Grande-Bretagne, alors unique superpuissance savourant l'apogée de son autorité, ne comprenaient pas pourquoi fallait-il effectuer un vol aérien pour aller de Londres dans une colonie comme par exemple Singapour dans un trajet-éclair de 10 jours, si l'on pouvait le faire en 30 jours à bord d'un paquebot confortable avec orchestre et salons. Cela étant, la Grande-Bretagne avait commencé à élaborer un programme de construction de dirigeables dotés de tels salons, appelés à rendre le voyage supportable pour les passagers. En 1931, la catastrophe du premier vol d'un dirigeable de ce type dans les environs de Paris mit fin à ce programme. Après cet échec de révolution technologique, personne ne se risqua probablement à prédire que la Grande-Bretagne conservatrice, sortie victorieuse de la Seconde Guerre mondiale, perdrait son empire et que les Américains, technologiquement plus révolutionnaires, ouvriraient l'ère de leur superpuissance, une ère qui est en train de changer vers quelque chose d'inouï.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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