Xénophobie: la société russe en danger

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Par Maxime Krans, RIA Novosti
Par Maxime Krans, RIA Novosti

Les données d'un nouveau sondage international organisé par World Public Opinion, publiées ces derniers jours, ont confirmé une fois de plus que la société russe contemporaine souffrait d'une maladie qui progresse d'année en année: la xénophobie. Elle n'est pas entièrement touchée, évidemment, mais ce phénomène atteint néanmoins des proportions inquiétantes. Il suffit pour s'en convaincre de comparer les réponses données en Russie et dans les 15 autres Etats qui ont fait l'objet de cette étude.

Prenons quelques chiffres avancés par les sondeurs. Ainsi, 37% des Russes considèrent qu'il est "très important" que les gens d'origines ethniques et de nationalités différentes vivant dans le pays soient traités de la même façon. A titre de comparaison, cet indice atteint 94% au Mexique, 87% en Grande-Bretagne, 79% aux Etats-Unis, etc. Soyons clairs, l'indice russe est le plus bas de tous. Parallèlement, un peu moins d'un Russe sur huit, plus précisément 13% d'entre eux, se déclare certain que cela n'est "pas très important", ou "pas du tout important". Là encore, la Russie se démarque par l'indice le moins flatteur, dans ce cas, le plus élevé.

Pour un pays multinational et multiconfessionnel comme le nôtre, il s'agit d'un symptôme alarmant. Lors du dernier recensement, pas moins de 30 millions de Russes se sont déclarés comme étant d'une origine ethnique minoritaire. En d'autres termes, cela représente un Russe sur quatre ou un Russe sur cinq. Ajoutez à cela 10-15 millions d'immigrants, légaux ou illégaux, et vous comprendrez le genre "d'explosion" que pourrait provoquer une "surchauffe" dans les rapports interethniques.

Les mutations qui se sont produites ces dernières années dans la conscience sociale témoignent malheureusement du fait qu'un tel scénario est parfaitement possible. Selon les données du Centre Levada, en une décennie, le nombre de ceux qui se déclarent sensibles pour une raison ou une autre au tristement fameux slogan "la Russie aux Russes" est passé de 46 à 55%. Un tiers des sondés se dit certain que les Russes issus des minorités sont responsables de bien des maux de la Russie actuelle, et 42% estiment que ces minorités "ont trop de pouvoir". Dans le cadre d'un autre sondage, de la fondation "Opinion publique", 25% des interrogés ont avoué éprouver de l'agacement, voire de l'hostilité envers les représentants de certains peuples.

De tels sentiments sont exacerbés par de multiples groupuscules d'extrême-droite, agissant sur la presque totalité du territoire russe (plus de 300 groupes auraient déjà été recensés), ainsi que par certains politiques s'appuyant sur une rhétorique patriotique dans leur stratégie d'accession au pouvoir. Les graines de la haine qu'ils sèment donnent des fruits extrêmement violents: attaques de skinheads, passages à tabac sanglants et assassinats inqualifiables.

Comme le constate dans son rapport annuel le centre de défense des droits de l'homme "Sova", la violence à caractère xénophobe a encore progressé l'an dernier. 632 personnes en ont été victimes, parmi lesquelles 67 ont trouvé la mort. Quant au Centre moscovite pour les droits de l'homme, il fait état, sur un an, d'une hausse de près d'un tiers des manifestations de haine interethnique, de 20% du nombre de morts et de 50% du nombre de blessés. Qui plus est, ce ne sont pas seulement des représentants des minorités ou des étrangers qui en sont victimes, mais aussi des Russes. Il suffit de rappeler les tristes événements de Kondopoga ou en Ingouchie, qui a récemment connu une vague d'assassinats "ciblés".

Les défenseurs des droits de l'homme accusent les autorités de réagir passivement, pour ne pas dire plus, de relaxer trop souvent les provocateurs, et de mettre leurs excès sur le compte d'une violence "conventionnelle". Qui plus est, les autorités sont aussi accusées parfois de provoquer elles-mêmes des actions à tendance nationaliste, comme ce fut par exemple le cas au moment des campagnes anti-estoniennes et anti-géorgiennes de l'an dernier. Elles peuvent également autoriser des manifestations et meetings dont les slogans sont ouvertement racistes ou fascistes. La "Marche russe" a par exemple été autorisée l'an dernier dans les deux capitales, mais aussi dans une quinzaine d'autres villes du pays.

Cela dit, c'est tout de même principalement à Moscou que se concentrent les manifestations de xénophobie et les conflits interethniques. Rien que pour les trois mois d'hiver, le nombre de victimes y a atteint 24 morts et 62 blessés. Lors d'une rencontre en février avec les fonctionnaires de la capitale, les représentants des diasporas ont directement accusé l'administration moscovite d'être incapable d'arrêter la montée de la violence et déclaré que ses appels à la tolérance, tout comme ses actions concrètes en la matière, étaient loin d'être assez efficaces. L'un des participants à cette réunion a attiré l'attention sur le fait qu'au sein des communautés kirghize et tadjike, on commençait à envisager sérieusement de prendre des initiatives pour réagir face à ces phénomènes, si les assassinats de citoyens de ces deux pays ne cessaient pas. Ainsi, ce seraient quelque 20 millions de russophones de l'ex-URSS qui pourraient se retrouver pris en otages.

Une autre nouvelle tendance, quoique parfaitement prévisible, est apparue. Affrontements massifs entre skinheads et jeunes du Caucase sur la place Slavianskaïa en juin, raid avorté d'Arméniens, d'Azerbaïdjanais et de Daghestanais contre un club de la capitale où se réunissent des nationalistes, ainsi que d'autres incidents semblables ont montré que les représentants des différentes diasporas commençaient à s'unir contre la menace raciste. On imagine facilement à quoi pourrait mener une confrontation réelle entre de tels groupes organisés.

Comme l'estiment les experts, la Russie file droit dans le mur. Et derrière ce mur, il y a le chaos, les désordres civils et, probablement, du sang qui sera versé dans la rue. Il est impensable que les autorités puissent ne pas s'inquiéter outre mesure d'une telle perspective, cependant, il faut bien reconnaître qu'elles ont jusque-là entrepris bien peu d'actions concrètes en vue de normaliser la situation. Même le programme fédéral pour l'éducation à la tolérance a été interrompu, après trois ans d'activité sans aucun résultat concret.

...En son temps, Albert Einstein a qualifié le nationalisme de maladie infantile, de "rougeole de l'humanité". Peut-être avait-il raison: apparemment, il est le propre de tous les jeunes Etats formés à la suite de la chute d'un empire. Mais cette maladie ne deviendra-t-elle pas chronique si l'intolérance et l'hostilité présentes dans notre société ne sont pas soignées à temps?

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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