Constitution du Kosovo: des voiles sans amarres

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Par Andreï Fediachine, RIA Novosti
Par Andreï Fediachine, RIA Novosti

Les Catalans ont été les premiers mortels, en dehors du parlement de Pristina, à réagir vivement à la nouvelle Constitution du Kosovo. On pourrait même dire que l'événement les a "carrément excités" (l'expression est, certes, familière, mais convient parfaitement à la situation). Le 10 avril, c'est-à-dire au lendemain de l'adoption de la Loi fondamentale de la république indépendante - rappelons-le, illégale selon toutes les normes du droit international - ils en ont publié sur leur site 26 chapitres en anglais. Le titre écrit en gros caractères annonçait: "Nous sommes les suivants!" Et l'on dit encore, après cela, que l'indépendance du Kosovo ne crée aucun précédent, que c'est un cas particulier... Ce n'est pas par hasard que Madrid refuse de reconnaître le Kosovo. Pourtant, les Catalans ne sont pas ses "enfants les plus turbulents". Il y a encore les Basques...

Aussi bien le premier ministre du Kosovo Hashim Thaçi que le président Fatmir Sejdiu ont déclaré que la Constitution était extrêmement progressiste et qu'elle garantirait les droits de toutes les minorités nationales sans exception. Naturellement, les Serbes l'ont rejetée comme un nouvel "acte illégal" d'un Etat illégal. Et on le comprend aisément.

En lisant tous les 40 chapitres et 160 articles de la nouvelle Constitution kosovare, il est impossible de douter de son caractère progressiste. Le fait qu'elle n'ait pas été écrite par les Kosovars eux-mêmes n'est pas grave: en effet, peut-on trouver parmi eux des auteurs qualifiés pour rédiger un modèle de constitution occidentale? Il fallait certainement les y aider. Et l'on sait bien qui précisément l'a fait. On comprend donc pourquoi la Constitution contient des schémas juridiques anglo-saxons, bien qu'elle n'ait pas été écrite par des Britanniques. Sur ces questions, les Britanniques sont trop pointilleux et, d'ailleurs, pouvait-on confier la rédaction d'une Constitution à des professeurs issus d'un pays qui n'en a jamais eue? Les auteurs ne sont pas britanniques, ce sont de très respectables professeurs de droit américains, des juristes, et mêmes des juges, dont la compétence dans les hautes matières juridiques anglo-saxonnes n'est mise en doute par personne.

Mais il convient de mentionner aussi plusieurs bizarreries, pour ne pas dire plus. Et il y en a beaucoup. Tout d'abord, ceux qui croient que la Constitution du Kosovo a été rédigée sur la base du Plan Ahtisaari (qui n'a, au passage, pas été approuvé par le Conseil de sécurité de l'ONU) se trompent lourdement. La rédaction de la Constitution du Kosovo a commencé bien avant février 2007, lorsque l'ex-président finlandais avait soumis son plan à l'ONU. Son projet avait été commandé dès 2004 par l'organisation non gouvernementale américaine Public International Law and Policy Group, et rédigé très rapidement la même année par Bruce Hitchner, professeur de droit à l'Université de Tufts, aux Etats-Unis. Il a commenté ces jours-ci son rôle dans les journaux - manifestant une ambition toute américaine - afin qu'on sache qu'il était le premier. En 2007, le projet a été "perfectionné" par Christie Warren, professeur de droit au William and Mary College (Virginie), Louis Aucoin, professeur à l'Université de Tufts, et le juge fédéral du Minnesota John Tunheim.

Les deux premiers avaient rédigé la Constitution du Cambodge en 1993. S'il est difficile de juger des particularités de la Constitution cambodgienne, il faut relever qu'ils ont abordé celle du Kosovo en courageux expérimentateurs. Elle proclame des idées juridiques si progressistes qu'on a même l'impression qu'elle a été écrite non pas pour le Kosovo, mais pour un Etat idéal, presque utopique, pour un pays d'un niveau très élevé qui n'a pas encore été atteint même par les Pays-Bas ou le Danemark, considérés comme super-démocratiques. Les juristes britanniques soulignent que l'article 26 qui garantit le "droit à la vie" régit le "droit à la vie après la naissance" et accorde à chaque Kosovar le "droit de contrôler lui-même sa vie ou son corps, conformément à la loi". Il s'agit presque d'une reconnaissance du droit à l'avortement. Un autre article autorise, en fait, les "mariages non traditionnels" et protège les droits des "minorités sexuelles". Tout cela pour un pays musulman.

Bref, les bévues ne manquent pas. La Constitution proclame tant de libertés qu'elle s'inscrit parfaitement dans la définition donnée il y a 150 ans par Thomas Macaulay, écrivain, philosophe et homme politique britannique, de la Constitution américaine: "Votre Constitution n'a que des voiles, et aucune ancre". Pour le Kosovo où il y a encore trop de fumée et d'étincelles, cela est extrêmement hardi.

Mais l'essentiel n'est même pas là. En fin de compte, les constitutions ne sont pas écrites pour être respectées: s'il en était ainsi, tous les gouvernements sans exception devraient commencer par s'emprisonner eux-mêmes, voire avec la totalité de leur peuple.

Il s'agit d'autre chose. Une Constitution aussi parfaite est nécessaire aussi bien pour stimuler le processus de reconnaissance du Kosovo que pour assurer l'enregistrement international du nouvel Etat. Peter Feith, représentant de l'Union européenne au Kosovo, ne cache pas que l'UE espère recevoir, avant son entrée en vigueur le 15 juin, le mandat d'administration du Kosovo qui n'appartient, pour l'instant, qu'à la mission de l'ONU au Kosovo.

Il est difficile de se représenter comment cela pourra être fait. En effet, personne n'a annulé la résolution 1244 du Conseil de sécurité de l'ONU sur le Kosovo. Pristina est actuellement reconnu par 36 Etats. Washington et Bruxelles ont déjà compris qu'il était impossible d'atteindre l'objectif qu'ils s'étaient fixés d'attirer du côté du Kosovo la moitié des 192 membres de l'ONU avant septembre, où s'ouvrira une nouvelle session de l'Assemblée générale. L'accent est maintenant placé sur la "qualité". L'UE affirme que la reconnaissance du Kosovo par le seul G7 (le G8 moins la Russie) est une avancée colossale, car le Kosovo est à présent reconnu par un ensemble de pays qui produisent 65% du PIB mondial.

Bien entendu, un PIB est un PIB. Mais quand on commence à corriger le droit international au moyen du PIB, cela semble pour le moins étrange...

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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