La Russie menacée par la "peste brune"?

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Par Maxime Krans, RIA Novosti
Par Maxime Krans, RIA Novosti

Trois semaines avant la Fête de la Victoire sur le fascisme, les "nazis" russes s'apprêtent comme tous les ans à célébrer une fête déjà devenue pour eux traditionnelle, à savoir l'anniversaire de la naissance d'Adolf Hitler, le 20 avril 1889. L'année dernière, la mémoire du Führer allemand avait été honorée de façon quasi officielle: les autorités moscovites avaient permis l'organisation d'une manifestation en son honneur.

L'apparition dans les rues de plusieurs villes russes, à la fin des années 1980, de gaillards au crâne rasé, avec sur les manches des croix gammées, même légèrement modifiées, a profondément choqué nombre de personnes. Conformément à la logique de l'histoire, des traditions, de l'éducation russes ou encore compte tenu de la mémoire populaire, une telle chose devrait être impossible en Russie: le fascisme ne peut en aucune façon s'enraciner dans une terre aussi imprégnée par le sang au cours de la Grande guerre patriotique de 1941-1945, dans un pays qui rassemble plus de cent ethnies et peuples différents.

Mais si, il s'avère que c'est possible. Les "blés bruns" poussent: à l'heure actuelle, la Russie compte, selon certaines estimations, plus de trois cents groupements radicaux d'extrême droite. Les bandes de "crânes rasés" comptent dans leurs rangs entre 60.000 et 70.000 membres. Ceux-ci deviennent de plus en plus agressifs et cruels, le nombre de leurs victimes (tuées, blessées, mutilées) s'accroît d'année en année.

Ainsi, selon le monitorage effectué par le Bureau moscovite pour les droits de l'homme, 86 agressions xénophobes ont été enregistrées rien qu'au premier trimestre de l'année en cours. 49 personnes ont été tuées et plus de 80 blessées. L'année dernière, selon le centre de défense des droits de l'homme SOVA, plus de 630 citoyens russes et étrangers ont été victimes de la xénophobie. Comme auparavant, ces incidents surviennent surtout à Moscou et à Saint-Pétersbourg, où les skinheads ont engagé une véritable guerre contre les étrangers.

Voici une chronique récente qui ne fait pas encore partie des statistiques générales. Deux Caucasiens ont été passés à tabac dans une station de métro moscovite, et encore deux immigrés dans une autre station. Un groupe de nazis aux crânes rasés a agressé à Moscou des ressortissants ingouches et tué l'un d'entre eux. Une bande similaire a roué de coups dans la rue trois adolescents azerbaïdjanais. A Dzerjinsk, des skinheads ont mutilé deux Ouzbeks, et des travailleurs immigrés tadjiks ont été agressés dans la région de Moscou et dans un village près de Saint-Pétersbourg. Deux autres agressions contre des étrangers (à savoir des étudiantes mongoles et un Africain) ont eu lieu dans la capitale du Nord...

Tout ceci se déroule sur fond de persécutions anti-caucasiennes dans les marchés et d'une véritable lutte contre les immigrés, de manifestations racistes de la part des parlementaires et sénateurs radicaux, de parution et de libre diffusion de journaux à tendance nationaliste et d'une littérature ouvertement fasciste. Tout récemment, j'ai vu toute une collection de livres "bruns" de bas étage à Loubianka, à deux pas du quartier général du Service fédéral de sécurité (FSB).

Les défenseurs des droits de l'homme sonnent l'alarme, ils ont déjà appelé les dirigeants de la police à tout faire pour empêcher les violences. Les leaders des diasporas sont eux aussi angoissés, et certains sites d'immigrés ont menacé d'opposer une résistance musclée aux instigateurs de ce genre d'actes de violence. Les recteurs de nombreuses universités ont demandé à leurs étudiants étrangers de ne pas quitter leurs foyers pendant quelques jours et que la protection de ces bâtiments soit renforcée.

J'ignore comment les forces de l'ordre se proposent de réagir aux manifestations que prépare la nouvelle "Hitlerjugend" russe. Mais j'ai l'impression que les autorités ne se rendent pas encore parfaitement compte à quel point ce problème est sérieux. Sinon, comment expliquer le fait que l'année dernière, une manifestation "hitlérienne" et la "Marche russe" sous des slogans racistes aient été autorisées? A la veille du rassemblement prévu par les nazis, le chef de la police moscovite Vladimir Pronine a affirmé qu'aucun mouvement organisé de skinheads n'avait jamais existé à Moscou, et que les nombreux "raids" racistes contre les étrangers n'étaient rien de plus que des "flambées ponctuelles" d'extrémisme. A propos, au mépris des faits, le général s'obstine à défendre ce point de vue depuis des années.

La société en général semble sous-estimer la menace "brune". Selon une récente étude réalisée par le Centre d'analyse Iouri Levada, seulement 5% des Russes considèrent l'extrémisme politique comme une menace intérieure considérable pour la Russie. Tandis que, d'après la fondation Obchtchestvennoïé mnienié ("Opinion publique"), 15% des jeunes Russes sont aujourd'hui convaincus que le fascisme en tant que système de pensée possède plusieurs traits positifs. Un tiers des étudiants d'une université moscovite ont déclaré qu'en cas de victoire de l'Allemagne hitlérienne sur l'Union soviétique, rien d'effrayant ne se serait passé, et une personne sur dix a affirmé que dans un cas pareil, la Russie "aurait mieux vécu". Voilà une mutation préoccupante dans l'imaginaire collectif.

Certes, les actions de la clandestinité nazie sont souvent isolées, les bandes de jeunes sont en conflit les unes avec les autres et ne sont apparemment pas très nombreuses. Mais il serait tout à fait risqué de se rassurer en pensant que ces groupes sont encore trop faibles pour jouer un rôle un tant soit peu significatif sur la scène politique. Rappelons-nous l'histoire. En 1923, la police de Munich et la Reichswehr avaient facilement muselé le "putsch de la brasserie" organisé par un groupe de militants du parti nazi. Mais seulement trois ans après, le NSDAP comptait déjà 17.000 militants, et au début de 1932, un an avant l'arrivée au pouvoir d'Hitler, il avait atteint 800.000 membres...

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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