Première bougie sans flamme pour la France de Sarkozy

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Par Andreï Fediachine, RIA Novosti
Par Andreï Fediachine, RIA Novosti

"On ne naît pas roi. On le devient par une hallucination collective". Cet aphorisme de l'Irlandais George Bernard Shaw (Maxims for Revolutionists, 1903) n'a pas été écrit pour lui, mais il semble pourtant aller comme un gant au président français Nicolas Sarkozy. Il y a presque un an, la France était emportée dans la "magie de Sarkozy", qu'elle venait de choisir comme président. C'était le 6 mai 2007. Mais le phénomène s'est littéralement évaporé dès cet hiver. A l'approche de son premier anniversaire à la tête de l'Etat français, Sarkozy a reconnu avoir fait des erreurs, et en porter la responsabilité, mais a appelé les Français à travailler plus, afin que tout s'arrange. "Depuis 20-25 ans, la France était endormie", a-t-il expliqué jeudi lors d'une longue interview télévisée, ajoutant même que "le problème de la France, c'est qu'on ne travaille pas assez". Le sixième président de la Ve république insiste pour que son action soit jugée au terme de ses 5 ans de mandat, c'est-à-dire en 2012.

Cette longue interview, que certains journaux se sont plu à commenter comme le premier "Sarko-show" depuis janvier, avait pour but de rétablir la réputation personnelle et la confiance en chute libre des Français en celui qu'ils avaient élu avec près de 57% des voix au second tour de la présidentielle de 2007. Il ne reste aujourd'hui presque plus rien de cette époque. Selon les derniers sondages d'opinion, seulement 28% des Français estiment que le président et la présidence "vont plutôt dans le bon sens". 79% ne voient absolument aucune amélioration dans leur vie et celle du pays, et 64% se déclarent déçus par Sarkozy lui-même.

Dans toute l'histoire de la Ve république, jamais président n'était tombé si bas dans l'opinion des Français un an après son élection. On comprend donc pourquoi "Sarko" ne souhaite pas être jugé chaque année sur sa réussite.

Le fait est qu'il a lui-même érigé avec beaucoup d'obstination cette montagne d'opinions négatives, du haut de laquelle on peine même à apercevoir les sommets de celles de ses prédécesseurs. Sur les différents étages de cette pyramide, on trouve un amour du luxe non-dissimulé, un divorce très people, suivi d'une aventure puis d'un mariage avec l'ex-mannequin devenue chanteuse Carla Bruni, une liste fournie de promesses préélectorales non-tenues, à moitié tenues ou tombées dans l'oubli, une série de déclarations qui ont fait scandale, et enfin une effervescence palpable au sein du gouvernement.

Si l'on construisait un yacht avec les promesses de Sarkozy et qu'on le chargeait de tout ce qu'il n'a pas fait, il coulerait au fond en quelques secondes. Même la réduction draconienne du train de vie de l'Etat s'est avérée être un simple coup de bluff. Les dépenses se sont réduites de seulement 0,1% du PIB. Tout cela dans un contexte où l'Etat français augmente sa dette publique de 2,7% du PIB chaque année, pour "rester à flots". Il en est ainsi de presque toutes les promesses sarkoziennes, elles avaient l'air absolument fermes avant les élections, mais sont devenues aujourd'hui "accessoires".

De plus, la France de Sarkozy est une France qui a déjà du mal à comprendre ce que le président attend d'elle, ce qu'il fait avec elle et ce qu'elle peut attendre de lui. Presque chaque semaine, les ministres ou Sarkozy lui-même annoncent de nouveaux schémas de réduction des dépenses publiques et des prestations sociales, avant d'y renoncer le lendemain. Qui plus est, on ne prend pas la peine d'expliquer aux Français les raisons de ces prises de décisions. Dans son dernier "show", Sarkozy a, il est vrai, promis de le faire régulièrement à partir de maintenant.

Le président se définit en outre comme un accroc du travail (il a il est vrai une étonnante capacité à travailler beaucoup), et ne cache pas son intention d'être pour les Français cet exemple de sérieux dont la douce France a tant besoin pour se rétablir. C'est tout à son honneur, mais il est apparemment trop tard pour cela. Qui plus est, on sait depuis longtemps que tous les accrocs du travail qui essaient d'inculquer à la population leurs habitudes "maladives" tournent mal dans la plupart des cas. Les gens n'aiment pas ce genre d'idées. Il est difficile de comprendre pourquoi Sarkozy a estimé qu'on ferait pour lui une exception. D'autant plus pour une nation dont les représentants sont reconnus en Europe (occidentale évidemment) comme les "champions de l'oisiveté". Selon les données d'un sondage Harris Interactive, les Français ont chaque année en moyenne 37 jours de congés payés. Là où les Allemands n'en comptent que 27, les Britanniques 26, et les Américains seulement 14. Outre le fromage, le vin et les parfums, on conserve encore dans l'image de la France, même si cela semble être moins d'actualité, le tableau idyllique d'une petite place urbaine ou campagnarde, où ces messieurs jouent tranquillement aux boules. Jacques Barrot, ministre du travail dans le gouvernement Juppé, y a même été de sa petite phrase, traitant les Français de "société de pétanqueurs".

Ce n'est pas que les Français soient si paresseux, mais il semble que celui qui s'est donné pour objectif de "leur apprendre à bien travailler" ne soit pas à leur goût. Le prochain pas de Sarkozy devrait être l'introduction d'une loi, disons-le, pas si mauvaise, visant à sortir nombre de ces "pétanqueurs" de leur situation de "parasites" vivant sur leurs allocations chômage. Le gouvernement prépare une loi visant à priver les chômeurs de leurs allocations s'ils refusent à deux reprises un travail proposé par les services compétents. Apparemment, une lutte intense avec les syndicats attend le président français. Pourquoi cela devrait-il pousser les Français à travailler si la loi déjà adoptée sur l'exonération des heures supplémentaires ne l'a pas fait? Cela n'a pas fonctionné. Et ce, malgré le fait que les Français soient parmi les plus "avides" en Europe et ne demandent pas mieux que de recevoir plus.

Mais pour l'instant, ils se préparent aux congés du mois de mai, ensuite ce sera le tour des vacances d'été. Et ensuite... ensuite Sarkozy n'aura pas moins de soucis: la France rentrera de vacances.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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