Cyberespace: une guerre dans une maison de verre

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Par Ilia Kramnik, RIA Novosti.
Par Ilia Kramnik, RIA Novosti.

Le cyberespace, qui n'était tout récemment encore qu'un jouet amusant et un sujet de méditation pour les auteurs de romans de science-fiction, s'infiltre de plus en plus dans notre vie quotidienne.

La gestion de la documentation s'effectue de plus en plus souvent en format électronique, de même que les relations d'affaires et l'échange d'informations dans tous les domaines, ce qui a entraîné la nécessité de songer à des garanties de sécurité dans le cyberespace.

En 2007, l'armée de l'air américaine a créé un commandement spécial pour gérer les opérations dans le cyberespace. Au printemps 2008, les pays européens membres de l'OTAN se sont préoccupés des problèmes de cyberguerres, en décidant de construire un centre approprié en Estonie. En mai dernier, un accord ad hoc a été signé à Tallinn.

Cette nouvelle extension du domaine de la guerre n'est pas une surprise. Il s'agit de la poursuite d'un processus entamé il y a des milliers d'années. Après s'être installé sur la terre, l'homme s'est empressé de maîtriser la navigation, afin d'adapter la surface maritime à ses besoins militaires. Quelques milliers d'années plus tard, ce fut au tour du ciel de devenir la nouvelle arène de la guerre. Après les ballons captifs, les militaires ont maîtrisé les dirigeables et aéroplanes, et ce, avant que ces inventions utiles ne soient utilisées à des fins pacifiques.

Le progrès ne cesse alors de s'accélérer. Il a fallu des milliers d'années pour passer des premières barques formées d'un tronc d'arbre creusé à l'avion des frères Wright. L'étape suivante, à savoir le passage du premier avion au premier satellite, a pris 54 ans. Tout comme auparavant, l'espace nouvellement maîtrisé est alors immédiatement adapté aux besoins de la guerre: les appareils spatiaux à usage militaire deviennent, dans les années 1960, une partie intégrante de la machine militaire des pays les plus développés.

Tout récemment, à la fin du XXe siècle, l'homme a commencé à s'habituer au cybermonde qu'il avait lui-même inventé. On ne peut pas parler ici d'une adaptation de ce monde aux objectifs militaires, car c'est justement dans cet objectif qu'il a été créé. On ne peut parler que d'extension de ces objectifs. Si, il y a 20-25 ans, il n'était question que d'un échange rapide d'informations, aujourd'hui, il est difficile de trouver une définition exprimant de façon précise le sens et les capacités du cyberespace. Il s'agit véritablement d'un nouveau monde qui contient un nombre indéfini et constamment croissant d'objets revêtant une importance critique pour le fonctionnement de la société contemporaine.

Dans ces conditions, la création en Estonie d'un cybercentre destiné à protéger les réseaux de ce pays contre les attaques des hackers semble être une mesure de l'OTAN tout à fait logique. En effet, la sécurité de l'information de n'importe quel pays membre correspond à la sécurité de l'ensemble du bloc, et l'arrêt du fonctionnement de tel ou tel noeud important aura inévitablement un impact sur la capacité de défense de l'Alliance en général.

S'il est question de défense, il est aussi question d'offensive. Les attaques contre les ouvrages stratégiques d'informations sont depuis longtemps considérées par les militaires comme faisant partie intégrante de la guerre. La possibilité de saper l'économie de l'ennemi, en "cassant" ses serveurs boursiers et les réseaux des plus grandes banques, ainsi qu'en perturbant son réseau de transports, en paralysant les systèmes informatiques de gestion des transports aériens et ferroviaires, mais aussi en surchargeant les sites des agences de presse et d'éditions en ligne afin de les faire exploser, est le gage d'une victoire rapide. Il est impossible de se protéger contre ces attaques en utilisant une méthode de simplification (c'est-à-dire, en renonçant à l'utilisation d'Internet dans les domaines stratégiques). Un tel renoncement ferait reculer l'économie de plusieurs décennies en arrière et représenterait une défaite.

Il en est de même avec les systèmes militaires. Il est impossible de s'imaginer l'armée contemporaine sans un colossal échange d'informations via des réseaux informatiques. Ces réseaux-là sont eux aussi vulnérables.

D'où la seule conclusion possible: la victoire dans une cyberguerre peut être obtenue en déployant des activités énergiques dans ce domaine. Qui plus est, pour y parvenir, rien ne nous oblige à engager de nombreuses équipes de pirates informatiques qualifiés, il suffit parfois tout simplement de renverser l'échiquier avec sa main, en faisant tomber les pièces.

Dans les cyberguerres, le rôle de cette "main" est joué par le rayonnement électromagnétique (REM), capable de perturber le fonctionnement de la majorité écrasante des appareils radioélectroniques. Ce sont les armes nucléaires qui donnent l'impulsion électromagnétique la plus puissante. Son utilisation en vue de neutraliser les systèmes de télécommunications est envisagée par les militaires des pays développés depuis les années 1960 déjà. Il existe encore cependant des moyens moins radicaux, à savoir des générateurs magnéto-cumulatifs, utilisés dans des bombes électromagnétiques et des obus d'artillerie. De telles munitions sont capables de perturber le fonctionnement d'équipements électroniques dans un rayon de quelques centaines de mètres.

Nombreux sont ceux qui considèrent qu'une cyberguerre est plus humaine qu'une guerre conventionnelle. En fin de compte, le "cassage" des réseaux informatiques ne tue personne, et un obus avec générateurs magnéto-cumulatifs n'est capable de tuer un être humain que lorsqu'il le blesse directement, ce qui est peu probable. Cependant, cette impression est fausse. La paralysie de l'économie et des transports d'un grand Etat entraînera, indirectement, presque autant de victimes qu'un conflit militaire, et une éventuelle contre-attaque avec l'utilisation de moyens de destruction conventionnels, allant jusqu'aux armes nucléaires, pourrait faire de très nombreuses victimes dans l'ensemble de l'humanité.

Le monde devient de plus en plus interdépendant et vulnérable. Qui habite dans une maison de verre ne doit pas casser les fenêtres d'autrui.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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