Dimitri Simes: "La force militaire ne doit pas être un instrument de la politique mondiale"

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Interview à RIA Novosti du président du Nixon Center (Etats-Unis)
Interview à RIA Novosti du président du Nixon Center (Etats-Unis)

Q. - Monsieur Simes, quel est le rapport actuel des forces dans la course à la présidence américaine? John McCain n'est-il pas resté dans l'ombre en tant qu'unique leader du parti républicain pendant que les Etats-Unis suivaient le duel Clinton-Obama?

R. - Bien au contraire, John McCain a profité de la flagellation réciproque à laquelle se sont livrés les démocrates. Il a voyagé à travers le pays et prononcé des discours, comme s'il était déjà candidat officiel au poste de président. Il est vrai, cette année, l'enthousiasme pour les républicains est limité en Amérique, entre autres, chez les donateurs potentiels. C'est pourquoi les ressources financières de John McCain sont bien inférieures à celles de ses rivaux. S'il avait eu à lutter contre un autre candidat républicain, à l'instar du duel qui a eu lieu entre Hillary Clinton et Barack Obama, John McCain aurait eu bien du mal. Disposant de ressources financières modestes, il a néanmoins pu exposer ses positions sur les principaux problèmes économiques et de sécurité nationale, alors que les deux démocrates se sont tirés l'un sur l'autre à boulets rouges. Bref, sa situation était loin d'être désavantageuse.

Q. - On estime que les Américains "moyens" sont très éloignés de la politique étrangère de leur Etat et qu'ils s'intéressent plutôt aux problèmes locaux. Est-ce vrai?

R. - Dans une certaine mesure, oui. En tout cas, au cours de cette campagne électorale, parmi tous les problèmes internationaux, seul l'Irak fait l'objet de débats. C'est compréhensible: il influe directement sur la situation intérieure. Au moins 500 milliards de dollars ont été dépensés dans cette guerre. Selon les estimations de certaines personnes très respectables, par exemple, le Prix Nobel d'économie Joseph E. Stiglitz, il serait question d'environ trois mille milliards de dollars. Près de 4.000 soldats américains ont été tués: ce chiffre est très important pour les Américains. Parmi les autres problèmes, on cite la liberté du commerce international qui a, semble-t-il, pour conséquence de voir débarquer aux Etats-Unis des articles chinois bon marché et des produits alimentaires chinois avariés, ce dont pâtissent les consommateurs, notamment les ouvriers américains. Ce sujet a également une composante intérieure très forte. En ce qui concerne les thèmes qui ne concernent pas la vie quotidienne des Américains, leur présence dans la campagne électorale est minime.

Q. - Vous savez probablement quels sont, parmi les hommes politiques américains renommés, ceux qui influent sur les positions des candidats et les conseillent?

R. - Le groupe de conseillers de John McCain est constitué de réalistes qui s'en tiennent à des points de vue pragmatiques en matière de politique étrangère, comme Henry Kissinger et Robert McFarlane. Ces réalistes ont soutenu John McCain, mais leur influence sur ses positions est restreinte. Les néoconservateurs exercent une influence plus forte sur le candidat républicain, c'est pourquoi il a évolué dans leur sens. Cela concerne non seulement la Russie, mais aussi la Chine, et l'idée de la démocratie, dont le triomphe justifie l'emploi des forces armées par les Etats-Unis. Cela concerne les menaces adressées à l'Iran. Cette approche de la politique étrangère est caractéristique des néoconservateurs. A la différence de John McCain, les points de vue de Barack Obama sont plus pragmatiques. Il est plus enclin au dialogue international. Il estime qu'il peut discuter avec tous les Etats. Ses adversaires reprochent à Barack Obama de risquer de trahir les intérêts américains en faisant des concessions. Mais il ne craint pas ces propos. Le candidat démocrate estime qu'il est inadmissible, dans les relations internationales, de dire à l'autre partie "nous sommes bons et vous êtes mauvais", ou au contraire: "nous aimons votre peuple, et nous allons définir des intérêts nationaux pour votre pays". La majeure partie de ses conseillers s'en tiennent à cette position dans les affaires internationales. Même Michael McFall, spécialiste de la Russie, qui critique assez sévèrement la politique intérieure russe et est un ardent partisan de la promotion de la démocratie en tant qu'objectif principal de la politique étrangère américaine, a modéré son radicalisme depuis qu'il a rejoint l'équipe de Barack Obama. Il conteste par exemple les déclarations de John McCain, selon lesquelles il faut exclure la Russie du G8.

Q. - Prenant récemment la parole à Washington, Robert McFarlane, homme proche du candidat républicain, a tenu à rassurer en affirmant que, si John McCain faisait entrer ses "faucons" à l'administration de la Maison Blanche et qu'ils se querellaient avec la Russie, il les limogerait tous un an plus tard. Est-ce conforme à la réalité?

R. - Si John McCain devient président, et se frotte au monde réel de telle façon que l'Amérique se fait remettre à sa place, il ne s'obstinera pas et invitera d'autres personnes, plus pragmatiques, à rejoindre les cabinets du pouvoir. A propos, McFarlane n'est pas le seul à le prédire. Mais aujourd'hui John McCain apparaît plutôt comme un néoconservateur, c'est un fait.

Q. - Certains, en Russie comme en Europe, estiment que si les Américains élisent Barack Obama, l'entente sera plus simple entre les deux jeunes présidents russe et américain, dépourvus de stéréotypes. Qu'en pensez-vous?

R. - Premièrement, à ce que je sache, Dmitri Medvedev est lié par des engagements et par certaines circonstances. Je ne pense pas qu'il fasse des concessions considérables au cours des premières années de sa présidence. Partant de l'idée qui a actuellement cours en Amérique et en Europe, Dmitri Medvedev doit faire ses preuves, et non pas face à la Russie, mais face à l'Occident. En ce qui concerne Barack Obama, il faut garder en tête que le président américain détient un grand pouvoir. En Amérique, il n'y a pas de partage des pouvoirs entre le chef de l'Etat et le chef du gouvernement, c'est une seule et même personne, c'est pourquoi il aura une vaste marge de manoeuvre. Qui plus est, s'il est élu, il bénéficiera de la confiance du Congrès où les démocrates sont actuellement majoritaires. Cependant, Barack Obama n'aura pas pour autant la vie facile. Il devra débuter sa présidence par des contacts avec le Congrès, dont la majeure partie soutient l'élargissement de l'OTAN, entre autres, l'adhésion de la Géorgie. Je ne pense pas que c'est ce par quoi il aurait voulu commencer. La façon dont il pourra sortir de cette situation est même plus problématique que la question de savoir qui remportera l'élection présidentielle aux Etats-Unis.

Sur ce point, l'Union européenne n'est pas en reste. La nouvelle Europe non plus ne parle pas d'une seule voix. Je pense avant tout aux nouveaux membres. Ce sont eux qu'on entend aujourd'hui le plus, et ils voudraient conférer à l'OTAN et l'Union européenne un caractère davantage antirusse.

La Géorgie n'a pas encore été admise dans l'OTAN, mais puisque l'adhésion lui a été promise, il faut la soutenir, sans s'attarder sur les détails des complications existant entre Moscou et Tbilissi. Nous sommes en face d'une grande Russie mauvaise (ce n'est pas ma position, mais celle de nombreux membres de l'OTAN) et d'une petite Géorgie démocratique. Le devoir de l'OTAN est de soutenir la Géorgie sans s'interroger sur l'essence du conflit. C'est pourquoi, à mon avis, il ne faut pas compter sur des changements rapides. Personne à Washington n'a l'intention de livrer une guerre à la Russie à cause de Tskhinvali et de Soukhoumi. Je l'ai clairement expliqué au président Mikhaïl Saakachvili au cours d'une manifestation au Nixon Center, et il s'est un peu vexé. Mais j'ai dit la vérité: il y a en Amérique des forces prêtes non seulement à soutenir, mais aussi à encourager Mikhaïl Saakachvili. Mais ces forces ne sont pas prêtes à utiliser la puissance militaire de l'Amérique en vue de régler les problèmes qu'a la Géorgie avec ses républiques non reconnues.

Q. - Mais, dans ce cas, comme nous le comprenons tous, la Russie ne restera pas non plus à l'écart, et le conflit latent entre la Géorgie et l'Ossétie du Sud ou l'Abkhazie pourrait se transformer en une grave confrontation entre grandes puissances. Que pensez-vous du danger que représenterait une telle évolution des événements?

R. - Je ne m'attends pas à une troisième guerre mondiale, ni à une nouvelle guerre en Europe, pas plus qu'à une guerre dans le Caucase avec une sérieuse composante internationale. Je crains autre chose. Les moindres actions militaires dans cette région entraîneront inévitablement une confrontation politique entre la Russie et les Etats-Unis, entre la Russie et l'OTAN. Cet équilibre à la limite de la guerre détruira les acquis de ces dernières années entre Moscou et Washington, entre Moscou et Bruxelles. Il est peu probable que l'on puisse alors compter sur une coopération dans des sphères aussi importantes que la lutte contre le terrorisme ou la lutte commune pour la non-prolifération des armes nucléaires. Qui peut rendre des services à son adversaire potentiel? Dans ce cas, on est contraint de chercher des alliés non pas là où on le souhaite, mais là où ils se trouvent, fût-ce même Téhéran ou Caracas. C'est pourquoi, à mon avis, cette situation est dangereuse non pas parce qu'une guerre totale peut avoir lieu entre la Russie et l'Occident, mais parce qu'un éventuel conflit militaire local peut bloquer, en même temps, la coopération entre la Russie et l'Occident.

Q. - Pourquoi l'Occident encourage-t-il les dirigeants ukrainiens actuels à adhérer à l'Alliance de l'Atlantique Nord, alors qu'on sait bien qu'en cas de référendum, la majorité des citoyens ukrainiens diront non à cette adhésion?

R. - Il faut noter que la Constitution ukrainienne ne contient aucune disposition précisant que la question de l'adhésion de l'Ukraine aux organisations internationales doit être réglée au moyen d'un référendum. On peut discuter du bien-fondé de cette mesure et de ses conséquences. Des débats de ce genre ont lieu dans la société ukrainienne, bien que, selon la Constitution, le gouvernement ukrainien ne soit pas obligé de le faire. Ils ont un parlement légitime, habilité à prendre des décisions à la majorité, ainsi que des procédures appropriées pour approuver tel ou tel traité international. Mais, d'autre part, on se souvient que la Bulgarie avait souhaité, à un moment donné, adhérer à l'Union soviétique. Le fait est que, si quelqu'un veut se joindre à votre alliance, vous n'êtes pas obligés d'y consentir. L'OTAN n'a pas été fondée pour défendre ses membres contre la Russie. Elle est destinée à contribuer à la paix, la stabilité et la prévisibilité politique. Je ne comprends pas bien comment la création de nouvelles lignes invisibles de conflit en Europe peut contribuer à la sécurité des membres de l'OTAN. Il est évident que la Russie ne représente aucune menace militaire pour l'OTAN. Les menaces proviennent d'autres endroits, je pense à l'Iran, au Pakistan, à l'Afghanistan et à Al-Qaïda. Dans ces conditions, se faire un adversaire de la Russie, qui est aujourd'hui un partenaire, n'est nullement dans l'intérêt de la sécurité de l'OTAN.

L'Ukraine a ses motifs, mais l'OTAN a le droit de déclarer: chers amis, il faut attendre. Théoriquement, tout pays peut rejoindre l'OTAN, comme cela a été dit au sommet de Bucarest, entre autres, à l'adresse de l'Ukraine et de la Géorgie. Mais il n'est pas obligatoire d'exercer ce droit maintenant, ni même dans les prochaines années. En ce qui concerne la Géorgie, à mon avis, il n'est pas sérieux d'évoquer son adhésion, car elle ne contrôle pas son territoire, et plus précisément, les territoires qu'elle revendique. Conformément aux statuts de l'OTAN, les pays faisant face à des conflits territoriaux ne peuvent y être admis. Par conséquent, à mon avis, la Géorgie doit se décider: ou bien elle souhaite devenir membre de l'OTAN dans les limites actuelles de son territoire et renonce à ses revendications territoriales envers l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud, ou bien elle attend pour adhérer à l'OTAN que les problèmes de ces deux républiques non reconnues soient réglés.

Q. - Comme on le sait, les entités de ce type sont bien plus nombreuses dans l'espace postsoviétique et elles veulent toutes être reconnues par la Russie et la communauté internationale...

R. - Dans le cas de la Moldavie, le président Vladimir Voronine a donné à Vladimir Poutine au sujet de l'OTAN une réponse différente de celle de Mikhaïl Saakachvili. La Moldavie n'a pas l'intention d'adhérer à l'OTAN pour le moment, ce qui a influé sur l'approche russe de l'intégrité territoriale du pays. Il me semble que la Russie soutient, dans l'ensemble, les efforts déployés par les dirigeants moldaves en vue de trouver une solution à la crise en accordant une plus grande autonomie à la Transnistrie au sein de la Moldavie. En ce qui concerne le Haut-Karabakh, ce n'est pas seulement un territoire non reconnu. Il est actuellement une partie inaliénable de l'Arménie, et si l'Azerbaïdjan ne le reconquiert pas, je ne vois pas par quel mécanisme ce territoire pourrait lui être restitué. Quant à l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud, Mikhaïl Saakachvili a eu la possibilité d'amorcer un processus d'adhésion pacifique lorsqu'il a récupéré l'Adjarie, d'ailleurs, sans que la Russie ne fasse aucune objection. Il s'était entretenu avec Vladimir Poutine et avait promis de ne pas hâter la fermeture des bases militaires russes. En réalité, Mikhaïl Saakachvili a tout fait pour qu'elles soient fermées avant l'expiration des engagements pris dans le traité, bien que, du point de vue militaire, ces bases n'aient nullement menacé la Géorgie. Ensuite, il s'est présenté comme le leader de la promotion des "révolutions de couleur" et des changements dans la région, en fait, en vue d'étendre l'espace transatlantique à un territoire que la Russie incluait traditionnellement dans sa sphère d'influence. Finalement, il n'a rien proposé ni aux Abkhazes, ni à l'Ossétie du Sud en vue d'améliorer leur situation économique et sociale. Mikhaïl Saakachvili a même emprunté une voie diamétralement opposée, en choisissant le conflit avec la Russie.

Q. - Avons-nous atteint un point de non-retour?

R. - A mon avis, oui, en ce qui concerne Mikhaïl Saakachvili.

Q. - Comment voit-on les rapports entre la Russie et l'Europe aux Etats-Unis?

R. - En tout cas, pas comme des relations en crise. D'ailleurs, il y a de nombreux points que les Etats-Unis ont du mal à comprendre, par exemple, comment fonctionnera la combinaison politique Medvedev-Poutine. Mais l'Amérique est prête à entamer un dialogue avec les deux, ensemble ou séparément. Toutes les déclarations qu'ils feront seront accueillies comme étant la position de l'Etat dans son ensemble.

Q. - La guerre en Irak finira-t-elle un jour?

R. - Toutes les guerres se terminent obligatoirement un jour, mais quand et comment, c'est autre chose. John McCain a raison sur un point: l'intensité de la guerre est importante. Si la guerre coûte non pas 100, mais 10 milliards de dollars par an, si l'on réussit à réduire les pertes au-dessous de 20 soldats par mois, l'urgence (du retrait) se fera certainement moins sentir, mais pas indéfiniment. La guerre aura des conséquences négatives dans le monde musulman et détournera l'Amérique de ses autres priorités. L'administration américaine commencera à chercher les différentes possibilités de se retirer d'Irak, de façon à ce que rien ne s'écroule là-bas, à éviter une guerre civile et l'apparition de bases d'Al-Qaïda. Mais, en Amérique, le président propose et le Congrès dispose. C'est ce dernier qui contrôle les ressources, et quoi qu'il entreprenne à l'égard de l'Irak, John McCain devra prendre en considération le fait qu'il aura affaire à une majorité démocrate au Congrès, qui doit se souvenir qu'elle a été élue précisément pour mettre fin à cette guerre. Par conséquent, John McCain devra faire un choix: ou bien entrer en confrontation avec le Congrès et prendre le risque que l'intervention militaire américaine en Irak échoue, de même qu'au Vietnam, ou bien poursuivre la guerre, mais sans avions, ni hélicoptères, ni munitions. Dans ces conditions, il est impossible de mener une guerre. Par conséquent, sous la pression du Congrès, John McCain devra trouver une formule permettant de faire ce que dit Barack Obama: engager un retrait graduel des troupes d'Irak. J'estime que c'est inévitable, quel que soit le président qui sera élu.

Q. - Les Etats-Unis pensent-ils toujours que l'on peut promouvoir la démocratie en employant la force? L'expérience afghane ne leur a-t-elle pas suffi?

R. - Me concernant, je n'ai jamais été partisan de l'implantation de valeurs, quelles qu'elles soient, par la force. Mais le 11 septembre, et tout ce qui y est lié, est à l'origine de l'arrivée des Etats-Unis en Afghanistan. A propos, l'Amérique a agi en Afghanistan en partenariat avec la Russie, elle-même liée à l'Alliance du Nord qui a joué un rôle très important dans le renversement du régime des talibans.

En ce qui concerne l'Irak, il est très difficile de comprendre pourquoi les Etats-Unis s'y trouvent. Il y a probablement d'autres raisons que celles liées à la sécurité américaine. Le président George W. Bush souhaitait venger l'attentat commis contre son père par le régime de Saddam Hussein au Koweït. Certains néoconservateurs pensaient qu'ils défendaient ainsi les intérêts d'Israël. De plus, beaucoup de données attestaient que l'Irak détenait des armes de destruction massive. Bien que la Russie, la France et l'Allemagne n'en étaient pas aussi convaincues que les Etats-Unis, personne n'a contesté cette probabilité. Saddam Hussein a manipulé les inspecteurs qui étaient par ailleurs très suspects. Les sanctions n'ont rien donné et il était impossible de les maintenir indéfiniment. La situation "ni guerre ni paix" qu'il était difficile de qualifier de dissuasive comportait un danger de dégradation qui risquait d'entraîner le lancement d'une opération par Saddam Hussein, avec utilisation d'armes de destruction massive. Ceci amena la majorité du Congrès et le Département d'Etat à soutenir cette guerre. Ensuite, il s'est avéré que les Etats-Unis étaient mal préparés à la guerre, plus précisément à ses conséquences. Autrement dit, ils ne connaissaient pas le rapport des forces politiques en Irak et n'avaient aucun projet de reconstruction de l'Irak après la guerre. Mais, malgré toutes ces circonstances, l'instauration de la démocratie en Irak n'était pas le principal objectif américain. C'est pourquoi les néoconservateurs affirment aujourd'hui que ce qui est arrivé en Irak ne remet pas en cause l'idée de la propagation de la démocratie.

Mais, à mon avis, l'idée même de la propagation de la démocratie par le recours à la force est perverse. En outre, si nous sommes persuadés que la démocratie inclut par définition le droit des électeurs de commettre des erreurs, d'élire aujourd'hui certaines personnes, de les chasser demain de leurs bureaux et d'y installer d'autres personnes, alors nous devons respecter également le droit des peuples et des Etats à prendre leurs propres décisions, y compris les plus mauvaises. S'il ne s'agit pas d'un cas exceptionnel, d'un génocide par exemple, j'estime que la force militaire en tant qu'instrument de changement des conditions intérieures ne doit pas être employée dans la politique mondiale. Où allons-nous sinon? Il se peut que les Etats-Unis ne soient pas les seuls à s'emparer de ce droit. Beaucoup d'autres voudront probablement implanter leurs idées, y compris celles que les Etats-Unis n'approuvent pas du tout.

Q. - Lorsque George Bush-fils partira, se souviendra-t-on de lui comme du pire président que l'Amérique ait connu, ou non?

R. - L'histoire a ceci de particulier que les contemporains ne peuvent jamais prédire l'importance qu'aura tel ou tel dirigeant. Harry Truman fut en son temps considéré comme un mauvais président, mais son image est aujourd'hui très prestigieuse. Cependant, je serais étonné de voir George W. Bush qualifié plus tard de président extraordinaire. Mais on se souviendra probablement du fait qu'il n'y a eu, sous sa présidence, aucune attaque terroriste contre les Etats-Unis, hormis celle du 11 septembre, qu'il n'a entraîné l'Amérique dans aucune autre guerre, mis à part l'Irak, bien que certains représentants de l'administration soient tentés d'entreprendre, avant leur départ, des actions contre l'Iran. Les conditions économiques dans lesquelles devra travailler son successeur constitueront un bilan très important. S'il s'avère que la récession actuelle n'est qu'une étape avant une nouvelle période de croissance économique, George W. Bush sera évalué très positivement. En effet, les présidents sont évalués non seulement d'après ce qu'ils ont fait, mais aussi d'après ce qu'ils ont laissé.

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