Une Cinquième République rénovée

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Par Bertrand MATHIEU, de l'Université Panthéon Sorbonne Paris I, Président de l'Association française de Droit constitutionnel pour RIA Novosti. (A propos de la révision du 21 juillet 2008)

(A propos de la révision du 21 juillet 2008)

Par Bertrand MATHIEU, de l'Université Panthéon Sorbonne Paris I,

Président de l'Association française de Droit constitutionnel pour RIA Novosti  

La Cinquième République fête cette année ses cinquante ans. Fondée en 1958 par le Général de Gaulle, la Constitution française instaure un système politique hybride. Fondamentalement parlementaire le régime politique est marqué, depuis la révision constitutionnelle de 1962, qui a permis l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, par la prééminence institutionnelle et politique du Chef de l'Etat, sauf lors des rares périodes où cohabitent un président de la République et une majorité parlementaire politiquement opposés. L'instauration du quinquennat présidentiel, en 2000, a renforcé encore le poids du Président dans les institutions et affaibli corrélativement celui du Premier ministre.

         Lors de l'élection présidentielle de 2007, la plupart des candidats ont inscrit dans leur programme une réforme de la Constitution.

         Peu après son élection le Président Sarkozy a installé un Comité présidé par l'ancien Premier ministre Edouard Balladur et composé d'experts et de politiques et l'a chargé de faire des propositions visant à moderniser les institutions. Le projet de loi constitutionnelle, déposé par le Premier ministre et amendé par le Parlement, reprend l'essentiel des dispositions proposées par le Comité.

         La loi constitutionnelle a été adoptée, à une voix au delà de la majorité des trois cinquième requise, par le Congrès réunissant les deux chambres du Parlement, le 21 juillet 2008.

         Alors qu'un assez large consensus politique prévalait sur les mesures inscrites dans ce texte, l'opposition représentée par le Parti socialiste, arguant du fait que la réforme n'allait pas assez loin, a voté de manière unanime, sauf un député Jack Lang, membre du Comité Balladur, contre la réforme initiée par le Président Sarkozy. La majorité qui soutient le Président ne disposait pas à elle seule de la majorité des trois cinquièmes, elle a du chercher des appuis au centre et au centre gauche. L'enjeu politique immédiat du vote était évident, l'opposition socialiste a tenté de faire trébucher le Président qui s'est beaucoup engagé sur cette réforme. En ce sens, Nicolas Sarkozy sort incontestablement renforcé de cette victoire

         Cette réforme est la plus importante de celles conduites depuis 1962. C'est la plus ample depuis 1958, elle touche près de la moitié des articles de la Constitution. Elle modifie assez profondément le fonctionnement des institutions, sans changer la nature du régime.

         Les principales mesures concernent la revalorisation du rôle du Parlement. Alors que la puissance du pouvoir gouvernemental est assurée, notamment au travers de la fonction Président de la République, alors que les majorités sont stables, il était nécessaire de desserrer les contraintes que la Constitution de 1958 fait peser sur le Parlement. C'est ainsi que nouvelles dispositions constitutionnelles donnent au Parlement plus de liberté dans la fixation de son ordre du jour, limitent la possibilité pour le gouvernement de faire adopter, à l'Assemblée nationale, un texte sans vote.... La revalorisation du Parlement passe également par l'extension des pouvoirs de contrôle du Parlement. De ce point de vue le texte voté affirme que le Parlement contrôle l'action du Gouvernement et évalue les politiques publiques et lui donne les moyens de remplir cette mission. Le Parlement pourra aussi contrôler, voir s'opposer à certaines des nominations parmi les plus importantes qui sont aujourd'hui à la discrétion du Président de la République. De manière plus technique, mais avec un impact essentiel pour la sécurité juridique des citoyens, de nombreuses dispositions visent à perfectionner la qualité du travail législatif.

         C'est aussi le fonctionnement démocratique des institutions qui est amélioré, par le renforcement des droits et des prérogatives de l'opposition, la garantie du pluralisme et de la participation équitable des partis politiques à la vie démocratique de la Nation, l'intervention d'une commission indépendante pour le découpage des circonscriptions électorales. 

         Le Président de la République pourra dorénavant s'exprimer devant les deux chambres du Parlement réunies, alors qu'il ne peut aujourd‘hui que faire lire un message devant chacune d'entre elles.

         Les droits des citoyens sont également renforcés. Il en est ainsi de la faculté accordée aux citoyens de faire valoir devant un juge les droits que leur reconnaît la Constitution, du renforcement de l'indépendance du Conseil supérieur de la magistrature qui pourra être saisi par les justiciables. Un referendum d'initiative mixte (populaire et parlementaire) est instauré. Les questions environnementales pourront faire l'objet d'un référendum. Le principe de la «parité» hommes-femmes est étendu aux domaines professionnel et social. ...

         Certaines questions restent non résolues, par exemple, le rôle et la représentativité du Sénat, le cumul du mandat... mais cette réforme, au delà des enjeux politiques immédiats, permet de donner un nouveau souffle à la Cinquième République. Un échec aurait affaibli au delà du Président de la République, le Parlement, mais aussi la V° République. Le débat se serait engagé, à terme sur un changement de régime, une VI° République, souhaitée par certains mais aux contours mal définis et qui manifeste la tentation de l'instabilité constitutionnelle qui a marqué l'histoire constitutionnelle française. . Ce n'est pas le «grand soir» constitutionnel, mais un rééquilibrage des institutions et une reconnaissance, timide mais réelle, d'une capacité d'intervention des citoyens dans le jeu institutionnel qui est ainsi opérée.

         L'interventionnisme du Président de la République dans la vie politique quotidienne et l'effacement relatif du Premier ministre, qui semblent être la marque de la présidence de Nicolas Sarkozy, constituent au regard de la situation antérieure plus un changement de style qu'un bouleversement constitutionnel. La réforme adoptée est susceptible, pour autant que le Parlement et les citoyens utilisent les nouveaux instruments qui leur sont accordés, de permettre le développement des contrepoids nécessaires. Elle témoigne incontestablement d'une maturité de la pratique institutionnelle.

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