Qui arrêtera les skinheads russes?

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Par Natalia Rykova, directrice exécutive du Bureau moscovite pour les droits de l'homme, pour RIA Novosti
Par Natalia Rykova, directrice exécutive du Bureau moscovite pour les droits de l'homme, pour RIA Novosti

Près de 170 agressions à caractère raciste perpétrées au cours des six premiers mois de 2008 ont fait 72 morts (d'après certaines données, 80) et au moins 190 (198) blessés.

Selon l'indice territorial, Moscou et sa région ont occupé la première place de ce triste classement (36 morts, au moins 108 blessés), suivis de Saint-Pétersbourg (16 morts, 23 blessés), la région de Sverdlovsk (6 morts, 5 blessés), Omsk (2 morts, 1 blessé) et la région d'Oulianovsk (2 morts).

Concernant l'indice ethnique, on trouve parmi les victimes de ces agressions des Ouzbeks (12 morts, 16 blessés), des Kirghiz (9 morts, 5 blessés), des Tadjiks (6 morts, 28 blessés), des Azerbaïdjanais (6 morts, 9 blessés) et des Russes (5 morts, 30 blessés).

La nationalité d'au moins 84 morts et blessés n'a pu être établie avec certitude.

En revanche, on peut parler d'un accroissement considérable des agressions mortelles. Pour toute l'année dernière, une cinquantaine de personnes ont été victimes de meurtres à caractère raciste. Bref, ces statistiques ne font que confirmer l'idée qu'on peut s'attendre à ce que des crimes du même genre se produisent dans toutes les régions de Russie.

La majorité des agressions racistes sont perpétrées par des skinheads. Leurs cibles sont le plus souvent des ressortissants d'Asie centrale et du Caucase, des représentants de sous-cultures jeunes et des minorités sexuelles.

D'après les données du Bureau moscovite pour les droits de l'homme, la Russie compte environ 70.000 skinheads et autres activistes appartenant à des organisations nationalistes radicales.

Afin de se sentir plus en sécurité dans un milieu culturel différent et souvent hostile, les ouvriers immigrés préfèrent se regrouper. Cela pose un nouveau problème: la formation de ghettos d'immigrés. En outre, endosser en permanence le rôle de minorité persécutée ne contribue pas au développement de la tolérance parmi les travailleurs étrangers eux-mêmes. L'apparition parmi les ressortissants chinois de ce qu'on appelle des triades - gangs chinois - n'est pas due au hasard. D'autres groupements ethniques ont également fait parler d'eux.

Naturellement, nos compatriotes se prononçant contre la création de quartiers à forte concentration d'immigrés sont deux fois plus nombreux que ceux qui défendent cette idée. Comme il ressort d'un sondage effectué par le VTSIOM (Centre national d'étude de l'opinion publique) dans 46 régions de la Fédération de Russie, 26% des sondés jugent la création de ghettos inadmissible. Plus de la moitié (55%) des participants au sondage proposent de limiter l'afflux d'ouvriers étrangers non qualifiés dans le pays.

En outre, selon ce même sondage, une partie des Russes (28%) soutient la proposition de durcir les sanctions pour propagande de la discorde interconfessionnelle et interethnique, tandis qu'un quart des sondés (26%) insiste sur l'interdiction d'activité pour les organisations religieuses et politiques extrémistes dans le pays. Cela est très important. En effet, ce n'est un secret pour personne que les flux migratoires auront, en perspective, une grande importance pour le destin de la Russie. Le taux de croissance économique, le niveau de vie de la population, le climat social, les proportions du développement régional et beaucoup d'autres choses dépendront des tendances migratoires. Pouvons-nous gérer les processus de migration, sommes-nous capables de les rendre civilisés? On le saura dès la prochaine décennie.

L'intensification des poursuites judiciaires contre les personnes ayant commis des crimes à caractère raciste apporte certaines garanties d'optimisme. Quelques affaires retentissantes ont été récemment jugées. Entre janvier et mai 2008, sur plus de 100 personnes jugées, le verdict contenait, dans la plupart des cas, la mention "nationaliste". Mais il est décevant de constater que les tribunaux, y compris les cours d'assises, prononcent des verdicts insuffisamment sévères contre les personnes accusées d'actes xénophobes. L'exemple le plus éloquent reste le cas de l'assassinat d'une fillette tadjike à Saint-Pétersbourg, dont les coupables, pour la plupart des adolescents, n'ont été condamnés que pour "hooliganisme" à des peines légères.

Nous sommes bien obligés de constater qu'à l'étape actuelle le pouvoir a, en fait, perdu la "campagne de propagande" face aux nationalistes: on n'édite pas de livres condamnant les écrits nationalistes et xénophobes. Pourtant, près de 100 journaux xénophobes paraissent en Russie, et 7 maisons d'éditions se spécialisent dans les livres à caractère raciste. Une telle augmentation de la publication d'écrits de ce genre n'a rien à voir avec la liberté d'expression. D'ailleurs, les nationalistes ne se bornent pas à la sphère humanitaire, ni à attaquer et tuer les "intrus". Cela va parfois jusqu'aux actes terroristes: l'explosion du train Moscou-Grozny, les attentats sur le marché Tcherkizovski, dans un McDonald's à Saint-Pétersbourg, l'assassinat du défenseur des droits humains Nikolaï Guirenko, ou de l'antifasciste Timour Kotcharava à Saint-Pétersbourg. Nous savons qu'il existe des listes de personnes à exécuter, il s'agit de membres de la Chambre civile russe: Tichkov, Svanidze, Brod, Guerber etc. De plus, les nationalistes sont armés et suivent des entraînements spéciaux.

Mais comment l'Etat réagit-il à cela? Même le ministère des Nationalités a été supprimé. Le programme fédéral d'éducation à la tolérance et de lutte contre l'extrémisme n'est plus appliqué. Le ministère de la Culture, le ministère de l'Enseignement et d'autres départements ne font strictement rien en vue de prévenir la montée de la tension interethnique.

Nous estimons qu'il est impossible d'arrêter la montée de la xénophobie et de lutter efficacement contre la discrimination ethnique sans les efforts coordonnés des autorités fédérales et régionales et des institutions de la société civile.

Le pouvoir doit fixer nettement les buts et les priorités de la politique des nationalités. Sur ce plan, il est important d'accélérer la rédaction d'une nouvelle Conception de la politique russe des nationalités et l'adoption de la Conception de la politique de l'Etat dans le domaine des migrations. Il est temps de créer un organe compétent du pouvoir exécutif de la Russie ayant pour fonction d'assurer l'application de la politique de l'Etat, la coordination des actions des organes fédéraux des entités de la Fédération dans cette sphère, et l'élaboration de recommandations aux autorités locales, particulièrement en situation de crise.

La lutte contre la haine interethnique doit devenir la priorité à long terme de la politique sociale. Il importe de créer un système national de monitoring des rapports interethniques et interconfessionnels, d'élaborer un système de prévention précoce des conflits. Cela exigera une profonde requalification et le perfectionnement des cadres et des employés des organismes d'Etat et municipaux spécialisés dans la politique des nationalités, la prévention et le règlement des situations de conflits, et la formation des agents des organes de maintien de l'ordre public.

Mais les efforts des autorités sont voués à l'échec s'ils ne bénéficient pas du soutien approprié des associations et autres institutions de la société civile, ainsi que des milieux d'affaires. En ce qui concerne ces derniers, il est important non seulement qu'ils déterminent nettement des principes de tolérance et de multiculturalité, d'entente interethnique et de renoncement à l'emploi d'un langage hostile, mais aussi qu'ils abandonnent les pratiques sociales de discrimination selon des indices ethnique et linguistique, l'origine, le lieu de résidence, l'attitude envers la religion, le sexe, la situation sociale et, naturellement, les convictions.

La montée de la xénophobie est un grave défi lancé à la Russie contemporaine. Ses citoyens ne peuvent pas rester insensibles à cette menace. En tout cas, leur indifférence ferait le jeu des nationalistes.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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