Tbilissi s'est surestimé

S'abonner
Par Alexandre Khramtchikhine, pour RIA Novosti
Par Alexandre Khramtchikhine, pour RIA Novosti

Plusieurs conclusions préliminaires peuvent être tirées des événements qui se sont déroulés ces derniers jours en Ossétie du Sud.

Premièrement, le président géorgien a probablement beaucoup surestimé le potentiel de combat de son armée. Certes, les forces armées géorgiennes ont beaucoup progressé sous la présidence de Saakachvili, s'éloignant manifestement de l'image de "racaille" qu'elles donnaient sous Zviad Gamsakhourdia. Néanmoins, les effectifs de l'armée géorgienne ayant reçu une bonne formation au combat sont toujours très restreints. Le nombre d'engins militaires est, lui aussi, limité. Plus de 90% d'entre eux sont en outre dépassés et ne correspondent pas aux exigences contemporaines.

Le plan de Saakachvili était clair: s'emparer de Tskhinvali, située à proximité de la frontière, y instaurer le gouvernement de Sanakoïev [Dmitri, président "alternatif", géorgien, de l'Ossétie du Sud - ndlr.] et en faire le seul pouvoir légitime dans cette république. Le reste de l'Ossétie du Sud aurait été par la suite déclaré occupé par les agresseurs russes. D'ailleurs, si l'occupation de Tskhinvali avait été un succès, cela aurait pu entraîner une forte démoralisation du côté des forces sud-ossètes, et les Géorgiens auraient alors eu la possibilité de poursuivre leur offensive vers le nord.

Mais cela n'a pas marché. La Géorgie a commencé par un acte de barbarie ouverte en effectuant des tirs de lance-roquettes multiples Grad contre les quartiers résidentiels de Tskhinvali, un acte qui doit sans aucun doute être considéré comme un crime de guerre. Ensuite, les troupes géorgiennes se sont engagées dans de longs combats de rue contre les forces sud-ossètes. Après l'arrivée d'unités régulières russes dans la république, la Géorgie n'avait plus aucune chance de remporter une victoire militaire, l'ensemble des effectifs de l'armée géorgienne équivalant à une seule division motorisée russe.

Ainsi, la Géorgie n'est pas parvenue à remporter une guerre éclair: c'est donc qu'elle a perdu la guerre. Ceci est bien évident. Néanmoins, elle semble avoir remporté un succès politique. La Russie risque bien d'acquérir une image d'agresseur aux yeux de la communauté internationale.

A la suite de l'intervention des troupes géorgiennes en Ossétie du Sud, Moscou s'est retrouvé dans une situation très délicate. La Russie a dû choisir entre devenir un traitre aux yeux des Ossètes (non seulement du Sud, mais également des Ossètes du Nord, habitant une république faisant partie de la Fédération de Russie), ou un agresseur vis-à-vis de la Géorgie (car les troupes russes entrent sur le territoire géorgien sans avoir préalablement obtenu de mandat de l'ONU et engagent des hostilités contre l'armée géorgienne). Moscou a opté pour la deuxième variante, représentant un moindre mal. Mieux vaut être un agresseur qu'un traitre. D'autant que la Russie fait partie des cinq heureux pays que l'on n'a pas le droit de proclamer "agresseurs" car ils jouissent du droit de veto au Conseil de sécurité de l'ONU. Or, il s'agit du seul organe habilité à désigner une agression en tant que telle.

Comment les événements vont-ils évoluer? La Géorgie ne peut pas organiser une guérilla sur le territoire de l'Ossétie du Sud contre les troupes russes, pour la simple raison qu'il est impossible de trouver une quantité un tant soit peu notable de militants antirusses dans cette république.

Théoriquement, la Géorgie pourrait tenter de relancer une guerre "régulière", en lançant de nouveau ses troupes contre Tskhinvali et les régions voisines. Cependant, si une telle offensive en Ossétie du Sud n'a pas réussi une première fois, même dans des conditions où les troupes géorgiennes étaient entièrement déployées et n'avaient pas encore essuyé de pertes, et où le contingent des troupes russes en Ossétie du Sud était encore très restreint, alors à l'heure actuelle, la poursuite des combats entrainerait une défaite relativement rapide des troupes géorgiennes restantes. Leurs engins et effectifs seraient vite expulsés de la zone du conflit. Il serait impossible d'assurer la livraison rapide de nouveaux engins en provenance d'Europe orientale, pour remplacer les véhicules endommagés, ne serait-ce que pour des raisons géographiques. Qui plus est, il faudrait encore apprendre aux soldats à manier ces nouveaux engins. Une telle opération prendrait au moins plusieurs mois. Il est absolument exclu que l'OTAN s'engage dans cette guerre. Les armées européennes ont une peur panique d'essuyer des pertes, et pour elles, une guerre contre la Russie est impensable. Il en est de même pour les Etats-Unis, qui, de surcroît, sont déjà débordés avec l'Irak et l'Afghanistan. Seule la Turquie, qui se trouve à proximité de la zone potentielle des combats et ne craint pas, à la différence de ses alliés de l'OTAN, les pertes, pourrait, en théorie, venir au secours de la Géorgie. Mais, premièrement, il n'est pas certain que Tbilissi accepte cette aide, car celle-ci risquerait de dégénérer en une sorte d'occupation de la Géorgie toute entière. Deuxièmement, la Turquie elle-même exigerait beaucoup en échange d'une opération qui mènerait à un conflit direct avec la Russie. Aux Etats-Unis, Ankara demanderait une assistance économique et militaire d'envergure. A l'Europe, des garanties d'adhésion à l'UE. Quelque chose porte à croire que ni Washington, et encore moins Bruxelles ne jugent le sort de la Géorgie assez important vis-à-vis de leurs intérêts pour payer un tel prix.

Généralement parlant, Tbilissi a largement surestimé son propre potentiel militaire, mais également la disposition de l'Occident (et en premier lieu, des Etats-Unis) à accorder une aide réelle à la Géorgie. Les déclarations retentissantes du haut des différentes tribunes sont une chose, mais entamer une guerre contre la Russie en est une autre. Qui plus est, avec son aventure ossète, Saakachvili a presque fait perdre à son pays toute chance d'adhérer à l'OTAN. En présentant, avec succès, la Russie comme un agresseur, il a montré aux dirigeants des pays occidentaux que si la Géorgie devenait membre de l'Alliance de l'Atlantique Nord, celle-ci serait obligée d'envoyer ses troupes au Caucase pour mener une guerre sanglante contre la Russie. Nul doute que les Européens occidentaux feront désormais tout leur possible pour empêcher la Géorgie d'entrer au sein de l'OTAN.

Le conflit reviendra donc inévitablement dans le champ politique. Toutefois, on doit prendre conscience qu'à l'heure actuelle, ce n'est pas un pays hostile mais un ennemi qui se trouve à la frontière sud de la Russie, et il sera beaucoup plus difficile de négocier avec lui. Or, les négociations sont incontournables.

Alexandre Khramtchikhine est chef du service analytique de l'Institut d'analyse politique et militaire.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала