Caucase du sud : les risques de l'escalade

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Par Laure Delcour, directrice de recherches à l'IRIS, pour RIA Novosti
Par Laure Delcour, directrice de recherches à l'IRIS, pour RIA Novosti

Alors que la situation reste extrêmement confuse en Ossétie du sud, trois questions semblent fondamentales pour comprendre le conflit entre la Russie et la Géorgie autour de la province séparatiste.

Pourquoi, après des années sans lutte armée, une telle dégradation de la situation en Ossétie du sud et en Abkhazie ?

Depuis les années 1990, en dépit de la signature de cessez-le-feu, les tensions sont restées sous-jacentes dans les régions séparatistes de Géorgie, avec des incidents sporadiques. C'est la conjonction de plusieurs facteurs qui a transformé le " conflit gelé " d'Ossétie du sud en véritable affrontement ouvert au début du mois d'août.

La question de l'intégrité territoriale est devenue ces derniers mois cruciale pour les autorités géorgiennes. Dès son arrivée au pouvoir en 2004, après la révolution des roses, le président Mikhaïl Saakachvili a fait du retour des régions sécessionnistes dans le giron géorgien l'une de ses priorités politiques. Couronnés de succès dans le cas de l'Adjarie, ses efforts n'ont pas abouti dans le cas de l'Abkhazie et de l'Ossétie du sud. Le référendum organisé dans cette région fin 2006, non reconnu par la communauté internationale, a ainsi montré que la population restait favorable à l'indépendance à une très large majorité. Or, réintégrer les deux régions séparatistes était impératif pour atteindre l'objectif primordial de la politique étrangère géorgienne, l'adhésion à l'OTAN. En reportant l'octroi du partenariat pour l'adhésion mais en réaffirmant la vocation de la Géorgie à rejoindre l'Alliance atlantique, le sommet de Bucarest a rendu cette réintégration d' autant plus urgente pour les autorités géorgiennes. C'est dans ce contexte que le président Saakachvili, se sachant appuyé par l'administration Bush, a décidé d'intervenir avant le changement de présidence aux Etats-Unis.

En déclenchant les hostilités à Tskhinvali, le président géorgien a pris un risque considérable, celui d'embraser une région poudrière, dans un contexte très tendu depuis l'indépendance du Kosovo. Il a aussi commis une lourde erreur stratégique en pariant à la fois sur un soutien occidental inconditionnel et sur une absence de réaction russe. Or, Moscou ne pouvait manquer d'intervenir. D'abord pour défendre ses citoyens et ses soldats présents pour maintenir la paix en Ossétie, sur mandat de la CEI. Ensuite pour éviter toute contagion vers un Caucase du nord à la stabilité précaire. Enfin pour préserver son influence dans une zone clé pour ses intérêts.

Quelles sont les conséquences de ce conflit pour chacune des parties en présence ?

En intervenant militairement, la Géorgie a pris le risque de se décrédibiliser auprès de ses alliés occidentaux, qu'elle aurait entraînés dans le conflit si elle avait été membre de l'OTAN. Pourtant, la réplique massive de la Russie et la défaite de l' armée géorgienne en Ossétie du sud permettent au président Saakachvili de faire oublier ses responsabilités et de se poser en victime d'une agression russe qu'il inscrit dans la lignée de celles perpétrées par l'Union soviétique. La violation par Moscou de l'intégrité territoriale géorgienne et le déséquilibre de plus en plus évident des forces en présence sont ainsi susceptibles de modifier la portée du conflit. La population géorgienne est d'ores et déjà soudée autour de son président, moins d'un an après la répression des manifestations de l'opposition à Tbilissi et la crise politique de l'automne 2007. Les Occidentaux, prudents au lendemain de l'intervention de Tbilissi à Tskhinvali, se font plus fermes de jour en jour face aux bombardements russes sur le territoire géorgien.

C'est donc la Russie qui, à l'heure actuelle, a toutes les cartes en main pour déterminer l'issue du conflit. Tout l'enjeu, pour Moscou, est de ne pas pousser son avantage militaire trop loin, au risque d'aller à l'encontre de ses propres intérêts à long terme. En effet, si la protection des citoyens et des soldats russes en Ossétie du sud pouvait paraître légitime, les incursions en territoire géorgien sont beaucoup moins justifiables ; dès lors, la Russie endosse le rôle de l'agresseur, d'autant plus qu'elle refuse un cessez-le-feu que le président géorgien s'est empressé d' accepter. Or, à long terme, l'influence de Moscou dans le Caucase comme dans l'ex-URSS passe par une relation apaisée avec les anciennes républiques soviétiques. En limitant volontairement son avantage militaire tout en défendant ses objectifs sur le terrain diplomatique, la Russie pourrait montrer au monde qu'elle n'est plus le pays affaibli du début des années 1990 ni l'héritière de la politique impérialiste soviétique. En sachant mesure garder et en participant à la recherche d'une solution qui satisfasse toutes les parties, Moscou sortirait grandie de ce conflit et pourrait mieux faire accepter ses intérêts par des Occidentaux souvent prompts à les négliger.

Enfin, quelle est la marge de man�uvre de la communauté internationale pour parvenir à un cessez-le-feu, et plus largement pour établir les conditions d'un retour à la paix ?

A l'heure où la France, au nom de l'Union européenne, tente d'obtenir un cessez-le-feu, la marge de man�uvre de la communauté internationale est bien étroite. Compte tenu de l'appui politique et militaire apporté par les Etats-Unis à la Géorgie ces dernières années, la médiation américaine demandée par le président Saakachvili n'est pas crédible. L'Union européenne, peu présente dans la région jusqu'aux élargissements de 2004 et 2007, a une position plus équilibrée, d'autant que la présidence française entretient de bonnes relations avec Moscou. Mais les chances de succès européennes pour obtenir un cessez-le-feu sont aujourd'hui très minces. Le plan Sarkozy, formulé en fin de semaine dernière, propose la renonciation de toutes les parties à la force, le respect de l'intégrité territoriale géorgienne et le retour à la situation qui prévalait avant les bombardements géorgiens sur Tskhinvali. Il suppose donc un retrait des forces russes qui ne paraît pas d'actualité. Surtout, le retour au statu quo ante semble désormais impossible ; après l'ouverture de la boîte de Pandore caucasienne, il faudra des années avant que puisse s'envisager une coexistence pacifique entre Ossètes, Géorgiens et Russes.

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