La fin des "conflits gelés"

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Par Sergueï Markedonov, pour RIA Novosti
Par Sergueï Markedonov, pour RIA Novosti

Le président Dmitri Medvedev a donc signé les décrets sur la reconnaissance de l'indépendance de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud. Il l'a fait sur recommandation des deux chambres du parlement russe, la Douma et le Conseil de la Fédération. Le parlement a également adopté un appel aux Etats membres de l'ONU leur demandant de reconnaître à leur tour l'indépendance des deux anciennes autonomies de la République socialiste soviétique de Géorgie, devenues de facto des entités indépendantes à la suite du démembrement de l'URSS et des conflits ethniques et politiques qui en ont découlé.

Ainsi, Moscou a radicalement changé son approche de la Géorgie, approche qui prévalait depuis le début des années 90. En jouant un rôle décisif dans le gel de ces conflits au début de la dernière décennie du XXe siècle, la Russie a par là-même entériné l'existence de telles entités, autant que le principal bilan de la confrontation. Le statut de "conflit gelé" supposait le report de la résolution du conflit à une date ultérieure (c'est-à-dire dans un contexte politique plus favorable, permettant de parvenir à un compromis entre les parties). Affichant leur statut d'Etat, les entités devaient dès lors prouver leur capacité à survivre, à fonctionner autrement qu'en tant que "fédérations de chef militaires". Pour ce qui est de l'Ossétie du Sud, il y avait encore jusqu'en 2004 des possibilités de réintégration dans la Géorgie (compte tenu des rapports bilatéraux qui s'étaient malgré tout maintenus entre Tskhinvali et Tbilissi après le premier conflit au début des années 90).

Le statut de facto non résolu de ces Etats reflétait les réalités politiques de l'époque des années 90 - début des années 2000. Il impliquait le maintien du statu quo, et l'absence d'opérations militaires actives (même si l'Abkhazie a connu en 1998 et 2001 des confrontations de courte durée). Cela laissait l'espoir que les parties pourraient parvenir, d'une manière ou d'une autre, à s'entendre. Lorsque les conflits étaient encore gelés, il n'était pas nécessaire de changer radicalement d'approche par rapport à l'autodétermination de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud.

Mais il y a quatre ans a commencé une période de dégel des conflits dans le Caucase du Sud. Dans un premier temps, il y eut une violation du rapport des forces en Ossétie du Sud (c'est ici qu'eurent lieu les premières confrontations militaires après 12 ans de paix). En réponse, il y eut la volonté de modifier le format politique et juridique, qui supposait que les Etats de facto étaient des parties au conflit (au moins formellement égales en droit). Dans l'idée des stratèges de Tbilissi, ces Etats non-reconnus devaient être totalement évincés de l'arène politique en tant que sujets indépendants.

Le fond de l'approche de Tbilissi pouvait être défini de la manière suivante: "Nous ne dialoguerons pas avec des marionnettes, nous voulons avoir affaire au marionnettiste, c'est-à-dire à Moscou". Ainsi, la Géorgie a elle-même évincé les deux républiques rebelles du cadre du processus politique, en leur envoyant un signal très clair: "Nous voulons ces territoires, pas leurs leaders et leurs populations".

Dans la nuit du 7 au 8 août, le statu quo a été définitivement renversé. Alors, les politiques russes ont commencé à employer un autre ton. Pour la première fois, le président russe a ouvertement mis en doute l'intégrité territoriale de la Géorgie, en déclarant que, premièrement, le statut des deux anciennes autonomies géorgiennes devait faire l'objet de discussions au niveau international, et, deuxièmement, que la Russie était prête à garantir la sécurité de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud, et à défendre le choix des peuples de ces républiques.

Mais même après la défaite de la "guerre des cinq jours", le président Saakachvili élabore de nouvelles stratégies visant à dompter les "territoires rebelles". Comme l'indique le New York Times, la Géorgie a l'intention de rétablir son armée qui a sérieusement pâti des récentes opérations militaires. Saakachvili compte sur les Etats-Unis pour continuer à le soutenir. Et George W. Bush a déjà déclaré: "les Etats-Unis continueront à se tenir aux côtés du peuple de la Géorgie et de sa démocratie, et à soutenir sa souveraineté et son intégrité territoriale".

C'est la fin des conflits gelés. Il semble qu'aujourd'hui Moscou ait fait le maximum de ce qui était possible. En prenant la décision d'opposer à Tbilissi une réponse ferme, la Russie a montré où se trouvaient les limites au-delà desquelles elle n'a aucune intention de se retirer. Il est évident qu'aujourd'hui, même à l'intérieur de la CEI (pas en tant qu'institution, mais en tant qu'espace politique), la Russie n'a aucun allié sur cette question, sans parler des Etats-Unis et des pays occidentaux. En même temps, l'Occident lui-même (principalement de manière détournée), laisse entendre qu'il n'est pas prêt à couper totalement les ponts avec la Russie.

La récente déclaration de l'ambassadeur américain à Moscou John Beyrle, affirmant que l'introduction en Ossétie du Sud de troupes militaires russes après l'attaque géorgienne contre Tskhinvali avait certaines raisons d'être, ne vient pas de nulle part. En ce sens, la solution optimale dans la situation actuelle est simplement de réaliser le dernier des "Six points" de Dmitri Medvedev, c'est-à-dire d'organiser des discussions internationales autour du statut de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud. Naturellement, elles ne devront pas se dérouler de façon académique, mais donner lieu à une confrontation de tous les différents moyens de persuasion diplomatiques.

Beaucoup de pays ont agi de la sorte, en tentant d'obtenir la reconnaissance de leurs alliés autoproclamés. La Turquie a reconnu l'indépendance de la République turque de Chypre du Nord seulement à la suite de sa proclamation en 1983 (soit 9 ans après le conflit avec la partie grecque de l'île). Et même les Etats-Unis ont reconnu le Kosovo non en 1999, mais après une longue période durant laquelle ils ont organisé des pseudo-négociations sur la définition du statut de l'ex-province serbe.

Finalement, cette même Europe doit se faire à l'idée que le projet de "Géorgie unie" a échoué, et que Tbilissi n'a plus aucune ressource pacifique pour promouvoir l'intégration de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie. Quant aux méthodes militaires, la Russie (qui est elle-même partiellement un Etat caucasien) ne pourra les accepter.

Sergueï Markedonov est chef du service des problèmes des relations interethniques de l'Institut d'analyse politique et militaire.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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