Pourquoi la Russie convoite les marchés étrangers

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Par Maxime Krans, RIA Novosti
Par Maxime Krans, RIA Novosti

La Russie exporte depuis longtemps à l'étranger du pétrole et du gaz, des armements modernes et sa célèbre vodka, mais aussi des capitaux. Ces derniers deviennent plus importants chaque année. Cependant, si au départ l'argent avait tendance à quitter le pays par des canaux illégaux ou semi-légaux pour finir dans des paradis fiscaux, le transfert tout à fait légal de ressources financières sous forme d'investissements dans l'économie d'autres pays s'intensifie ces derniers temps.

Le Service fédéral russe des statistiques d'Etat constate que le montant des investissements russes à l'étranger a déjà atteint 74,6 milliards de dollars en 2007, les indices de l'année précédente ayant été dépassés d'environ 44%. Alors que l'afflux d'investissements étrangers dans l'économie russe s'est réduit d'un quart au premier semestre de cette année, les investissements russes à l'étranger se sont à nouveau accrus de 42%.

Il y a quelques années, la "fuite des capitaux" hors du pays était considérée par les autorités russes comme une tendance très négative. A présent, la politique a apparemment fondamentalement changé. Au contraire, les fonctionnaires gouvernementaux invitent désormais les entrepreneurs à racheter plus activement des compagnies étrangères. Intervenant lors du Forum des industriels et entrepreneurs russes lorsqu'il assumait le poste de premier vice-premier ministre, Dmitri Medvedev avait cité en exemple les hommes d'affaires chinois qui ne se gênent pas pour acquérir des actifs étrangers. Les milieux d'affaires russes doivent être certains du soutien de l'Etat sur les marchés mondiaux, en particulier dans les secteurs où la concurrence globale est la plus forte, avait-il affirmé.

Vladimir Poutine qui dirige le nouveau cabinet des ministres a également assuré aux hommes d'affaires que le gouvernement continuerait à "encourager les investissements des compagnies russes à l'étranger". D'après lui, c'est important du point de vue de l'accès aux technologies modernes et aux nouveaux standards de gestion.

Le monde des affaires russe qui se sent depuis ces dix dernières années de plus en plus à l'étroit dans les frontières nationales étend l'envergure et la géographie de ses opérations et accède aux principaux marchés internationaux. Le fait que la crise financière globale ait moins touché la Russie que l'Europe occidentale et les Etats-Unis n'a fait que contribuer à ce processus. En effet, pour compenser leurs pertes dans l'immobilier, les investisseurs occidentaux ont besoin, plus que jamais, de ressources financières supplémentaires. Par conséquent, "l'argent russe" tombe à point nommé.

Certes, la Russie en tant qu'investisseur ne figure pas encore en haut de la liste au niveau mondial. Mais, par rapport à d'autres Etats ayant une économie en transition, les succès qu'elle rencontre dans ce domaine sont impressionnants. Comme le font remarquer les experts, elle est leader pour les volumes d'investissement en Europe centrale et de l'Est, ainsi que dans la Communauté des Etats indépendants.

Les indices de la Russie sont également bons sur les marchés internationaux des fusions-acquisitions. Au premier semestre 2008, le montant total des transactions avec participation du capital russe a atteint 11,4 milliards de dollars et, d'après certaines évaluations, il atteindra en fin d'année 30 milliards de dollars. Les investissements les plus importants ont été effectués au Canada (6,7 milliards de dollars), en Ukraine (6,1) et aux Etats-Unis (5,3). La métallurgie, les hydrocarbures et le bâtiment restent les secteurs les plus prisés: les compagnies russes y ont investi, au total, 9,6 milliards de dollars. Autrement dit, les entreprises russes n'investissent pas seulement dans l'immobilier à l'étranger (hôtels particuliers dans les quartiers prestigieux de Londres et villas sur la Côte d'Azur), comme le laisse penser la presse à sensation ouest-européenne.

Les faits suivants témoignent de l'envergure des transactions: l'année dernière, Norilsk Nickel a dépensé plus de 5,2 milliards de dollars pour l'achat de 90% des actions de la compagnie minière canadienne LionOre, et MirInvest a récemment investi environ 1,5 milliard de dollars dans le rachat de l'usine métallurgique britannique Alpha Steel.

D'après les données du service analytique de M&A-Intelligence, les investisseurs russes sont deux fois plus actifs dans les Etats d'Europe de l'Est que tous les autres étrangers réunis. Mais ce sont les pays de l'ex-Union soviétique qui constituent toujours la sphère des intérêts particuliers de la Russie. Par exemple, UES (Electricité de Russie) a acquis 100% des actions des Réseaux électriques d'Arménie. En Lettonie, les usines de construction de wagons de Riga et de Daugavpils appartiennent au russe Severstal et l'usine de construction de machines électriques de Riga, à EDS-Holding. Le holding Lukoil a investi plus de 2 milliards de dollars dans l'extraction de pétrole au Kazakhstan, en y créant, avec la corporation nationale KazMunaïGaz, la Compagnie pétrolière de la Caspienne.

Parmi les compagnies qui investissent le plus, il convient également de citer Rousski aluminiï, propriétaire d'importantes usines de production d'alumine en Ukraine, en Roumanie et en Guinée, et qui entre en ce moment sur le marché argentin. Depuis plus de quinze ans, Gazprom coopère avec Wintershall, filiale de l'allemand BASF, avec lequel il a créé deux coentreprises: WIEH et WINGAS. Conformément à un accord sur l'échange d'actifs, Gazprom a porté à 50% sa part dans le capital social de WINGAS qui livre une quantité importante d'hydrocarbures aux pays d'Europe occidentale. Quant à BASF, il est devenu son partenaire dans la mise en valeur du gisement Ioujno-Rousskoïe et dans la construction du gazoduc Nord Stream.

Les investissements dans le secteur minier mondial jouent certainement un rôle de premier ordre. Cependant, dans les années à venir, en matière de politique d'investissement, l'accent devrait être mis sur les secteurs innovants. C'est ce que les hauts fonctionnaires russes suggèrent aux entrepreneurs. Bien plus, ils soutiennent activement ces transactions, à l'instar des leaders de nombreux Etats. Parmi les exemples de ce genre, on peut citer l'acquisition par la compagnie aérienne KrasAir du transporteur aérien hongrois Malev, à laquelle l'ancien premier ministre Mikhaïl Fradkov a largement contribué. En 2005, Vladimir Poutine a aidé le consortium Alfa Group à acheter des actions de Turkcell, important opérateur turc de téléphonie mobile. Un an plus tard, il a persuadé le président français et le chancelier allemand de ne pas empêcher l'achat de 5% des actions d'EADS par la banque russe Vneshtorgbank, qui les a ensuite revendues à une autre banque nationale, la Vnesheconombank.

Mais c'est l'achat par le groupe russe Renova d'un important paquet d'actions de la compagnie suisse OC Oerlikon, un des premiers producteurs dans le domaine des nanotechnologies et des technologies des semi-conducteurs, qui est probablement l'acquisition la plus significative de ces derniers temps. Le groupe russe détient actuellement presque 24,4% des parts, et a l'intention d'arriver prochainement jusqu'à un tiers. Renova a également acheté dans ce même pays plus de 30% des actions de Sulzer Engineering spécialisé dans la production d'équipements ultramodernes pour l'extraction et le traitement des hydrocarbures, et de revêtements spéciaux utilisés dans le secteur électrique, l'industrie automobile et l'aéronautique.

La Russie se propose apparemment d'effectuer une percée dans le domaine des hautes technologies, en les mettant au point elle-même ou en les important depuis d'autres pays ayant remporté des succès importants dans ce domaine. En fait, c'est ce que font la Chine et les dragons asiatiques qui à une époque avaient réussi à classer leurs économies parmi les plus développées en agissant précisément ainsi.

Il est vrai, les activités de la Russie dans le domaine des investissements, tout comme d'ailleurs l'expansion galopante de la Chine et de certains riches pays arabes producteurs de pétrole, ne plait pas à tout le monde. Dans un contexte de concurrence croissante, les tendances protectionnistes se font de plus en plus fortes en Europe occidentale. "Nos partenaires issus de pays développés nous ont sans cesse répété qu'il était important d'ouvrir notre économie et de libéraliser notre approche des investissements étrangers, a récemment fait remarquer Vladimir Poutine. Mais lorsque nos propres possibilités se sont accrues, les marchés ont commencé à se fermer devant nos investissements".

L'année dernière, la Commission européenne a même proposé d'interdire la vente de compagnies stratégiques à des investisseurs étrangers. Le gouvernement d'Angela Merkel a approuvé un amendement à la loi sur l'activité économique extérieure durcissant les conditions d'acquisition d'entreprises allemandes par des étrangers. Il est significatif que de grandes associations d'entrepreneurs du pays se soient prononcées fermement contre cette mesure. Le fait est que les investisseurs étrangers permettent de faire travailler 2 millions de personnes en Allemagne. En outre, ces transactions ouvrent aux hommes d'affaires allemands la voie à des marchés très prometteurs, notamment au marché russe.

Outre-Atlantique, pendant que le Congrès américain tient des débats spéciaux consacrés à la menace hypothétique de la conquête par des étrangers des secteurs principaux de l'économie, les milieux d'affaires invitent activement les investisseurs étrangers dans le pays. Le secrétaire américain au Trésor Henry Paulson, qui s'est rendu en juillet à Moscou, a invité les Russes à investir plus activement dans l'industrie américaine et a promis de leur assurer les conditions les plus favorables pour cela.

Quoi qu'il en soit, les dirigeants du bloc économique du gouvernement russe ont l'intention de continuer à soutenir la progression des entreprises russes sur les marchés étrangers. C'est ce qui est notamment prévu dans la conception du développement économique et social du pays jusqu'en 2020, rendue publique début août par ses auteurs issus du ministère du Développement économique. Ce document souligne que la Russie a toutes les raisons de figurer parmi les plus grandes économies du monde et qu'elle jouera dans un proche avenir un rôle important dans la division internationale du travail. Bien entendu, il ne s'agit que d'une prévision, mais il y a toutes les raisons d'estimer qu'elle est parfaitement réaliste.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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