Le plan Medvedev-Sarkozy entre dans la quatrième dimension

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Par Andreï Fediachine, RIA Novosti
Par Andreï Fediachine, RIA Novosti

Tous les 26 ambassadeurs de l'OTAN qui ont séjourné les 15 et 16 septembre à Tbilissi pour tenir, en guise de "cadeau", une réunion extra muros du Conseil de l'OTAN, organe dirigeant du bloc, ont exprimé leur soutien à Mikhaïl Saakachvili et l'ont presque persuadé que la Géorgie adhérerait à l'OTAN sous son régime. Il est vrai, de nombreux experts de l'Alliance affirment, en privé, que cette voie sera longue et qu'elle pourrait prendre plusieurs années. Mais ce sont là des détails. L'adhésion de la Géorgie à l'OTAN, sous Saakachvili ou sans lui, est, en principe, une affaire presque réglée. A moins, bien entendu, qu'un nouveau régime pro-russe au point de jeter l'anathème sur le bloc ne s'installe dans le pays, ou que l'Alliance disparaisse, afin de ne pas irriter Moscou par son mariage officiel avec Tbilissi. Ces deux variantes sont bien évidemment exclues.

Mais même le secrétaire général de l'Alliance Jaap de Hoop Scheffer n'a pas promis concrètement que la Géorgie recevrait dès décembre (au sommet de l'OTAN à Strasbourg et Cologne) le Plan d'action pour l'adhésion (MAP) tant souhaité, bien qu'il ait signé lui-même l'accord cadre sur la création de la Commission OTAN-Géorgie. On est loin du MAP, sorte de "feuille de route" vers Bruxelles, mais la solitude est tout de même déjà loin derrière.

D'ailleurs, il aurait fallu cesser depuis longtemps d'entretenir toute illusion autour du fait que l'OTAN n'admettrait pas dans ses rangs des pays ayant des problèmes territoriaux. Toute l'expérience de la période postsoviétique prouve que n'importe quels engagements, règles et promesses de l'OTAN peuvent facilement changer en fonction des "impératifs du temps". Quoi qu'il en soit, en signe de reconnaissance, Mikhaïl Saakachvili a montré à tous les ambassadeurs un quartier de Gori où ils ont pu voir de nombreux témoignages de "l'agression, nullement provoquée, perpétrée par la Russie" et de l'ampleur des excès barbares de la soldatesque russe. Bref, la feuille de route n'a pas encore été accordée, mais elle le sera probablement en décembre, ou un peu plus tard. Hélas, la question n'est pas là.

Son octroi dépendra dans une grande mesure de la Russie, notamment de la façon dont elle va se comporter dans le processus de "règlement dans le Caucase", qui prend des tournures pour le moins étranges. Il s'agit bien sûr du processus amorcé au mois d'août à Moscou avec la médiation du président français Nicolas Sarkozy, dont le pays assume actuellement la présidence de l'Union européenne, processus qui s'est poursuivi en septembre et qui continuera à suivre son cours saccadé, et de moins en moins compréhensible. Il faudrait que la Russie détermine plus nettement ses actions dans ce processus, notamment leur étendue et leur orientation, ainsi que leur moment. En effet, elle a déjà commencé à agir selon un principe de réciprocité en retirant ses troupes de telles et telles positions avant les délais indiqués dans le plan Medvedev-Sarkozy, alors même que personne ne lui rend la pareille.

Il est évident que ce processus saccadé ne plait pas à de nombreuses personnes, pour la simple raison qu'elles n'arrivent pas à l'orienter dans le sens voulu, autrement dit, dans le sens opposé par rapport aux souhaits et intérêts de Moscou. Naturellement, l'irritation principale est observée du côté de l'administration actuelle de la Maison Blanche. Cela explique la déclaration à première vue étrange de Jaap de Hoop Scheffer dans une interview accordée le 15 septembre au Financial Times. "La variante du maintien des forces russes en Ossétie du Sud et en Abkhazie est inadmissible", a-t-il indiqué, ajoutant que la déclaration du ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov à ce sujet (selon laquelle la Russie maintiendrait 7.600 soldats en Abkhazie et en Ossétie du Sud) était "difficile à avaler". En Russie, cela a été interprété, on ne sait pourquoi, comme un fait sapant les efforts de médiation de l'Union européenne, comme une critique révoltante à l'adresse de l'UE. Il est vrai, le secrétaire général de l'OTAN n'a étonné personne, dans la mesure où il ne pouvait rien dire d'autre au vu du poste qu'il occupe. D'ailleurs, l'Union européenne n'a jamais soutenu aucun déploiement de contingents russes renforcés en Abkhazie et en Ossétie du Sud.

Le processus de règlement subit d'étranges métamorphoses. Analysant toutes les récentes négociations et les déclarations faites à leur issue à Moscou et à Tbilissi, il est difficile de se débarrasser de l'impression de se trouver dans deux mondes parallèles, deux mondes de la réalité et de l'absurde, du présent et du virtuel. Plus précisément, on a l'impression que tous les interlocuteurs avancent selon un parcours qui ressemble au ruban de Möbius. Cette surface tridimensionnelle à un seul côté a ceci de particulier qu'en avançant sur elle dans l'espace, on se retrouve indéfiniment au point de départ. Toutes sortes de choses paradoxales y sont possibles. Par exemple, deux personnes peuvent (bien entendu, en éliminant la force de gravité) y marcher en même temps la tête en haut et la tête en bas. Quelque chose de ce genre se produit dans la "médiation caucasienne". Alors que les parties avancent, semble-t-il, sur la même surface à Moscou, tout se renverse dès que Nicolas Sarkozy arrive à Tbilissi ou revient en France.

Etrangement, tout ce qui est interprété à Moscou comme des ententes fermement enregistrées sur le règlement dans le Caucase est interprété à Tbilissi d'une façon tout à fait différente, c'est pourquoi ces ententes sont altérées, ou bien carrément inversées.

Bien entendu, le règlement politique de tout conflit est un casse-tête complexe, dont l'assemblage ne se fait pas en un jour, ni en un mois, ni parfois même en un an. Mais le processus actuel, invraisemblable et qui inspire, hélas, de moins en moins de confiance dans les médiateurs de l'UE, est d'une régularité à faire peur.

D'abord, Bernard Kouchner a expliqué que la version d'août du plan Medvedev-Sarkozy, ou les six principes Medvedev-Sarkozy, avait été mal traduite en français et en anglais: au lieu de "la sécurité de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud", comme cela est mentionné dans la variante russe, il s'agissait déjà, dans la "variante de Tbilissi", en français et en anglais, de la sécurité "en Abkhazie et en Ossétie du Sud". Il est vrai, on peine à croire que les traducteurs aient été incompétents au point de faire une faute inversant le sens des ententes, bien que des cas similaires soient connus dans l'histoire. Ils ont d'ailleurs été souvent qualifiés par la suite de faux.

Lorsque les 3 points ont été ajoutés en septembre aux principes Medvedev-Sarkozy, l'invraisemblable s'est produit. Bien qu'ils ne mentionnent nullement que des observateurs de l'UE doivent entrer en Abkhazie et en Ossétie du Sud, c'est bien ce que Mikhaïl Saakachvili affirme à présent. Nicolas Sarkozy déclare quant à lui que cela est "conforme à l'esprit" des récentes ententes.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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