Après la guerre caucasienne: bilan préliminaire

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Par Fedor Loukianov, rédacteur en chef du magazine Russia in Global Affairs, pour RIA Novosti
Par Fedor Loukianov, rédacteur en chef du magazine Russia in Global Affairs, pour RIA Novosti

Les conséquences à long terme des événements survenus en août 2008 ne se laissent pas interpréter d'emblée. Ce qui s'est passé a fait sortir au grand jour l'ensemble des contradictions, mécontentements et tensions internes qui s'étaient accumulés durant presque toute la période postsoviétique. Comme l'a fait remarquer le président Dmitri Medvedev, la guerre du mois d'août a marqué la fin de toutes les illusions au sujet de la présence d'un système un tant soit peu fiable de sécurité internationale.

Quelles conclusions pouvons-nous en tirer aujourd'hui?

Premièrement, un dramatique conflit de perceptions, qui surpasse en profondeur les divergences qui s'étaient imposées entre Moscou et les capitales occidentales, est devenu évident.

En Russie, on constate, pour la première fois depuis de longues années, un consensus presque absolu en ce qui concerne l'évaluation de ces événements. Non seulement les dirigeants politiques, mais également la grande majorité des citoyens considèrent les actions de l'armée russe et des dirigeants de la Russie comme forcées (car ceux-ci n'avaient pas d'autre choix) et justifiées à cent pour cent, du point de vue tant politique que moral et même juridique.

Aussi l'opinion publique russe a-t-elle été sincèrement choquée par la réaction extérieure et par le soutien univoque accordé par l'Occident à Mikhaïl Saakachvili, lequel a pourtant violé toutes les normes caractéristiques d'un comportement civilisé. Les hommes politiques et les citoyens russes (qui n'ont que très peu de divergences sur ce point) n'y voient même pas les doubles standards propres à toute politique, mais un cynisme non dissimulé, qui dépasse le cadre de la pratique politique normale.

Deuxièmement, et il s'agit là d'une conséquence du phénomène décrit ci-dessus, un tournant conceptuel se profile dans la politique extérieure russe.

Malgré les difficultés toujours croissantes dans les relations avec l'Occident, l'objectif stratégique de Vladimir Poutine, lorsqu'il était président, était d'intégrer la Russie dans le système international - économique et politique. Si les conditions d'une telle intégration avaient changé, et les exigences augmenté, l'objectif n'avait pourtant jamais été annulé.

A l'heure actuelle, semble-t-il, c'est l'indépendance stratégique qui prime, et non plus les "partenariats stratégiques" qui se sont multipliés au cours des quinze dernières années. La tâche assignée ne consiste plus à intégrer telle ou telle structure. En revanche, l'objectif de consolider sa sphère d'influence afin de renforcer ses positions en tant que "pôle indépendant" dans un monde multipolaire est formulé nettement et sans équivoque, mieux que jamais. Une telle position ne peut pas être qualifiée d'antioccidentale, mais la politique russe cesse d'être centrée sur l'Occident. Cela veut dire qu'elle n'envisagera plus les démarches entreprises à travers le prisme de leur éventuel impact sur les relations avec l'Europe et les Etats-Unis.

Troisièmement, le problème de l'absence d'alliés fiables, dont on parlait depuis longtemps, s'est manifesté de façon brusque et évidente. Moscou devra donc formuler de nouveaux principes pour ses relations avec les pays sur le soutien desquels il compte. La construction d'alliances permanentes est compliquée par des problèmes objectifs, à savoir par la multitude d'intérêts différents qu'a pratiquement chaque Etat dans un monde global. Une tentative dans ce sens est bien possible, mais il est tout de même plus probable que des coalitions ad hoc soient formées en vue de résoudre des tâches concrètes, ce qui correspond davantage aux particularités du monde multipolaire.

Quatrièmement, la Russie, pour la première fois depuis la désintégration de l'Union soviétique, s'est montrée capable de recourir à la force en dehors de son territoire pour protéger ses intérêts. Les Etats voisins se retrouvent donc confrontés à la question des moyens permettant d'assurer leur sécurité. Si l'on simplifie au maximum le dilemme, il s'agit d'une sécurité "contre la Russie" ou "avec la Russie". Un véritable "grand jeu" est en train de commencer dans l'espace postsoviétique, et dans ce jeu, la Russie n'a aucune intention de céder. La polarisation des relations internationales empêche de miser sur une politique à multiples orientations, qui servait jusqu'ici de base à la politique de tous les Etats membres de la CEI.

Cinquièmement, les démarches brutales de la Russie ont démontré que la stratégie occidentale visant à mettre en valeur de manière systématique l'espace géopolitique hérité de l'Union soviétique a montré ses limites.

Les Etats-Unis et leurs alliés européens sont également confrontés au dilemme suivant: adopter une position ferme, en commençant à contenir pleinement les ambitions renaissantes de la Russie, ou bien essayer de trouver un équilibre d'intérêts avec la Russie, en lui reconnaissant le droit d'avoir une position particulière dans sa propre sphère d'influence. La réponse à cette question peut être très différente dans l'Ancien et le Nouveau monde. Théoriquement, une discussion est possible sur la création d'un nouveau système de sécurité avec la participation de la Russie. C'est d'ailleurs ce qu'a proposé Dmitri Medvedev en intervenant à Berlin au mois de juin. Mais, à en juger par la réaction de l'Occident, une telle variante est aujourd'hui presque invraisemblable.

Sixièmement, un problème conceptuel des relations avec les Etats-Unis s'est manifesté. Les USA sont une superpuissance ayant des ambitions de portée globale. Un leader à l'échelle mondiale n'a pas d'intérêts secondaires. Il ne peut rien sacrifier, et pour lui, il ne vaut pas la peine de recourir à un troc, car si quelque chose ne va pas à un seul endroit, un effet domino peut toujours se produire. Il convient donc d'écraser les autres autant que possible. La tentative des Etats-Unis de renforcer leurs positions de leader par le biais d'une démonstration de force et d'une détermination à défendre toutes les sphères d'influence possibles (dans le monde entier) risque de mener à une violente escalade.

Septièmement, dans les années à venir, le monde devra traverser l'étape finale du démembrement de l'ancien système institutionnel, ce qui laisse présager de bouleversements des plus sérieux. La tâche essentielle de la diplomatie mondiale est aujourd'hui simple et très ferme: empêcher le déclenchement d'une nouvelle grande guerre. Promouvoir ses intérêts en l'absence de règles et d'équilibre des forces est une voie qui mène à des cataclysmes des plus graves. Tous les hommes politiques du monde doivent en tenir compte.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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