Centre de l'économie mondiale: un champ de bataille mythique

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Par Vlad Grinkevitch, RIA Novosti.
Par Vlad Grinkevitch, RIA Novosti.

L'économie mondiale cesse d'être unipolaire. A la veille de la crise financière mondiale, l'influence croissante des marchés asiatiques était encore l'un des thèmes de discussion favori. Il est désormais courant de penser que le centre de l'économie mondiale se déplace immanquablement vers l'Est. Les milliardaires américains investissent dans les actifs chinois, changent leurs réserves en monnaie chinoise et on aurait du mal à trouver un pays qui ne vende pas des vêtements, de l'électroménager ou des jouets "Made in China". La crise économique sera un test sérieux pour le nouveau prétendant au rôle de centre économique. S'il rate son examen, le nouveau microsystème économique n'aura pas pour centre un continent unique, mais une multitude de petits îlots.

Dans les années 90, les bonzes du parti communiste chinois ont annoncé la mise en place d'une politique d'offensive économique extérieure globale baptisée "ouverture du marché". L'idée était d'amener les entreprises chinoises sur le marché mondial et d'en chasser cinq cents grosses transnationales. La Chine n'avait d'ailleurs pas d'autre choix car sa pauvreté absolue ne lui laissait pas la moindre chance de développer son industrie grâce au marché intérieur: encore maintenant, les Chinois consacrent une bonne partie de leur argent non pas à la consommation mais à l'épargne. De plus, l'Empire céleste ne pouvait garantir son approvisionnement en matières premières et en technologies modernes qu'en développant les secteurs d'exportation. Les dirigeants de la RPC parlaient avec emphase de l'expansion économique extérieure comme du "principal champ de bataille".

Seulement, il n'y eut aucune bataille: voyant que l'Asie offrait une source inépuisable de main d'oeuvre bon marché, l'Occident a lui-même entrepris d'y arrimer son "lest industriel", ce qui lui a permis de résoudre une foule de contradictions économiques et sociales. Les entreprises du Vieux et du Nouveau monde ont volontiers exporté en Asie leurs capitaux et leurs technologies tout en faisant venir en abondance sur leurs marchés des produits bon marché et de qualité toute relative. Les transnationales occidentales estimaient également que l'Asie et ses millions d'hommes offriraient aussi, par la suite, un débouché inépuisable pour leurs propres produits.

Il est apparu, à la charnière des XXe et XXIe siècles, que la redistribution des cartes de l'industrie mondiale avait placé la Chine dans des conditions exceptionnelles et que ni l'Europe, ni les Etats-Unis, n'avaient intérêt à gâcher leurs relations avec ce partenaire asiatique. Car tout retour de la production dans sa "patrie historique" ou la recherche d'une alternative à "l'atelier du monde" (surnom donné aujourd'hui à l'Asie de l'Est et du Sud-est) font peser la menace d'un collapsus économique. C'est pourquoi l'Occident supporte stoïquement toutes les démarches politiques et économiques de l'Empire céleste.

Mais voilà qu'en plus on découvre "brusquement" un autre problème: l'Asie ou, du moins, les pays asiatiques les plus peuplés, ne sont pas prêts à devenir un marché de réserve pour l'écoulement des produits. Or c'est maintenant qu'il s'avère indispensable, alors que la crise financière menace de frapper le pouvoir d'achat des populations du Vieux et du Nouveau monde. La population pauvre de la Chine et de l'Inde n'est pas prête à consommer pour l'instant: au début du XXIe siècle, les dirigeants chinois ont multiplié les efforts en vue de développer le commerce de détail à l'intérieur du pays. Ils ont dû augmenter les salaires et la masse monétaire. Résultat? La population a préféré consacrer une grande partie de ces moyens supplémentaires à l'épargne et non à la consommation: selon certaines estimations, l'augmentation des dépôts, en Chine, dépasse non seulement l'augmentation du commerce mais aussi celle de la masse monétaire. La plupart des Chinois n'ont pas le coeur à acheter, ils épargnent en prévision de la retraite, de l'éducation de leurs enfants, des soins médicaux, et 70% du PIB est réalisé à l'extérieur du pays.

Au lieu d'être le sauveur de l'économie mondiale, l'Asie devient un facteur supplémentaire de risque. L'économie chinoise, principal acteur de la région asiatique aujourd'hui, a un besoin vital de forte croissance. Jusqu'à 14 millions de personnes atteignent l'âge d'entrer dans la vie active chaque année en RPC et il faut pouvoir leur offrir un emploi. L'économie chinoise doit progresser d'au moins 6% par an pour que la génération suivante trouve du travail et, plus simplement, pour maintenir le niveau de vie actuel. C'est pourquoi tous les documents programmatiques des autorités chinoises s'orientent vers une augmentation annuelle du PIB de 8 à 9%. Or, les marchés occidentaux, voire même les marchés orientaux, ne parviennent pas actuellement à "avaler" tout ce que produit l'industrie de l'Empire céleste, on dénombre jusqu'à 35% de capacités de production pléthoriques en RPC, alors même que des voisins plus chanceux comme le Japon ou la Corée du Sud (autrefois eux-mêmes sites de production bon marché) ont réussi à transférer dans ce pays une partie considérable de leurs productions.

Cela fait près de 400 ans que nous vivons à une époque où l'économie mondiale évolue autour d'un centre unique. L'empire britannique a commencé à jouer ce rôle, puis les Etats-Unis ont pris le relais après la Première Guerre mondiale. A la charnière des XXe et XXIe siècles, il semble que le sort a offert à la Chine une chance d'endosser le costume de force prédominante mondiale. Mais il apparaît que l'Empire céleste demeure tout de même en périphérie, même extrêmement renforcée, et que son succès dépende de la prospérité du centre. Un éventuel krach économique aux Etats-Unis serait capable d'entraîner un collapsus économique en Chine et cela marquerait (éventuellement, encore une fois) le début d'une nouvelle réalité économique présentant une multitude de petits acteurs tous égaux en droits.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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