Les Accords de Munich: à qui la faute?

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Par Ilia Kramnik, RIA Novosti
Par Ilia Kramnik, RIA Novosti

Les tentatives pour réviser les résultats de la Seconde Guerre mondiale et rechercher de nouveaux responsables sont aujourd'hui "de bon ton" dans de nombreux pays d'Europe orientale. En cherchant à classer l'Union soviétique parmi les agresseurs, les révisionnistes considèrent d'habitude la date de la signature du pacte Molotov-Ribbentrop (ou pacte germano-soviétique) comme point de départ de "l'avant-histoire" de cette guerre, en accusant les dirigeants soviétiques d'avoir "délié les mains" de l'agresseur. Cependant, en mettant sans cesse l'accent sur l'été 1939, ils oublient très souvent les événements survenus l'année précédente, en 1938, connus dans l'Histoire sous le nom d'Accords de Munich.

A l'heure actuelle, la Russie déclassifie de nombreux documents relatifs à l'histoire de la Seconde Guerre mondiale et aux événements qui l'ont précédée. Le Traité de Munich ne fait pas exception: le 29 septembre 2008, le Service des renseignements extérieurs de la Fédération de Russie (SVR) a annoncé la déclassification de certains documents diplomatiques et des services secrets de l'époque.

Les Sudètes, une région de Tchécoslovaquie peuplée majoritairement d'Allemands, devint une source de conflits après la fin de la Première Guerre mondiale, lorsqu'à la suite du démembrement de l'Autriche-Hongrie, les Allemands des Sudètes tentèrent de rattacher leur région à l'Autriche, nouvellement formée, ou à l'Allemagne. Toutes leurs tentatives furent cependant réprimées par les troupes tchécoslovaques. Vers 1938, l'Allemagne nazie, qui avait déjà annexé l'Autriche lors de l'Anschluss, se préparait activement au rattachement des Sudètes. Bien que les droits des Allemands des Sudètes n'avaient pas été lésés par le gouvernement tchécoslovaque et que ce gouvernement avait pris des mesures en vue d'organiser un enseignement en allemand (qui plus est, il assura aux Allemands une représentation au parlement et l'autogestion au niveau local), il fut impossible de faire diminuer la tension. Le parti pro-allemand de Konrad Henlein revendiqua le rattachement des Sudètes à l'Allemagne.

Le 15 septembre 1938, au cours d'un entretien avec le premier ministre britannique Neville Chamberlain, Hitler exprima la volonté de sauvegarder la paix, mais par ailleurs, déclara être déterminé à faire la guerre à cause du problème des Sudètes. Résultat: Chamberlain accepta de transmettre les Sudètes à l'Allemagne sous prétexte de respecter le droit des nations à disposer d'elles-mêmes.

A cette époque, la Tchécoslovaquie avait deux accords d'amitié et d'entraide en vigueur: l'un avec la France et l'autre avec l'URSS. Les deux documents prévoyaient l'octroi d'une aide à la Tchécoslovaquie en cas d'agression extérieure. Mais l'exécution de l'accord avec l'URSS dépendait du comportement de la France: Moscou ne pouvait lui venir en aide que si Paris le faisait.

Ainsi, l'opinion de la France, dont l'armée était à l'époque la plus importante en Europe, était décisive. Au cours des consultations anglo-françaises, le 18 septembre à Londres, les deux parties convinrent que les régions dont plus de la moitié du territoire était peuplé d'Allemands devaient être rattachées à l'Allemagne, la Grande-Bretagne et la France se portant garants des nouvelles frontières de la Tchécoslovaquie. Les 20 et 21 septembre, ils déclarèrent au gouvernement tchèque qu'en cas de rejet des propositions anglo-françaises, la France renoncerait à ses engagements pris dans le cadre de l'accord d'entraide. Dans le même temps, en mettant en garde les dirigeants tchécoslovaques contre une alliance avec l'URSS, les ambassadeurs occidentaux déclarèrent que dans le cas où les Tchèques s'allieraient avec les Russes, la guerre pourrait devenir une sorte de croisade menée contre les bolcheviks, et qu'il serait dans ce cas très difficile pour les gouvernements britannique et français de rester à l'écart.

Cependant, l'URSS se dit prête à accorder une aide militaire à la Tchécoslovaquie quelle que soit l'attitude de la France, à la seule condition que la Pologne laisse les troupes soviétiques passer par son territoire (à l'époque, il n'y avait pas de frontière directe entre l'URSS et la Tchécoslovaquie). Néanmoins, comme le démontrent les documents déclassifiés, le gouvernement tchécoslovaque décida de se fier aux garanties françaises et britanniques et de rejeter l'aide soviétique.

Le 22 septembre, l'Allemagne réclama sous forme d'ultimatum le rattachement des Sudètes. La mobilisation fut alors décrétée en Tchécoslovaquie et en France. Le 27 septembre, Hitler fit parvenir une lettre à Chamberlain dans laquelle il affirmait être prêt à garantir les frontières du reste de la Tchécoslovaquie et à examiner les détails du futur accord.

Les 29 et 30 septembre 1938, les chefs de gouvernement allemand, italien, français et britannique se retrouvèrent à Munich. Aucun représentant tchécoslovaque ne fut invité à participer à la rencontre. Vers une heure du matin le 30 septembre, les parties signèrent un accord qui entérinait de fait les revendications de l'Allemagne. Ce n'est qu'après cette signature que la délégation tchécoslovaque fut admise dans la salle, et ce, uniquement pour entendre la décision adoptée par les autres.

La Tchécoslovaquie avait alors le choix entre deux variantes: accepter l'ultimatum et rendre les Sudètes, ou bien faire la guerre à l'Allemagne. En dépit d'une industrie militaire développée, d'une armée n'ayant presque rien à envier à l'armée allemande de l'époque et d'armements d'excellente qualité, l'Assemblée nationale tchécoslovaque accepta la décision de Munich.

L'Allemagne finit par obtenir les Sudètes, avec une population de plus de trois millions de personnes: presque un quart de la population et plus de 20% du territoire de la Tchécoslovaquie, sur lesquels était concentrée presque la moitié de l'industrie lourde du pays.

Evidemment, cette histoire était alors loin d'être finie. La Pologne voulut avoir "sa part du gâteau" et exigea immédiatement qu'on lui remette la Silésie de Cieszyn, qui faisait elle aussi l'objet de litiges territoriaux de longue date. La Tchécoslovaquie étant désormais seule, elle dut également remplir cette exigence. Par ailleurs, la Pologne ne fut pas longtemps propriétaire de ces nouveaux territoires: dès septembre 1939, le pays fut occupé par l'Allemagne et après 1945, la région de Cieszyn fut restituée à la Tchécoslovaquie.

Le 7 octobre, sous la pression de l'Allemagne, Prague décida d'accorder l'autonomie à la Slovaquie, et le 2 novembre, à la décision de Vienne, la Hongrie obtint les régions méridionales de la Slovaquie et de l'Ukraine subcarpatique, avec les villes de Berehove, Moukatchevo et Oujgorod.

En mars 1939, l'Allemagne envahit le reste de la Tchécoslovaquie, l'inclut au sein du Reich en tant que protectorat de Bohême-Moravie. La Slovaquie autonome devint alors un satellite du Reich. L'industrie militaire de l'ex-Tchécoslovaquie servit la Wehrmacht tout au long de la guerre, en fabriquant des centaines de milliers d'armes d'infanterie, des dizaines de milliers de canons, des milliers d'avions, de chars et d'automoteurs.

La Tchécoslovaquie fut la dernière à être libérée de l'occupation nazie: le 9 mai 1945, les troupes de l'Armée rouge s'emparèrent de Prague. Les combats contre des unités séparées du Reich continuèrent toutefois jusqu'au 12 mai.

Ainsi, les Accords de Munich (connus en Russie comme le "complot de Munich") déclenchèrent le plus grand carnage de l'histoire de l'humanité. Il convient de faire remarquer l'étrange imprudence des hommes politiques français et britanniques. Ceux-ci ne parvinrent à atteindre aucun des objectifs qu'ils s'étaient assignés: ni à pacifier l'Allemagne, ni à diriger son agression contre l'URSS. Aujourd'hui, on ne peut tirer qu'une seule leçon des événements survenus en 1938, et notamment la suivante: une opération de contrainte à la paix et non un accord "sur les garanties" ou une "entente sur le cessez-le-feu" représente le meilleur moyen de museler un agresseur manifeste.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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