Evian: l'anti-Munich

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Par Dmitri Kossyrev, RIA Novosti.

On peut réfléchir longuement sur le succès du "projet d'Evian", qui a vu la création en France d'un nouveau centre intellectuel, probablement le premier au monde (par son importance), visant à rechercher des orientations futures pour la politique mondiale: ce projet a été baptisé World Policy Conference. Certains leaders attendus à ce forum politique mondial des chefs d'Etat et de gouvernement ne se sont pas déplacés: est-ce là un bien ou un mal? Une partie des dirigeants qui y ont assisté ne s'y sont rendus que pour prononcer leur discours, avant de disparaître: que dire à ce propos?

En principe, le succès des forums de ce genre dépend de la rapidité et de la fidélité avec laquelle les milieux politiques mondiaux reprennent les idées qui y sont émises. Par conséquent, les fonctionnaires de tout rang doivent participer à ces discussions sur un pied d'égalité, s'ils le peuvent. Mais le succès ou l'échec du "premier Evian" ne sera évident que dans quelques mois, et les années qui viennent seront un véritable test pour la solidité du nouveau projet.

En attendant, on peut s'arrêter sur le fait que le duo final des présidents russe et français, Dmitri Medvedev et Nicolas Sarkozy, a été l'un des événements clés du forum d'Evian. Il ne s'agit pas seulement de leurs monologues, car les deux présidents ont également fait le choix de contacts plus animés avec l'assistance. Quoi qu'il en soit, le sens de ce qu'a déclaré Dmitri Medvedev aux participants (et au monde entier) était assez clair. Il se réduit à ceci: il faut sortir ensemble de cette crise. C'étaient là des paroles attendues, qui devaient être prononcées précisément à cet instant.

Il a proposé pour commencer "de se calmer et de renoncer à la rhétorique de la confrontation".

Dmitri Medvedev a émis une simple idée dans plusieurs variantes: il y a des situations où toutes les considérations courantes passent au second plan. Par exemple, la crise économique, lorsqu'il faut s'attacher avant tout à préserver les fruits du travail de l'humanité, et à maintenir la dignité de son existence. Et ce, non seulement en Russie, mais aussi dans n'importe quels pays et régions, car l'économie est devenue depuis longtemps une affaire globale. Il en va de même de Tskhinval, qui a subi des tirs massifs, puis l'irruption de troupes géorgiennes faisant des centaines de morts. Il a fallu avant tout défendre d'urgence les vies humaines. Tout le reste était secondaire.

Il en va de même de la crise économique: elle est plus importante que les divergences idéologiques entre la Russie et ses partenaires en Europe ou en Amérique, nous réfléchissons là-dessus en tant que partenaires, et non en tant que rivaux ou concurrents: voilà l'idée maîtresse du discours du président russe.

Cette position fondamentale exposée par Dmitri Medvedev est même plus importante que les actions concrètes de Moscou. Mais l'octroi par la Russie d'un crédit de 4 milliards d'euros à l'Islande, la sauvant ainsi d'une catastrophe, ce qui a coïncidé de façon fortuite avec la conférence d'Evian, est une bonne confirmation des paroles du président russe.

Ce dernier a ensuite exposé un plan d'assainissement des finances globales qui coïncide à bien des égards par son esprit avec ce qui a été proposé par son homologue français. Les "cinq points de Dmitri Medvedev" se réduisent à ce qui suit: les opérations financières doivent être transparentes, responsables et contrôlées, il faut cesser d'émettre à tout va des engagements impossibles à garantir.

Ensuite, Dmitri Medvedev a précisé son idée émise antérieurement de conclure un Traité de sécurité collective en Europe, en exposant les principes de cette sécurité, qui sont également au nombre de cinq, entre autres, celui d'une sécurité égale pour tous, sans domination de la part de qui que ce soit.

Il est difficile de dire si les médias mondiaux aborderont à présent la position de la Russie dans l'optique d'un "anti-Munich", en référence au célèbre discours prononcé par Vladimir Poutine en février 2007 au cours de la conférence de Munich, où il avait énuméré tous les aspects de la politique occidentale inacceptables (alors, et aujourd'hui encore) pour la Russie. Le sens de ce discours avait été interprété, à la suite des efforts de certains commentateurs bornés, comme un défi inattendu jeté par la Russie aux 20-30 pays considérés, dans l'ensemble, comme la communauté occidentale, ou "atlantique". D'ailleurs, de nombreuses thèses du discours de Munich, déjà passées dans le domaine courant, ont été répétées cette fois-ci par Dmitri Medvedev. Elles ne font tout simplement plus sensation.

Le fait est que le sens principal du discours de Vladimir Poutine était tout à fait différent, et n'était pas une surprise, parce que Munich avait été précédé du 11 septembre 2001, alors que la présidence de Vladimir Poutine venait de commencer, tout comme celle de Dmitri Medvedev commence actuellement. Poutine avait, en fait, déclaré ce que Medvedev a déclaré à Evian: il y a des problèmes majeurs sur lesquels la Russie et le monde entier, y compris l'Occident, agissent ensemble. Il y a eu bien sûr d'autres discours de ce genre.

A présent, Dmitri Medvedev a rappelé avec regret qu'à cette époque-là on avait "laissé passer une chance historique, celle de la désidéologisation de la vie internationale et de l'édification d'un ordre mondial véritablement démocratique". Il a rappelé que la Russie avait alors tendu la main sans hésiter aux Américains "en vue de surmonter définitivement la division du monde, séquelle de la guerre froide".

Mais, comme l'a souligné Sergueï Lavrov dans son récent discours à l'ONU, les Etats-Unis décidèrent de "privatiser" la solidarité mondiale face à la menace commune, en attendant de leurs partenaires l'application de la politique choisie par Washington. Cela entraîna les événements suivants: en plus d'une guerre insensée en Irak qui n'a pas été acceptée par la Russie (et les grands de l'Europe), on a assisté à des tentatives de diviser l'Europe entre "vieille" et "nouvelle", et à l'implantation artificielle de régimes antirusses (y compris en Géorgie). Mais, comme l'a déclaré alors Sergueï Lavrov, cette époque est arrivée à sa fin logique. Une nouvelle époque a commencé.

A Evian — qui marque son début — le président russe a de nouveau parlé de la solidarité de la Russie avec ses partenaires occidentaux dans la lutte contre les menaces les plus graves. Espérons que, cette fois, les leçons de l'époque précédente seront tirées.

Mais les choses ne doivent pas s'arrêter là, car les problèmes internationaux ne se réduisent pas à l'incompréhension entre la Russie et l'Occident. Ils sont plus profonds et résident dans la crainte des changements globaux qui ronge particulièrement la civilisation occidentale. C'est bien en vue d'examiner ces problèmes qu'a été créé le forum d'Evian.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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