Conflit caucasien: le dialogue est déjà un succès

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Par Dmitri Kossyrev, RIA Novosti
Par Dmitri Kossyrev, RIA Novosti

La rencontre "caucasienne" de mercredi dernier à Genève a-t-elle été un succès ou un échec? La discussion à ce sujet est sans doute plus intéressante que la rencontre elle-même. Plus précisément, que la première étape de cette rencontre (la seconde est prévue pour le 18 novembre).

Evidemment, chaque partie au conflit - la Géorgie, la Russie, l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie - évoque son propre succès et l'échec de ses adversaires. Pour Viktor Zavarzine, président du comité de la Douma pour la Défense, nous avons assisté à "une grande réalisation de la politique extérieure russe". Les Ossètes et les Abkhazes ont eux aussi des raisons d'être contents. Le quotidien Kommersant raconte que le ministre abkhaze des Affaires étrangères, Sergueï Chamba, a déclaré à l'issue de la réunion: "Le statut [proposé] ne nous a pas satisfaits, c'est pourquoi la conversation ne s'est pas poursuivie. Il est absurde de procéder à une discussion sans nous. Rien ne peut être décidé dans cette région sans l'Abkhazie. Et sans l'Ossétie du Sud d'ailleurs". Quant à la partie géorgienne, elle parle elle aussi de son propre succès.

On doit cependant se demander qui a sapé la réunion de Genève, et si celle-ci a vraiment été sapée. Le président géorgien, Mikhaïl Saakachvili, a déclaré que les représentants russes avaient refusé de participer aux consultations sur la sécurité en Transcaucasie et avaient ainsi fait échouer la rencontre. "On peut dire que la réunion a été sapée par la partie géorgienne", indique pour sa part Viktor Zavarzine. Le Kommersant, de son coté, estime que ce sont l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud qui sont responsables de cet échec.

Il est curieux de noter qu'une situation semblable a caractérisé la réunion de la Cour internationale de justice (CIJ) qui se tenait presque simultanément à La Haye. La CIJ, saisie par la Géorgie, a obligé Moscou et Tbilissi à adopter des mesures temporaires visant à défendre les droits de la population de l'Ossétie du Sud, de l'Abkhazie et des régions voisines de la Géorgie. Tina Bourdjaliani, vice-ministre géorgienne de la Justice, a déclaré aux journalistes que la décision adoptée par le tribunal était celle voulue par la Géorgie. Moscou n'est pas non plus trop attristé par le document évasif émis par La Haye, et rappelle que sept des quinze magistrats ont partagé la position russe en estimant que la cour n'était pas compétente dans cette affaire.

En somme, le tableau actuel n'a rien d'une surprise. Tout le monde veut faire étalage de ses propres succès devant les électeurs. Et tout le monde - au stade actuel - juge impossible de faire des compromis ou de montrer une quelconque faiblesse. Mais essayons d'analyser qui a eu besoin d'organiser des discussions internationales sur la situation en Ossétie du Sud et en Abkhazie et pourquoi. Rappelons que ces discussions figurent dans le Plan Medvedev-Sarkozy.

Cette rencontre genevoise, et ceci est important, a été conçue comme une conférence. Or, les conférences aboutissent rarement à des décisions, car elles ont avant tout pour objectif de permettre à tous les participants d'exprimer librement leurs opinions, et pas plus que cela. D'ailleurs, après une discussion comme celle de Genève, on pourrait s'attendre tout de même à quelque décision relative à la situation humanitaire dans la zone du conflit. Mais l'UE, la Russie, la Géorgie ou n'importe qui d'autre ne peuvent adopter eux-mêmes des décisions en ce sens qu'après avoir compris la situation grâce aux discussions ayant eu lieu dans le cadre de la conférence.

La partie russe voulait que tous les faits soient mis sur table? Oui, elle y aspirait. Mais ceci aurait eu lieu dans tous les cas, quel que soit le scénario de la conférence, à la seule condition que les Abkhazes et les Ossètes y prennent la parole. Il n'y a donc rien d'étonnant au fait que la délégation russe ait refusé de rencontrer la partie géorgienne, lors d'une séance plénière, en l'absence des représentants de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie. Cependant, il est toujours possible de trouver des voies détournées. Les médiateurs de l'ONU, de l'UE et de l'OSCE ont donc proposé que les représentants de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie rejoignent les participants à la rencontre plus tard, au cours des discussions dans le cadre de deux groupes de travail, pour la sécurité et les réfugiés. A été inventée une variante de rencontre informelle entre la délégation russe, les représentants abkhazes et sud-ossètes, le représentant spécial de l'UE en Géorgie Pierre Morel et la délégation américaine conduite par le sous-secrétaire d'Etat Daniel Fried, sans la participation des Géorgiens. Mais cette variante n'a pas été approuvée par l'Abkhazie.

Essayons maintenant de comprendre ce que la Russie veut obtenir à Genève. La reconnaissance de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie en tant que participants incontournables aux négociations? Oui, sans aucun doute. La publication des faits démontrant que la Géorgie est coupable de génocide et qu'elle doit en assumer la responsabilité? Certainement. Le format de la réunion importe peu pour la Russie: ces choses-là peuvent se dérouler dans une, deux ou trois salles, on peut se réunir avec ou sans les Géorgiens... Il existe nombre de précédents de la sorte: les premières négociations à Camp David entre Israël et la Palestine ou la "diplomatie de la navette" de Henry Kissinger à la fin de la guerre du Vietnam, par exemple.

Or, il existe un objectif beaucoup plus important, qui n'est autre que la "sécurité européenne". Moscou souhaite participer à une discussion sérieuse avec l'Europe en vue de trouver un moyen pour que les événements de la nuit du 7 au 8 août 2008 à Tskhinvali ne se reproduisent plus jamais. Moscou veut que la Russie ne soit plus jamais obligée d'envoyer ses troupes pour sauver la population de l'Ossétie du Sud.

Moscou souhaite également que l'Europe (et les Etats-Unis, lorsqu'ils auront passé les soubresauts liés à l'élection présidentielle et à d'autres choses) réfléchisse sérieusement à un nouveau mécanisme de prévention et de règlement des crises de ce genre. Cette fois-ci, la prévention n'a pas marché du tout (bien que les diplomates américains aient promis de "retenir Saakachvili"). Et pour ce qui est du règlement, on a tout simplement eu de la chance que ce soit justement le président Sarkozy qui assume à ce moment la présidence de l'UE. A part lui, les leaders européens n'ont rien fait de plus pendant la guerre que de "prendre leur quart" en permanence à Tbilissi, ville que les Russes n'envisageaient pas du tout d'attaquer.

Il importe que les faits soient examinés et que le dialogue se poursuive. L'actuelle zizanie à Genève joue elle aussi son rôle: elle montre aux Européens et aux Américains qu'il est des situations dans lesquelles la mécanique de la sécurité européenne ne fonctionne pas.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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