Russie-Turquie: alliance tactique ou partenariat stratégique?

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Par Ilgar Velizade (Azerbaïdjan), pour RIA Novosti
Par Ilgar Velizade (Azerbaïdjan), pour RIA Novosti

Une visite du président turc Abdullah Gül à Moscou est prévue pour fin octobre - début novembre. Tout en évitant les superlatifs du style "nouveau jalon de la coopération" ou "visite historique", il est tout de même difficile de ne pas accorder une importance exceptionnelle à ce déplacement du chef de l'Etat turc. Cela vaut tant pour les deux pays que pour la région dans son ensemble.

La proposition d'Ankara de conclure un Pacte de paix dans le Caucase n'est qu'un prétexte pour afficher le désir de jouer un rôle plus actif dans la politique mondiale. La Turquie est l'unique pays de l'OTAN limitrophe de deux points chauds d'envergure planétaire: l'Irak et la Géorgie. Il serait dommage de ne pas tenter d'utiliser avantageusement cette situation. On le comprend parfaitement sur les côtes du Bosphore. C'est pourquoi la Turquie entreprend actuellement de sérieuses démarches en vue de saisir cette chance historique et d'agir non seulement en tant que puissance régionale, mais aussi comme un maillon important du système de sécurité international.

Pour réaliser ses ambitions en matière de politique étrangère, Ankara fait preuve d'une grande souplesse. En ce sens, on retient en particulier le rapprochement des positions de la Turquie et de la Russie sur certaines questions d'importance fondamentale de la politique internationale. Pour trouver une approche du règlement des problèmes cruciaux, il faut certes un dialogue, mais un dialogue orienté sur l'obtention de résultats concrets. Bref, le temps est venu de s'entendre. Moscou et Ankara l'ont compris au moment opportun. Il n'est pas fortuit que la position mesurée occupée par la Turquie durant et après la guerre des cinq jours dans le Caucase ait permis d'éviter des conséquences plus lourdes pour les pays de la région, si par exemple Ankara avait tout de même décidé de se ranger du côté de Tbilissi.

Les intérêts à long terme de la Turquie et de la Russie coïncident dans le Caucase. En témoigne aussi bien le niveau des contacts entre les dirigeants des deux pays que l'intensification du dialogue sur plusieurs domaines très importants de la politique régionale et internationale.

Le rapprochement entre les deux pays s'est répercuté également sur le processus de règlement de tout un ensemble de problèmes régionaux liés au conflit autour du Nagorny-Karabakh. Le dialogue entre Ankara et Erevan amorcé en septembre, soutenu activement par Moscou et accueilli avec compréhension à Bakou, s'est prolongé dans des rencontres et consultations ultérieures entre les leaders des pays de la région. La proposition faite par le président russe Dmitri Medvedev aux dirigeants de l'Azerbaïdjan et de l'Arménie de se rencontrer à Moscou en vue de discuter des moyens de régler le conflit du Nagorny-Karabakh va pouvoir être concrétisée, entre autres, grâce aux efforts de la Turquie. L'activité de Moscou sur ce plan ne trouble pas Ankara. L'essentiel est d'arriver à un résultat. Les hommes politiques turcs déclarent carrément que le rapprochement turco-russe peut avoir des effets directs sur le règlement de ce vieux foyer de tension.

Cependant, le rapprochement politique entre Moscou et Ankara est loin de faire l'unanimité en Europe, et encore moins outre-Atlantique. Certains avancent qu'Ankara devra choisir clairement avec qui il joue, et à quoi.

En Anatolie, on a son propre point de vue sur la question. On y a toujours considéré ses propres intérêts comme la base de la politique étrangère, et la Turquie n'est pas pressée d'abandonner ce principe. Même un évènement aussi important que l'élection de la Turquie en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité de l'ONU (pour la première fois depuis 1962) n'a apporté aucun changement à la politique étrangère d'Ankara. Ce point a été récemment confirmé par le ministre turc des Affaires étrangères Ali Babacan, qui a même ajouté que son pays maintiendrait sa position sur Chypre et continuerait à tenir le même discours sur le problème caucasien.

Pour revenir à la visite du président turc à Moscou, il convient de souligner que, bien que la composante politique des rapports bilatéraux prévale, le niveau des relations économiques et commerciales est également assez élevé. Ainsi, ces dernières années, la Russie occupe une solide deuxième place (après l'Allemagne) dans le chiffre d'affaires des échanges commerciaux turcs. Le volume et le caractère des investissements bilatéraux retiennent également l'attention.

Les investissements turcs dans l'économie russe ont constitué en 2007 environ 3,9 milliards de dollars. Cet argent a été consacré au développement des industries agroalimentaire, de la verrerie, électrotechnique, de transformation du bois, de production de matériaux de construction, de produits d'entretien, ainsi que du secteur tertiaire, du commerce, du tourisme et des activités bancaires. Le plus grand projet d'investissement actuel de la part de la Russie concerne la téléphonie mobile turque: rappelons l'acquisition par le russe Alfa Telecom de 13,2% des actions de Turkcell, premier opérateur mobile du pays, pour 3,2 milliards de dollars. Ces derniers temps, les compagnies russes ont également commencé à manifester leur intérêt pour les investissements dans d'autres branches de l'économie de la Turquie, entre autres, dans le secteur énergétique, la sidérurgie et la production de matériaux de construction.

Le Conseil d'affaires russo-turc auquel participent 36 régions de la Russie et plus de 150 entreprises turques contribue à l'établissement et au renforcement des contacts économiques avec les régions russes. Bien entendu, dans le contexte de la crise économique mondiale, le tableau de la coopération en matière d'investissement peut changer, mais il ne peut être question d'abandonner ces projets, pas plus que d'une disparition de l'intérêt mutuel des entrepreneurs des deux pays.

Le Premier Forum économique mondial pour l'Europe et l'Asie centrale qui se tiendra du 30 octobre au 1er novembre prochain à Istanbul en est une confirmation éclatante. Guerman Gref, patron de la Sberbank (Banque d'épargne), y prononcera un discours en qualité de coprésident de la manifestation. Dans l'ensemble, la délégation russe sera l'une des plus représentatives. Il n'est pas exclu que ce forum puisse apporter des réponses à la question de savoir comment se développera la coopération économique et commerciale, et par quelles tendances elle se caractérisera.

Des siècles durant, Russie et Turquie ont été des rivaux. Cette rivalité a conduit souvent à des guerres de longue durée. Les ambitions des deux Etats étaient alimentées par une idéologie fondée sur le concept d'exclusivisme national... Mais à présent, alors que les représentations habituelles et les stéréotypes cèdent la place à des schémas rationnels et des approches pragmatiques dictés par le réalisme politique, le niveau des rapports, souvent qualifiés d'union tactique, se transforme à vue d'oeil en partenariat stratégique. La visite du président turc dans la capitale russe est appelée à démontrer l'intensité de ce processus.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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