Russie-UE: la reprise du dialogue à Nice

S'abonner
Par Andreï Fediachine, RIA Novosti
Par Andreï Fediachine, RIA Novosti

L'Union européenne a décidé qu'elle avait déjà suffisamment "puni" la Russie pour la "guerre caucasienne" et qu'on pouvait maintenant mettre fin à la pause diplomatique dans le processus d'établissement d'un nouveau partenariat avec Moscou. Au cours de la réunion du Conseil affaires générales et relations extérieures de l'UE au niveau des ministres des Affaires étrangères et des ministres de la Défense, à Bruxelles les 10 et 11 novembre, il a été décidé: a) d'organiser le sommet UE-Russie programmé pour le 14 novembre et b) de reprendre les négociations portant sur le nouvel accord de partenariat et de coopération avec Moscou. Ces dernières avaient déjà été reprises le 4 juillet dernier mais gelées le 1er septembre, à la suite de la guerre de cinq jours dans le Caucase.

Benita Ferrero-Waldner, commissaire européenne pour les relations extérieures, a fait savoir que les négociations reprendraient très probablement après la rencontre de Genève sur le règlement du conflit dans le Caucase et non au lendemain du sommet du 14 novembre dans la Riviera française. D'ailleurs, ce n'est pas la date qui importe, mais le fait même que les négociations reprennent. Et ce qui s'est passé au cours de la rencontre de Bruxelles est encore plus important.

Cette dernière réunion ministérielle de l'UE a été consacrée en grande partie à la "question russe". On y a vu des choses intéressantes. La Lituanie s'est retrouvée isolée étrangement vite, en continuant d'insister pour que personne "ne serre plus la main" de la Russie. Elle a été la seule des 27 à s'opposer à la reprise du dialogue. Même les "russo-sceptiques" comme la Scandinavie, la Grande-Bretagne, l'Estonie, la Lettonie et la Pologne ont soutenu l'idée de rompre la pause dans les négociations. Varsovie a notamment décidé qu'il valait mieux "suivre le courant principal", comme l'a déclaré le ministre polonais des Affaires étrangères, Radoslaw Sikorski.

La Lituanie en a sans doute décidé autrement. Et ce, malgré le fait qu'à la veille de la rencontre, la Commission européenne ait distribué aux membres de l'UE une circulaire portant sur la position européenne à l'égard de la Russie. Le document, signé par le Haut représentant de l'UE pour la politique étrangère et de sécurité commune Javier Solana, indiquait ouvertement que la reprise des négociations avec la Russie était d'une nécessité urgente. Il soulignait que sans la Russie, il était impossible de régler les problèmes du Proche-Orient, de l'Iran et de la Corée du Nord ainsi que les conflits gelés en Europe, les problèmes du terrorisme, de la sécurité nucléaire, de la stabilité, mais aussi la crise financière... De surcroît, la Russie assure la stabilité énergétique de l'Europe, et il serait préférable d'avoir de bonnes relations avec ce genre d'Etats.

Il convient de rappeler ici que ce sont la Pologne et la Lituanie qui avaient bloqué, jusqu'à l'été dernier, le début des négociations sur le document appelé à constituer une nouvelle base juridique des relations entre Moscou et Bruxelles dans tous les domaines, du commerce à la culture en passant par les sports. L'ancien accord a expiré en décembre 2007, mais il aurait pu être prolongé indéfiniment. La Pologne avait été vexée que la Russie cesse d'importer du "mauvais" porc et refuse d'acheter des légumes "douteux" en provenance de Pologne. Elle a ensuite levé son veto sur l'octroi du mandat de négociations à Bruxelles. La Lituanie, elle, était offensée par l'occupation [soviétique], par des livraisons insuffisantes de pétrole, l'absence de compensations et par bien d'autres choses qui avaient peu à voir avec l'Union européenne en tant que telle. Ce n'est que l'été dernier qu'on a réussi à la convaincre de lever ses objections, ce qui a finalement permis d'obtenir le mandat de négociations. Mais la "guerre caucasienne" a offert à la Lituanie un bon prétexte pour se vexer en soutien à son allié Mikhaïl Saakachvili. Ce fait prouve à lui seul que les raisons des objections de Vilnius résident ailleurs que dans les problèmes du pétrole, de l'occupation ou des compensations. Si l'on a des objections, on trouvera toujours des raisons pour les justifier. L'une des déclarations faites au cours de la réunion en question atteste d'ailleurs que l'UE a changé d'avis sur le "conflit caucasien". Et notamment, Jaak Aaviksoo, ministre estonien de la Défense (l'Estonie a jusqu'ici considéré la guerre sud-ossète comme l'oeuvre de la Russie), qui a indiqué aux journalistes: "Nous devons reconnaître que la confiance en Tbilissi a été fortement détériorée. D'après certains pays, la Géorgie agit de façon imprévisible".

Bref, les choses ont pris une mauvaise tournure pour la Lituanie au cours de la dernière réunion bruxelloise. Vilnius espérait obtenir le soutien de la Pologne, de la Grande-Bretagne et des "Vikings", mais il en a été pour ses frais. C'était une traîtrise, et même davantage. On a rappelé à la Lituanie qu'elle pouvait avoir une multitude "d'opinions particulières" mais que lors des réunions de ce genre, les décisions étaient adoptées à la majorité simple et non pas sur la base d'un consensus. La même Benita Ferrero-Waldner a expliqué que personne n'avait annulé le mandat de négociations (c'est uniquement pour le délivrer qu'il était nécessaire d'obtenir l'approbation des 27 Etats membres de l'UE) et que celui-ci ne devait pas être confirmé. Le mandat reste en vigueur et l'UE est prête à aller de l'avant. Qui plus est, l'Union doit cesser de faire traîner en longueur les négociations, car certains pays membres (ils n'ont pas été indiqués directement mais il s'agit de l'Italie, de l'Allemagne et de la France) sont déjà prêts à conclure des transactions bilatérales avec la Russie. Et ce, pour la simple raison qu'ils en ont assez de l'inimité rudimentaire des gouvernements baltes à l'égard de la Russie, qui empêche l'Europe de poursuivre les négociations et de développer les relations commerciales et financières avec Moscou. La Russie n'est pas qu'un robinet de gaz pour l'Europe. Elle représente également un débouché colossal pour la production européenne. Or, on ne discute pas devant ce genre de marché. Fin octobre dernier, les échanges commerciaux entre Moscou et Bruxelles se sont accrus de 37 milliards d'euros, par rapport à la même période de 2007, ayant atteint 170 milliards d'euros. La lettre de Javier Solana mentionnée ci-dessus indiquait notamment que l'UE ne pouvait pas négliger le fait que toujours plus de réserves de change étaient converties en euros en Russie et que ce pays représentait à l'heure actuelle l'un des plus importants "détenteurs d'euros" dans le monde.

Ainsi, il est déjà clair que l'UE annoncera officiellement, lors de la réunion de Nice, la reprise du dialogue et des négociations. Mais leur déroulement et leur résultat ne sont pas encore évidents. Le représentant permanent russe auprès de l'UE Vladimir Tchijov dit que les relations entre la Russie et l'Union européenne ne se réduisent pas aux négociations sur le nouveau pacte stratégique et que la partie russe "ne fétichise pas le processus de négociations". "Nous avons besoin du nouvel accord de base et des négociations le concernant dans la même mesure que l'Union européenne en a besoin, ni plus ni moins". L'Europe aimerait beaucoup changer le comportement commercial de la Russie, sans pour autant trop changer le sien. Bruxelles n'aime pas ce qu'il qualifie "d'obstruction russe dans les questions commerciales". Or, cette "obstruction" est la conséquence directe des atermoiements dans l'adhésion de la Russie à l'OMC. Il s'agit de l'annulation par Moscou de ses engagements unilatéraux pris auparavant dans l'objectif de correspondre davantage aux normes de l'OMC. Ces engagements n'ont cependant en rien rapproché la Russie de l'intégration à ce club mondial du commerce, et il a été décidé de les abandonner pour l'instant.

Mais ceci suscite le mécontentement de l'UE. Bruxelles désapprouve plusieurs choses: a) l'industrie européenne de transformation du bois pâtit de l'augmentation par la Russie des taxes à l'exportation du bois; b) les limitations strictes sur le taux de pesticides autorisés dans les produits carnés importés de l'UE, ce sont [selon l'Europe] des "restrictions commerciales cachées destinées à protéger le producteur national" qui peuvent mener à l'interdiction totale des importations en Russie de viandes et volailles européennes; c) le déchargement obligatoire des prises de pêche dans les ports russes est qualifié de "forme de restrictions commerciales". L'Europe insiste également pour que la Russie signe avec elle un accord autorisant les compagnies aériennes européennes à survoler gratuitement la Sibérie, en le posant comme préalable à son adhésion à l'OMC. Selon la Commission européenne, ces compagnies doivent aujourd'hui payer au total 350 millions d'euros pour le survol de cette partie de la Russie.

La reprise des négociations est une bonne chose. Mais ce n'est pas encore une raison de jubiler. Ce n'est pas le début des négociations mais leur achèvement qui représentera une percée en la matière, comme l'a estimé Vladimir Tchijov. Et c'est là une sainte vérité diplomatique.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала