Etats-Unis: le renseignement d'accord pour enterrer l'avenir

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Par Andreï Fediachine, RIA Novosti
Par Andreï Fediachine, RIA Novosti

Les services du renseignement américains ont publié de nouvelles prévisions concernant les grandes tendances du développement global. Mieux vaudrait que celles-ci ne soient pas portées pour l'instant à la connaissance du président américain nouvellement élu, Barack Obama : elles seraient de nature à gâcher les festivités liées à son investiture, le 20 janvier. Tout est dépeint dans ce document sous un jour particulièrement mauvais pour les Etats-Unis, car non seulement leur présent, mais aussi "leur avenir est vide et sombre". Ou peu s'en faut. La seule chose qui pourrait l'apaiser, c'est que les prévisions ne concernent que ce vers quoi se dirige l'Amérique, et avec elle le reste du monde, en 2025, une échéance à laquelle ni Obama, ni la plupart des dirigeants actuels, ne seront plus au pouvoir. Mais leurs enfants, leurs enfants�

Tout ce qui est le plus alarmant dans ce rapport est consacré à l'Amérique. De toutes les études de ce type réalisées à ce jour - elles paraissent tous les quatre ans, la présente édition étant la quatrième depuis 1997 -, le dernier rapport est le plus sombre. Bref, ce ne sera pas une partie de plaisir pour Barack Obama de lire le rapport du NIC (National Intelligence Council - Conseil national du renseignement) intitulé "Global Trends 2025 : A World Transformed" (Tendances Globales 2025 : Un Monde Transformé).

Pour la Russie, les experts ont trouvé non pas une bonne prévision, mais carrément plusieurs. Si l'on met de côté la "diminution" de notre population, annoncée par le Conseil pour 2025, qui passera des 141 millions d'habitants actuels à 130 millions (ce que nous savons déjà, sans lui), les Russes continueront d'être aidés par leur gaz et leur pétrole, et même par le réchauffement global attendu. Selon les experts, l'Union européenne ne sera pas parvenue, en 2025, à diversifier ses fournisseurs de ressources énergétiques et conservera sa dépendance vis-à-vis des importations, et donc vis-à-vis des livraisons de gaz naturel russe. L'augmentation de la consommation européenne est prévue à hauteur de 60%. En 2025, 57% de l'ensemble des réserves mondiales de gaz seront concentrées en Russie, en Irak et au Qatar. De nombreux producteurs actuels de pétrole auront perdu leurs positions, et près de 40% du pétrole produit sera concentré entre les mains de 6 Etats. Ceux-ci sont cités dans l'ordre suivant : Russie, Arabie saoudite, Iran, Koweït, Emirats arabes unis, Irak. Si l'on prend en compte la totalité des réserves de gaz et de pétrole, il y aura en 2025 deux grandes Puissances énergétiques mondiales : la Russie et l'Iran.

Certains pays souffriront gravement du réchauffement climatique, que ce soit en raison des inondations ou de la sécheresse. Mais la Russie ne fera que gagner à ce réchauffement global. Si l'on en croit les "Global Trends", ce réchauffement et le déplacement des zones climatiques lui offriront : a/ une augmentation de ses terres cultivables et une période d'ensemencement plus longue; b/ un accès plus facile au gaz, au pétrole et à d'autres richesses minérales de l'Arctique. La Russie tirera également des avantages économiques et commerciaux de l'ouverture des voies maritimes dans sa zone arctique. Que les glaces fondent, donc.

Il se pourrait, bien sûr, que la Russie ne profite pas de tous ces avantages, si elle n'investit pas sérieusement dans le capital humain, n'élargit pas et ne diversifie pas son économie (pour dire les choses autrement, si elle ne réduit pas la dépendance de l'économie vis-à-vis des exportations énergétiques) et n'intègre pas les marchés mondiaux. Notre influence ne progressera pas, non plus, si les prix du pétrole ne dépassent pas 50 à 70 dollars le baril.

Si l'on en croit le rapport, les Etats-Unis vont continuer de perdre leur poids et leur influence jusqu'à la fin du premier quart du XXIe siècle, tout en demeurant une grande puissance ; mais ils perdront leur influence dominante et ne seront qu'un "égal parmi leurs pairs". Il en sera de même du dollar. La niche d'influence libérée par l'Amérique sera comblée par le Brésil, l'Inde, la Chine et, comme le dit le rapport, la "Péninsule coréenne" (les deux Corées étant, visiblement, alors réunies). Une certaine "forme d'union" est même pronostiquée pour ces trois dernières. Le monde sera multipolaire, les modèles occidentaux du libéralisme économique, de la démocratie perdront leur force d'attraction (c'est ce qui se produit déjà). L'Union européenne aura cédé elle aussi de son influence et sera devenue un "géant creux". Des guerres pourront voir le jour pour les ressources, l'eau, le pétrole, le gaz� Une vision terrible.

Ce serait encore plus terrible s'il ne fallait pas prendre en compte quelque chose. Premièrement, ce ne serait pas la première fois que des rapports de ce type "se trompent". Dans les Tendances 2010, Tendances 2015 et Tendances 2020, les analystes du renseignement et les experts avaient prédit, par exemple, sur certains points, exactement le contraire de ce qu'ils annoncent aujourd'hui : non pas une baisse, mais un renforcement du rôle et de l'influence de l'Union européenne, ainsi qu'une croissance permanente, stable des économies occidentales d'environ 2% par an. C'est ce qui devait se produire en 2010. Ce n'est pas très loin de l'époque actuelle.

Ces rapports ne sont pas des prévisions ou des pronostics précis, mais plutôt un rappel aux administrations américaines de ce qui pourrait arriver si elles ne pratiquent pas telle ou telle politique. C'est à la fois une base de réflexion et un instrument pour faire avancer cette réflexion dans une direction donnée.

Pour savoir si un avenir aussi effroyable nous attend véritablement, et dans quelle mesure le NIC est objectif dans ses évaluations, il n'est pas mauvais de rappeler ce qu'il est véritablement. Le Conseil national du renseignement est le principal "brain trust" auprès du directeur de la CIA, Michael McConnell, lequel a en charge l'analyse stratégique à moyen et long termes. C'est de lui que dépend directement le patron actuel de cette "agence Nostradamus", Thomas Fingar. Le Conseil "ravitaille" toute la direction américaine, et sa principale marchandise, ce sont les Evaluations du renseignement national (National Intelligence Estimates), dont une grande partie, naturellement, est tenue secrète, mais dont des "extraits" sont toujours distillés à la presse. Le Conseil, comme aiment à le dire ses collaborateurs, a pour vocation d'"analyser l'horizon". Cela le conduit parfois à s'aventurer bien au-delà de la ligne d'horizon fictive, pour des raisons purement politiques. Le NIC, comme cela se produit fréquemment avec n'importe quelle organisation de renseignement créée auprès des administrations, et pour elles, "se démarque d'avec la ligne politique" de manière modérée. Ce n'est absolument pas une particularité endémique propre à l'Amérique : c'est la caractéristique génétique de quasiment toutes les formations de ce type. De celles-là même qui, "ayant mûri" (or, le NIC a été créé en 1979), ont bien compris avec le temps que ce que l'on attend d'elles, ce ne sont pas des prophéties à la Nostradamus, mais "ce qu'on a besoin d'entendre".

Le NIC doit effectuer de ce point de vue une tâche peu enviable. Il doit, en principe, coordonner et "unifier" l'analyse de tous les centres de renseignement américains - la CIA, la Direction du renseignement du département de la Défense (le GRU russe), le renseignement politique du Département d'Etat, les renseignements de l'Armée, de l'Aviation, de la Marine, du Service des frontières, du ministère des Finances, du ministère de l'Energie et, pour finir, le FBI (qui s'occupe du contre-espionnage). Et c'est en cela que réside le principal "hic". Toutes les administrations tirent, naturellement, la couverture à elles, s'efforçant de pousser le président, les ministères, le Congrès vers les mesures ou les lois dont elles ont besoin. C'est la raison pour laquelle des discussions très chaudes surgissent toujours autour de l'élaboration du principal "produit" du NIC, ce que l'on appelle les Evaluations du renseignement national, et autour également des analyses de renseignement thématiques. Il s'agit de documents analytiques ciblés sur n'importe quels thèmes, allant par exemple de l'arme nucléaire, la Russie, ou Israël, à l'évaluation des conséquences possibles d'une mauvaise récolte de riz en Asie. Il peut y avoir plusieurs de ces évaluations par an. Les patrons de ces administrations sont plongés dans la plus grande effervescence s'ils viennent à apprendre que leurs évaluations, pour une raison ou pour une autre, n'ont pas été retenues dans la variante finale des "Evaluations". Il en va à peu près de même pour ces fameuses "Tendances globales".

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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