La difficile réforme de l'armée russe

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Par Nikita Petrov, RIA Novosti
Par Nikita Petrov, RIA Novosti

Après la réunion élargie de responsables du ministère russe de la Défense qui s'est tenue il y a une semaine à Moscou, les médias, aussi bien occidentaux que russes, continuent de commenter le contenu des rapports et des discours qui y ont été présentés. Force est de conclure, au vu de certains de ces commentaires, que nos collègues ont retenu dans les propos du président russe Dmitri Medvedev et du ministre de la Défense Anatoli Serdioukov non pas ce qu'ils ont dit, mais ce que certains journalistes et experts militaires auraient aimé entendre.

Le titre d'un article du respectable Wall Street Journal consacré à cette réunion au ministère de la Défense ne laisse pas d'étonner: "Le Kremlin prévient qu'il a opté pour une politique rigide à l'égard des Etats-Unis". Le Times britannique lui fait écho, en qualifiant le ton du discours de Dmitri Medvedev de manifestation d'une "politique des faucons". "Le président russe Dmitri Medvedev a adopté un ton de guerre froide", affirme le WSJ, pour qui le chef de l'Etat russe "a promis de promouvoir un programme ambitieux de réarmement en raison de l'élargissement de l'OTAN aux frontières de la Russie".

Le président a effectivement parlé d'un rééquipement de grande ampleur de l'armée russe après 2011, mais il n'a nullement mentionné les Etats-Unis. On peut le constater sur le site du Kremlin (http://www.kremlin.ru) ou celui du ministère russe de la Défense (http://mil.ru), qui reproduisent le texte intégral du discours de Dmitri Medvedev.

Effectivement, le président a dit que des menaces subsistent, qui proviennent des crises locales et du terrorisme international. Il a également rappelé les tentatives continuelles d'élargissement de l'infrastructure militaire de l'Alliance de l'Atlantique Nord à proximité des frontières de la Russie. Il a souligné que tout cela exige une modernisation qualitative des Forces armées, qui doivent acquérir "une image nouvelle, moderne". Peut-on parler d'une "politique des faucons", quand on sait que le budget militaire du Pentagone pour cette année se monte approximativement à 600 milliards de dollars, alors que le budget du ministère russe de la Défense s'établit à seulement 40 milliards de dollars? Je dis "approximativement", car les cours des devises changent sans cesse. Compte tenu de cette différence des budgets, il n'est pas correct, pour ne pas dire plus, de reprocher aux dirigeants russes de se préoccuper de la capacité de combat de leur armée.

La nécessité impérieuse du rééquipement de l'armée russe a été dictée par les leçons du conflit de courte durée qui a éclaté l'année dernière dans le Caucase du Sud: des unités de la 58e armée avaient essuyé de sérieuses pertes, faute de moyens modernes de reconnaissance, de liaisons, d'indication des cibles, de navigation, de lutte radioélectronique, de viseurs nocturnes. Ceux qui ont lu ou écouté attentivement le rapport présenté par Anatoli Serdioukov lors de la réunion du 17 mars n'ont pas pu ne pas remarquer un chiffre éloquent cité par le ministre. "Seuls 10% des armements et du matériel militaire russes correspondent aux exigences modernes". D'où l'urgente nécessité de procéder à un réarmement massif, même dans les conditions d'une crise financière.

Un autre aspect du problème a été négligé, on ne sait trop pourquoi, par certains de nos collègues des médias russes, qui ont parlé d'un "plan de renaissance de l'armée russe" annoncé lors de cette récente réunion. La réalité des choses n'est pas aussi simple que certains le souhaiteraient.

La réduction du budget du ministère de la Défense sera, effectivement, un peu inférieure à celle d'autres administrations des ministères de force. Alors que le ministère de l'Intérieur, le Service fédéral de sécurité (FSB), le ministère des Situations d'urgence et d'autres structures paramilitaires perdront 15% de leurs dotations budgétaires pour cette année, l'Armée et la Marine ne seront touchées qu'à hauteur de 8%. Le gouvernement prend en considération la situation complexe de la réforme des forces armées qui doivent acquérir, selon Dmitri Medvedev, une "image nouvelle, moderne". C'est pourquoi les crédits accordés au réarmement et à la solution des problèmes sociaux des militaires ne seront pas réduits. Malheureusement, cela ne signifie pas que tous les projets seront mis en oeuvre.

Le pays et le gouvernement n'arrivent pas à endiguer l'inflation et la hausse des prix touchant, entre autres, les secteurs de l'électricité et des constructions mécaniques, et notamment la production de matériel militaire. Cela veut dire, par exemple, qu'un des trois ou quatre régiments de missiles opérationnels tactiques Iskander-M pourrait ne pas être mis en service. Des restrictions du même type pourraient affecter l'acquisition de chars pour les régiments et les bataillons de blindés, de véhicules de combat pour l'infanterie, d'escadrilles de chasseurs polyvalents et d'hélicoptères d'assaut. Cela pourrait concerner également le début des tests d'appareils aéronautiques de cinquième génération qui sont prévus pour l'été prochain.

Ce problème (la hausse des prix) et les difficultés de production d'un matériel militaire sophistiqué en raison de l'obsolescence des fonds fixes et d'un nombre insuffisant de travailleurs hautement qualifiés peuvent influer sérieusement sur le processus de réarmement, voire même le freiner. Il n'est pas fortuit que le président et le ministre de la Défense aient parlé du réarmement massif de l'armée et de la Marine non pas dans l'immédiat, mais à partir de 2011. D'ici là, les principaux travaux de recherche-développement prévus pour créer des modèles ultramodernes d'armements devraient être achevés, et les principales difficultés découlant de la crise financière devraient avoir été surmontées.

La crise financière se répercute aussi, naturellement, sur le règlement des problèmes sociaux des militaires, et avant tout ceux que l'on envisage de verser dans la réserve lors de la réduction des effectifs d'officiers, à hauteur de 150.000 hommes. Plus de la moitié d'entre eux n'ont pas de logement, et on ne peut les rayer des effectifs sans leur accorder un toit, car ce serait contraire à la loi sur le statut des militaires. En 2008, les ressources des différentes administrations de la Défense n'ont permis, au total, d'acquérir que 22.500 appartements. En 2009, il est prévu d'en acheter 44.800. Bien entendu, cela ne suffit pas pour les besoins de la réforme militaire, mais il est possible également d'aider ceux qui seront versés dans la réserve en leur remettant des certificats d'Etat pour l'octroi de logements. Encore que tout ne soit pas simple, non plus, avec ces certificats.

Comme l'a déclaré le ministre de la Défense lors de la réunion élargie des responsables du ministère, le coût du mètre carré des logements accordés contre ces certificats est passé, de 2007 à 2008, de 22.400 à 28.600 roubles (de 492 à 628 euros). Alors que le prix du mètre carré moyen dans le pays atteint 44.500 roubles (976 euros). Le montant prévu par ces certificats ne permet d'acheter un appartement ni dans les villes comptant un million d'habitants, ni même dans les chefs-lieux des régions et de certains districts.

Ces exemples, et d'autres, attestent qu'il ne sera pas facile, loin s'en faut, de conférer une image nouvelle, moderne aux Forces armées russes.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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