L'enjeu pour l'UE c'est d'amener la Russie à être davantage coopérative

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Interview avec Laure Delcour, directrice de recherches à l'Institut des relations internationales et stratégiques (Paris), a l'occasion du sommet Russie-UE de Khabarovsk, qui se tiendra les 21-22 mai

L'enjeu pour l'UE c'est d'amener la Russie à être davantage coopérative

 

Interview avec Laure Delcour, directrice de recherches à l'Institut des relations internationales et stratégiques (Paris), à l'occasion du sommet Russie-UE de Khabarovsk les 21-22 mai.

RIA Novosti: Encore un sommet Russie-EU les 21-22 mai à Khabarovsk, comme il y en a tous les six mois. Quelle est pour vous l'importance de ces rencontres? Selon vous les parties réussissent-elles vraiment à progresser dans leurs relations d'un sommet à l'autre?

Laure Delcour: D'un sommet à l'autre et puis en particulier, ces derniers temps, il y a toute une évolution autour des relations Union européenne - Russie qui change la donne des relations bilatérales. Notamment, il y a quand même encore l'effet de contexte de la guerre en Géorgie et il y a le contexte de la crise du gaz entre la Russie et l'Ukraine en janvier. Donc forcément, d'un sommet à l'autre, oui, l'agenda des relations bilatérales change.

RIA Novosti: Mais est-ce qu'il change dans le sens de progrès, ou c'est tout simplement le contexte qui change ?

Laure Delcour: Il change parce qu'il y a le contexte qui change, je ne dirai pas qu'il y a des progrès en ce moment. On n'est pas encore parvenu à ma connaissance à un règlement définitif sur les points qui posent problème.

RIA Novosti: Si on regarde en arrière, le sommet de Khanty-Mansiïsk en juin 2008 a été marqué par le coup d'envoi donné à la reprise des négociations sur le nouvel accord de coopération, celui de Nice en novembre 2008 par les conséquences du conflit en Ossétie du Sud. Quel est selon vous le contexte du sommet de Khabarovsk, qu'est-ce qu'il y a de particulier en ce qui concerne l'état d'esprit actuel des deux parties?

Laure Delcour: Je pense que c'est en fait toujours l'Ossétie du Sud et l'énergie. Ce sont vraiment les deux points fondamentaux. L'Ossétie du Sud à la fois à cause de la guerre et aussi parce que l'Union européenne vient de lancer son Partenariat oriental. Je pense que ce Partenariat oriental est effectivement un élément nouveau qui va jouer dans le sommet de Khabarovsk parce qu'il a des conséquences à la fois pour la situation en Géorgie et puis pour la situation en Ukraine autour de l'énergie. Finalement, à mon avis, le point crucial de ce sommet sera ce qu'on appelle la "coopération dans le voisinage partagé" ou l'absence de coopération, en tout cas le voisinage partagé entre l'UE et la Russie.

RIA Novosti: Justement, en ce qui concerne le Partenariat oriental lancé par l'UE le 8 mai, il  est plutôt mal vécu par les Russes. Est-ce que selon vous la Russie a vraiment quelque chose à craindre en ce qui concerne cette initiative?

Laure Delcour: Bon, je vais essayer de présenter les choses d'une façon un peu différente. L'UE dans le cadre de sa politique de voisinage a lancé deux initiatives régionales. Il y en a une qui s'appelle l'initiative de la Synergie de la mer Noire et qui inclut la Russie. Et il y a le Partenariat oriental qui ne leur plaît pas. Ce partenariat oriental, à mon avis, a deux objectifs. D'abord, de rapprocher les pays d'ex-URSS de l'UE en les différenciant des pays méditerranéens qui sont aussi inclus dans la politique de voisinage. Et puis, c'est très clair, de différencier les six pays (la Biélorussie, les trois pays du Caucase, l'Ukraine et la Moldavie) de la Russie. C'est un rapprochement avec l'UE qui doit permettre à la fois de faire apparaître ces pays comme plus proches que les pays méditerranéens, mais aussi de les différencier de la Russie. Donc je ne dirai pas que la Russie a quelque chose à craindre, c'est aussi à elle de se transformer en force d'attraction pour son environnement parce que évidemment l'UE est très attractive pour ces pays d'ex-URSS, aussi bien pour la Géorgie que pour l'Ukraine, la Moldavie. Donc, voilà, si la Russie parvient à faire des propositions à ces pays, elle n'a rien à craindre.

RIA Novosti: Dans ce contexte là, l'UE et la Russie se trouvent dans une position de concurrence, n'est-ce pas, par rapport à ces pays-là ?

Laure Delcour: Non, moi je ne dirai pas comme ça. En fait, cela peut être perçu comme une concurrence si la Russie voit cette évolution comme une perte de son influence dans l'étranger proche, mais cela peut être aussi une opportunité de coopération avec l'UE. Et il y a de nombreux sujets qui demanderaient une coopération entre la Russie et l'UE. Par exemple, les conflits, la Transnistrie et aussi l'énergie. Donc à mon avis ce serait une erreur de le voir comme une concurrence.

RIA Novosti: Une autre initiative qui inquiète les Russes est le projet Nabucco. Comment la Russie devrait-elle appréhender cette initiative à votre avis? Est-ce que ce projet est réalisable dans un avenir proche, et est-ce que la Russie a des raisons de s'inquiéter?

Laure Delcour: Encore une fois, je pense que d'un côté ou de l'autre, il ne faut pas jouer sur une concurrence entre l'Union et la Russie mais plutôt sur une complémentarité tout en restant ferme sur un certain nombre de choses. Mais je pense que l'UE devrait réfléchir avant de tenter de trouver d'autres fournisseurs et que la Russie devrait également réfléchir aux raisons qui poussent l'UE à chercher d'autres fournisseurs. En l'état actuel des choses, Nabucco n'est pas encore concrétisé, n'est pas encore en voie de concrétisation donc la Russie pour l'instant, à mon avis, n'a rien à craindre à très court terme. Ce qui n'empêche pas une réflexion d'un côté comme de l'autre qui serait nécessaire sur des modalités de coopération plutôt que de voir les choses constamment comme une concurrence.

RIA Novosti: Revenons un peu au sommet de Khabarovsk dont on connaît déjà l'ordre du jour: mesures conjointes contre la crise économique, énergie (notamment la proposition de la Russie sur la nouvelle base juridique de coopération), sécurité européenne... Quel jugement portez-vous sur les progrès que la Russie et l'UE peuvent faire sur ces sujets-là à court et à long terme?

Laure Delcour: Bon, je ne connais pas la proposition russe sur l'énergie, il me semble qu'à court terme il sera assez difficile d'atteindre des progrès dans ce domaine, pour plusieurs raisons. Parce que d'abord il y a une perception comme je l'ai dit de concurrence d'une part comme de l'autre. Et puis deuxièmement, il y a en fait un problème qui est que la politique de l'énergie européenne est en voie de construction. C'est donc encore difficile d'atteindre une unité dans ce domaine parce que la situation des états membres est très diverse.

RIA Novosti: Vu de l'Europe, les Russes se montrent-ils collaboratifs dans leurs relations avec l'UE? Sent-on en Europe une volonté réelle de coopérer chez les partenaires russes?  

Laure Delcour: Alors, depuis la guerre en Géorgie, non. Et même la crise du gaz en Ukraine, les problèmes récurrents de livraison du gaz font que la Russie est perçue par une partie de l'Europe, notamment les nouveaux Etats-membres, comme une menace, par d'autres Etats-membres comme la Grande-Bretagne comme tout à fait non coopérative. Donc l'enjeu pour l'UE,  notamment pour les partenaires les plus solides de la Russie que sont la France, l'Allemagne ou l'Italie, c'est justement d'amener la Russie à être davantage coopérative.

RIA Novosti: Et quels sont les moyens pour y parvenir ?

Laure Delcour: Pour moi ce sont des coopérations très concrètes conjointes. Par exemple la Russie coopère à la mission européenne au Tchad. D'accord c'est très éloigné, c'est en Afrique, etc.... mais c'est déjà un premier pas qui montre qu'il y a des intérêts communs partout dans le monde. Et il faudrait étendre cette coopération vraiment aux zones qui posent problème actuellement dans la relation russo-européenne, c'est-à-dire le voisinage partagé.

Propos recueillis par Alexandra Kamenskaya 

 

 

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