Poutine en Turquie: l'énergie au programme

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Par Andreï Fediachine, RIA Novosti
Par Andreï Fediachine, RIA Novosti

Le gaz et les gazoducs constituent un domaine si complexe qu'il est difficile de comprendre où commencent les tubes et où s'achève la politique. C'est pourquoi Vladimir Poutine a abordé, au cours de sa visite d'une journée à Ankara, aussi bien les problèmes énergétiques que les questions politiques, sans oublier le nucléaire civil: la Russie construira la première centrale nucléaire de Turquie près d'Akkuya, une petite ville située au bord de la Méditerranée. A en juger par les documents signés, Ankara deviendra sous peu, au Sud, un important centre de transbordement énergétique entre la Russie et l'Union européenne. Si bien qu'au Nord, nous avons le Nord Stream et l'Allemagne, et au Sud, désormais, la Turquie et le South Stream. Deux sortes d'amitié: nordique et ottomane.

La Turquie est depuis longtemps devenue un poids lourd régional et le "poids gazier" supplémentaire de la Sublime Porte (c'est ainsi qu'on désigne parfois la Turquie actuelle) ne fera qu'accroître ce rôle. Ankara a invité de plus en plus fréquemment, ces dernières années, la Russie à participer au Forum régional mis sur pied par les Turcs pour régler les problèmes caucasiens les plus brûlants.

La "guerre caucasienne" a fortement perturbé Ankara, qui entretient des liens économiques étroits aussi bien avec la Géorgie qu'avec la Russie. Membre de l'OTAN, la Turquie a apporté "en catimini" un soutien à la Géorgie, en lui envoyant des instructeurs militaires et en lui livrant des équipements militaires. Mais, d'un autre côté, la Turquie ne souhaite ni perdre, ni même affaiblir ou réduire ses relations économiques avec Moscou. Particulièrement, en ces temps de tourmente économique. Car la Russie livre à la Turquie 64% du gaz que consomme cette dernière, et elle peut lui en livrer davantage. Qui plus est, il ne faut pas oublier que plus d'un million de Russes partent en vacances chaque année dans les stations balnéaires turques, sur la Méditerranée, où ils laissent plus de 1,42 milliard de dollars. Encore mieux: la Russie est le premier partenaire économique de la Turquie. L'an dernier, les échanges commerciaux bilatéraux ont atteint 38 milliards de dollars. Et Ankara souhaite porter ce chiffre à 100 milliards de dollars dans les quatre ans à venir. Ce n'est pas rien.

En se proposant comme plateforme régionale pour le règlement des problèmes "caucasiens" de la Russie, Ankara est parfaitement conscient que le Kremlin ne parlera pas à Mikhaïl Saakachvili. Mais, en offrant leur médiation, les Turcs espèrent obtenir de la Russie une aide qui leur est indispensable sur un dossier bien précis: le règlement du conflit du Haut-Karabakh et la normalisation de leurs rapports avec l'Arménie. Ce qui signifie que viennent aussi s'imbriquer, ici, les intérêts de l'Azerbaïdjan, que la Turquie propose d'inclure également, en tant que "cousin", au nombre des participants au Forum caucasien régional. Il est impossible, pour la Turquie, de normaliser ses relations avec l'Arménie sans que soit réglé le problème du Haut-Karabakh. Elle y est également poussée par l'Union européenne, ou plus précisément par l'espoir qu'elle a d'adhérer à l'UE (une des conditions posées par Bruxelles pour cette adhésion est la normalisation de ses rapports avec l'Arménie), ainsi que par ses propres intérêts économiques régionaux.

Mais ce "cousin" de la Turquie qu'est l'Azerbaïdjan fait obstacle au réchauffement diplomatique turco-arménien. L'Azerbaïdjan a depuis longtemps déterminé sa position: sans le règlement du problème du Haut-Karabakh, il n'approuvera pas les rapports diplomatiques entre la Turquie et l'Arménie.

Chacun est bien conscient que seule la Russie peut amener l'Arménie à se montrer plus conciliante sur le Haut-Karabakh. Mais la Russie n'incitera naturellement pas l'Arménie à renoncer totalement à ses intérêts dans le Haut-Karabakh, ce qui supposerait le retour de ce territoire à l'Azerbaïdjan avec l'octroi de larges droits d'autonomie. Surtout après la reconnaissance de l'indépendance de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud. Par conséquent, pour l'instant, l'amitié russo-turque ne se renforcera, qu'on le veuille ou non, que par le gaz, le pétrole et le nucléaire civil.

Le South Stream réduira la dépendance de la Russie et de ses clients vis-à-vis des pays de transit, et notamment de l'Ukraine, car la Turquie ne sera pas, formellement, un pays de transit. En 2013, ce gazoduc transportera 63 milliards de m3 de gaz par an. Le montant des investissements dans ce projet est estimé à 25 milliards d'euros. Sa réalisation sera assurée par le russe Gazprom et le groupe italien Eni, sur une base paritaire. Les trois parties étaient présentes pour la signature de l'accord sur South Stream, le premier ministre italien Silvio Berlusconi ayant fait spécialement le déplacement d'Ankara.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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