Les batailles idéologiques de 1812: les méthodes napoléoniennes

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Napoléon Ier n'a pas seulement été un grand homme d'Etat et un chef de guerre remarquable, mais il s'est également distingué en tant que propagandiste émérite et passé maître en relations publiques.

Napoléon Ier n'a pas seulement été un grand homme d'Etat et un chef de guerre remarquable, mais il s'est également distingué en tant que propagandiste émérite et passé maître en relations publiques. Toutes ses guerres ont été assorties de campagnes massives de propagande visant avant tout à démoraliser les armées et les peuples de ses ennemis potentiels. Par ailleurs, Napoléon Bonaparte attachait une grande importance à ce que l'opinion publique européenne ne le considère pas comme belliciste avant chacune de ses campagnes, mais qu'elle attribue ce qualificatif à son adversaire qui, en réalité, était une nouvelle victime de ses agressions.

La presse hostile, plus dangereuse que mille baïonnettes

L'Empereur des Français déclarait fréquemment que l'opinion publique a le dernier mot. C'est à lui qu'appartient la phrase sur le rôle primordial des médias devenue proverbiale: "Quatre journaux hostiles sont plus à craindre que mille baïonnettes."

Napoléon Ier a subordonné à ses objectifs militaires et politiques pratiquement tous les moyens et outils disponibles à l'époque et pouvant influencer l'opinion publique, avant tout certaines éditions influentes de plusieurs pays européens. Quant à la presse française, elle était contrôlée de près par la police. Cela s'accordait pleinement avec l'opinion de l'empereur sur les relations entre l'Etat et la presse, car il estimait que la gestion de la presse nécessitait "un fouet et des éperons". Selon lui, un journaliste est un éboueur qui travaille avec une plume.

Avec la participation directe de Napoléon Bonaparte, ont été mis au point et testés dans la pratique les principes fondamentaux et la tactique des guerres de l'information.

Beaucoup de ses méthodes restent d'actualité à ce jour. En voilà quelques-unes:

-    le recours à la falsification de l'histoire;

-    une réitération incessante de thèses particulièrement utiles et pratiques, y compris des mensonges flagrants;

-    des déclarations sur l'unité de son propre camp et des dissensions chez l'ennemi;

-    un effort pour passer sous silence des nouvelles désavantageuses et la mise en avant de nouvelles profitables quand bien même elles seraient insignifiantes;

-    des efforts réitérés pour ridiculiser l'ennemi;

-    le rejet sur l'ennemi de ses propres crimes ou d'actions dont les deux camps sont également responsables;

-    une diffusion massive de tracts, de proclamations, de pamphlets, de brochures et de bulletins destinés à démoraliser la population du pays ennemi.

Le mythe du "testament de Pierre le Grand"

Avant d'attaquer la Russie, la propagande napoléonienne a déployé des efforts en France et dans d'autres pays européens pour présenter à l'opinion publique locale la Russie comme un agresseur congénital, et le peuple russe comme un ramassis de barbares cherchant à anéantir la civilisation européenne.

En voilà l'exemple le plus probant: en 1811, a paru à Paris un livre de "vulgarisation scientifique" bien volumineux intitulé De la politique et des progrès de la puissance russe depuis son origine jusqu'au commencement du XIXe siècle. Le livre a été écrit sur l'ordre exprès de Napoléon Ier par l'historien français Charles-Louis Lesur, fonctionnaire du ministère français des Affaires étrangères. Ce livre a justement relayé des désinformations sur le prétendu Testament de Pierre le Grand qui aurait contenu le programme d'assujettissement de l'Europe et de l'Asie à la Russie. En toute honnêteté, il convient de préciser que le "testament" avait été publié pour la première fois en 1797 dans la brochure antirusse d'un émigré polonais, Michel Sokolnicki. Toutefois, à l'époque ce "scoop" n'a impressionné personne. Or, en 1812 la propagande de Napoléon Ier l'a volontiers récupéré.

Le livre de Charles-Louis Lesur déclarait qu'au commencement du XIXe siècle la Russie était devenue tellement puissante qu'elle se préparait à envahir toute l'Europe. La marine russe serait sur le point d'apparaître brusquement dans la mer Méditerranée et dans l'océan Atlantique pour débarquer des hordes sauvages prêtes à se propager à travers l'Italie, l'Espagne et la France pour exterminer une partie de la population locale et pour emmener les autres en captivité afin de peupler les déserts sibériens…

L'auteur poussait les lecteurs à une conclusion irrévocable: les Russes sont des barbares à l'esprit irrémédiablement agressif, et leurs dirigeants trament des projets pour envahir "l'Univers". Ainsi, l'Europe civilisée doit unir ses efforts pour assener au colosse russe et à ses hordes un coup préventif et foudroyant. Ce serait la raison pour laquelle les soldats de la Grande Armée se sont tournés vers l'Est: leur capitaine, Napoléon Ier, fait preuve d'abnégation en tentant de sauver la civilisation européenne.

Avant la campagne de Russie de 1812, cette version des faits était largement propagée en France et dans d'autres pays européens par la machine de propagande napoléonienne qui cherchait à justifier sur un plan idéologique l'invasion de la Russie par les armées multiethniques de Napoléon Bonaparte.

"La seconde guerre de la Pologne", ou "L'invasion des barbares"?

Il est à noter que Napoléon Ier a tenté de faire passer son invasion de la Russie pour la "libération" des Polonais" et pour une "seconde guerre de la Pologne". Dans sa proclamation à la Grande Armée avant le franchissement de la frontière russe, le 22 juin 1812, il a notamment déclaré: "Soldats! La seconde guerre de la Pologne est commencée (…) La Russie est entraînée par la fatalité; ses destins doivent s’accomplir (…) Marchons donc en avant: passons le Niémen, portons la guerre sur son territoire. La seconde guerre de la Pologne sera glorieuse pour les armes françaises, comme la première. Mais la paix que nous conclurons portera avec elle sa garantie et mettra un terme à la funeste influence que la Russie a exercée depuis cinquante ans sur les affaires de l’Europe."

Vidéo: Attention à l'histoire – III. La question polonaise en 1812

En fait, les plans de Napoléon Ier comportaient le projet d'un "contrepoids" à la Russie et d'un cordon qui la séparerait de l'Europe occidentale. Ce rôle devait échoir à la "Grande Pologne de la mer à la mer (en polonais - od morza do morza)" entièrement dépendante de la France. Il s'agissait d'un Etat tampon qui aurait inclus, selon le projet, l'Ukraine, la Biélorussie et la Lituanie, détachées de la Russie "barbare". Après cette campagne de propagande, les soldats napoléoniens considéraient les Russes et les autres peuples de la Russie comme une horde sauvage que l'on est en droit de piller impunément, voire d'exterminer en cas de désobéissance. Un général français a reconnu dans ce contexte que dès de début de l'invasion française de la Russie, des désordres (quel terme politiquement correct!) n'étaient pas sanctionnés et que les soldats "s'y adonnaient comme s'ils en avaient le droit". Même les églises ne faisaient pas exception; des hommes, des chevaux et des fourgons les investissaient en plein désordre. Selon les mémoires d'un autre général français, Georges, marquis de Chambray, après la bataille de Smolensk (août 1812), la campagne a revêtu le caractère d'une invasion non sans rappeler l'invasion des barbares.

Il est à noter que la machine de propagande napoléonienne n'a même pas réellement cherché à inspirer aux Russes une attitude tant soit peu loyale envers la Grande Armée. Cela concernait avant tout les territoires par lesquels passaient les troupes. Certes, ce fut une erreur stratégique de Napoléon que l'on ne peut probablement expliquer que par sa foi inébranlable en sa propre invincibilité et son infaillibilité, ainsi que par une attitude altière et dédaigneuse envers l'adversaire.

A suivre…

 

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