La tragédie de l'Afghanistan: prologue

© Sputnik . A. Solomonov / Accéder à la base multimédiaLa tragédie de l'Afghanistan: prologue
La tragédie de l'Afghanistan: prologue - Sputnik Afrique
S'abonner
Lors de sa session du 12 décembre 1979, le Bureau politique du Comité central du Parti communiste de l'Union soviétique prit la décision d’envoyer des troupes en Afghanistan.


 

 Lors de sa session du 12 décembre 1979, le Bureau politique du Comité central du Parti communiste de l'Union soviétique  prit la décision d’envoyer des troupes en Afghanistan.

 Cette décision qui eut pour effet une guerre de 10 ans, a  eu de lourdes conséquences sur le sort d’un nombre considérable de personnes et de l'Union soviétique elle-même, déclenchant une multitude de processus différents dans la société et l'État soviétiques des années 1980 et du début des années 90.

Pour parler de la signification d’envoyer des troupes en Afghanistan, il faut bien comprendre les conditions dans lesquelles cette décision a été adoptée. Les années 1970 ont constitué la période des plus grands succès de l'URSS dans l'arène internationale. La défaite des États-Unis au Vietnam provoqua un nouveau rétrécissement de la zone d’influence du monde occidental. L'URSS était le leader reconnu du monde socialiste. Mais pas seulement de ce dernier. 1975 a vu la chute du dernier des empires coloniaux, celui du Portugal, et ses anciennes colonies l'Angola, le Mozambique et la Guinée-Bissau, sont devenues alors des satellites soviétiques. L'aide soviétique aux pays du tiers monde ayant choisi « la voie de développement socialiste », comprenait des mesures économiques, politiques et militaires, y compris des injections financières, livraisons de biens nécessaires, assistance dans l'organisation de toutes sortes de productions et la mise en valeur de ressources naturelles...

L'aide politique était assurée par un soutien apporté au nouveau pays socialiste dans l’arène internationale, sa reconnaissance par la communauté socialiste et les pays sympathisants, etc. Sur le plan militaire par des livraisons d'armements (gratuitement ou à des prix avantageux), par l’envoi de conseillers militaires, la formation et l’entraînement de l'armée locale. Dans les cas particulièrement importants, l'URSS accordait à ses satellites également un soutien militaire direct, en y dépêchant des forces soviétiques. Le plus souvent, celles-ci se faisaient passer pour "locales", mais elles agissaient aussi parfois bien ouvertement.

Telle était la situation au moment où, le 28 avril 1978, le président Mohammad Daoud Khan fut renversé au cours d’un coup d’État en Afghanistan. Peu après, le coup en question  fut proclamé « la révolution d’avril ».
En Afghanistan, dès avant la « la révolution d’avril », c’est-à-dire sous Daoud Khan qui, lui aussi, avait accédé au pouvoir à la suite d’un coup d’État antimonarchique – on avait vu apparaître les futurs moudjahidines et une guérilla combattant contre "l'usurpateur".

Mais après « la révolution d’avril », généralement mal acceptée par la population afghane, des détachements armés commencèrent à se former dans nombre de régions de l'Afghanistan, et la situation commença rapidement à s’aggraver. Le gouvernement marxiste de l'Afghanistan présenté par le Parti populaire et démocratique  d'Afghanistan (PPDA), divisé en deux blocs (Khalq et Partcham), engagea des réformes visant à instaurer dans le pays un régime socialiste d’après le modèle soviétique, quitte à recourir pour ce faire à la force et à la contrainte. Ce qui ne manqua pas de provoquer des révoltes spontanées grandissantes et, au début de 1979, une véritable guerre civile grondait déjà en Afghanistan.
Le gouvernement dut faire face à des guérillas toujours plus nombreuses qui se trouvaient sous forte influence de la part des islamistes radicaux. En y voyant une possibilité de nuire à l'URSS, les États-Unis, l'Arabie Saoudite, la Chine et le Pakistan se sont mis à soutenir les partisans afghans.

Le gouvernement soviétique qui, depuis 20 ans, avait entretenu des liens d'amitié avec l'Afghanistan ne pouvait pas se permettre de laisser ce pays échapper à son contrôle, tandis que la guerre civile qui y prenait de l’ampleur rendait cette menace de plus en plus réelle. A partir du printemps de 1979, les leaders afghans Nour Mohammed Taraki et Hafizullah Amin demandèrent de plus en plus instamment à l'URSS un soutien militaire direct. Le pouvoir soviétique, lui, acceptait d'accroître ses fournitures d'armements, d'alimentation, son aide financière et de renforcer la préparation des spécialistes, mais ne tenait pas à envoyer des troupes en Afghanistan. Alexeï Kossyguine, Président du conseil des ministres de l'URSS, en était un des adversaires principaux et les plus influents. Il prédisait carrément qu'en cas d’envoi des forces soviétiques,  celles-ci seraient obligées de faire la guerre au peuple de l'Afghanistan, et non à «des bandes isolées». Il bénéficiait du soutien du ministre des affaires étrangères, Andreï Gromyko, du président de KGB, Iouri Andropov, ainsi que de nombreux autres dirigeants soviétiques qui indiquaient bien clairement qu'en cas d’envoi de troupes en Afghanistan, l'URSS serait considérée  comme agresseur aussi bien par le peuple d'Afghanistan que par le monde entier.

Néanmoins, la situation qui allait en s’aggravant poussait le pouvoir soviétique sur la voie de l’emploi de la force. C’est ainsi qu’à l’été 1979, on vit apparaître en Afghanistan les premières unités de paras (un bataillon du 345ème régiment aéroporté de détachement) et le commando Zénith du KGB, dépêchés en Afghanistan pour y assurer la protection des citoyens et des établissements soviétiques.

En automne de 1979, les gens d'Amin tuèrent Nour Mohammed Taraki, et la situation s’aggrava encore davantage. En fait Amin usa-là de chantage direct à l’égard du pouvoir soviétique en demandant une intervention militaire directe. Il prédisait dans le cas contraire une prise du pouvoir par des forces pro-américaines et l'apparition aux frontières de l'URSS d’un foyer de tension menaçant déjà l'Asie centrale soviétique de déstabilisation. En outre, Amin lui-même s’adressa aux États-Unis (par l’intermédiaire de Pakistanais) en leur proposant d'améliorer les relations entre les deux pays et, ce qui était probablement le pire de tout à ce moment-là, s’est mis à sonder le terrain en vue d’établir des relations avec la Chine qui recherchait des alliés dans son opposition avec l’URSS.

Finalement, dans ces conditions-là, le choix de l'URSS était réduit à une gamme extrêmement resserrée de solutions possibles. Les États-Unis aussi ont engagé leur contre-jeu: leurs stratèges avaient l'intention de prendre leur revanche pour la défaite stratégique en Asie du Sud-Est. Et ce fut le conseiller de Jimmy Carter pour la sécurité nationale, Zbigniew Brzezinski, de tendance extrêmement antisoviétique et antirusse, qui fut le principal artisan de la nouvelle ligne politique des États-Unis. Le but de Washington fut alors d’entraîner l'URSS directement dans le conflit afghan en créant une situation et une « toile de fond » informationnelles telles qu’elles rendraient inévitable l'intervention militaire directe de l'URSS.
A cette fin, il fallait aggraver la crise, et les services secrets des États-Unis ont activé leur coopération avec les radicaux islamiques sur lesquelles il fut décidé de faire la mise principale. Par la suite, cette voie devait amener les États-Unis au 11 septembre, autrement dit à la destruction des gratte-ciel de New York par Al- Qaïda  née au cours de la guerre d'Afghanistan, mais à cette époque-là personne n’avait envisagé que les événements prendraient une telle tournure.
L'activation des États-Unis dans le golfe Persique et la désinformation au sujet de la préparation d'une intervention américaine en l'Iran où une révolution islamique venait de se produire, furent un facteur supplémentaire de pression sur Moscou.
Dans ces conditions, un personnage comme Amin devenait définitivement inacceptable pour l’URSS. Sa simple élimination physique ne changerait rien dans l’atmosphère de chaos régnant dans le pays, n'importe quel nouveau pouvoir aurait besoin d’un large soutien de forces extérieures.

Petit à petit, les leaders soviétiques commencèrent alors à pencher vers l'idée de la nécessité d'une intervention directe dans les affaires de l'Afghanistan. Le 13 décembre, au lendemain de la session du Bureau politique, fut formé le groupe opérationnel de l'État-major général avec, à sa tête, le général d'armée Akhromeïev; il partit pour Kaboul et, ayant pris connaissance de la situation, valida le plan d’envoi de troupes. Le jour même commencèrent les préparatifs de l'introduction en Afghanistan des grandes unités de la 40ème armée sous le commandement du lieutenant-général Toukharinov. Parallèlement, un autre bataillon de paras du 345ème régiment spécial des Forces aéroportées et le 154ème bataillon "musulman" de la 15ème brigade de détachement des forces spéciales atterrirent à l'aérodrome de Bagram.

Le 24 décembre ils furent suivis par le groupe des forces spéciales «Grom» du KGB. Deux bataillons de paras, un bataillon de commandos de l'armée et deux groupes de commandos du KGB devaient mener l'opération «Chtorm-333» ayant pour but l'élimination d'Amin.

Entre-temps sur la partie soviétique de la frontière s'achevait la préparation de l'introduction des troupes. Arrivèrent au poste de commandant de la 40ème armée le maréchal Sokolov, premier vice-ministre de la défense de l'URSS et le colonel général Maximov, commandant les troupes de la région militaire du Turkestan. Au crépuscule du 25 décembre 1979, le bataillon de tête de la 108ème division d’infanterie motorisée franchit le fleuve Amou-Daria sur un pont flottant et s'enfonça rapidement dans le territoire de l'Afghanistan. Après lui, dans le vrombissement des moteurs et le cliquetis des chenilles, s’étirèrent en colonnes de plusieurs kilomètres les éléments armés principaux.
L'URSS fit le dernier pas vers la tragédie de l'Afghanistan qui reste inachevée encore jusqu'à présent.


Ce texte n'engage que la responsabilité de l'auteur.



Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала