Faire entrer de force la Russie dans l’OTAN?

© RIA Novosti . Mikhail Fomichev / Accéder à la base multimédiaLe «groupe des sages» de l’OTAN et le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov à Moscou
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L’OTAN se demande rarement comment faire correspondre la Russie à sa conception sans offenser Moscou. Or, le «groupe des sages» de l’OTAN, constitué de 12 experts, est arrivé à Moscou en vue d’apprendre de la Russie ce qu’elle pense du bloc aujourd’hui, comment elle se le représente pour demain et quelle alliance elle ne voudrait pas avoir à ses frontières

L’OTAN se demande rarement comment faire correspondre la Russie à sa conception sans offenser Moscou. Or, le «groupe des sages» de l’OTAN, constitué de 12 experts, est arrivé à Moscou en vue d’apprendre de la Russie ce qu’elle pense du bloc aujourd’hui, comment elle se le représente pour demain et quelle alliance elle ne voudrait pas avoir à ses frontières.

Pour employer le lexique diplomatique actuel, le sens de cette visite peut être résumé par la phrase suivante : «comprendre les inquiétudes de l’autre». Et en tenir compte dans les relations ultérieures entre la Russie et l’OTAN. On ne peut que s’en féliciter.

Du 9 au 11 février, les «douze apôtres de l’OTAN» rencontreront le président Dmitri Medvedev, le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, le Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, les députés de la Douma (chambre basse du parlement russe), des scientifiques, des experts. Leur visite s’achèvera par la traditionnelle rencontre avec les étudiants de l’Institut des Relations Internationales de Moscou (MGIMO).

Le «groupe des sages» actuel a été créé en août 2009 en vue d’élaborer les principes de la nouvelle conception stratégique de l’OTAN. Ce groupe de 12 experts est présidé par l’ex-Secrétaire d’État américaine Madeleine Albright (1997-2001). Cette équipe avait promis d’achever avant avril son travail sur la doctrine militaire et politique rénovée de sorte qu’elle puisse être adoptée au sommet de l’OTAN qui doit se tenir à l’automne à Lisbonne. Cette conception remplacera celle de 1999, déjà dépassée.

Depuis que l’OTAN a créé cette institution des sages, qui remonte à 1951, les « têtes pensantes » des pays de l’Alliance ont toujours été utilisées pour résoudre les problèmes impossibles à régler par les voies diplomatiques ordinaires.

Comment imaginer des consultations de ce genre sous Bush fils, par exemple, et même sous Clinton dont la présidence a été marquée par les bombardements de la Serbie et le début de la campagne de l’OTAN à l’Est et, à plus forte raison, sous Eltsine avec son «consentement déraisonnable» à tout? Certes, il ne faudrait pas se réjouir outre mesure. Premièrement, personne ne dit que les "inquiétudes" de la Russie quant au bouclier antimissile américain en Europe et à l’élargissement ultérieur de l’OTAN seront prises en considération. Deuxièmement, personne ne promet d’introduire dans la conception ne serait-ce que certains des principes de la nouvelle structure de sécurité européenne proposée l’année dernière par le président Medvedev. Troisièmement, rien n’est prévu dans sa nouvelle conception pour exclure l’intégration dans l’OTAN de qui que ce soit. L’Ukraine et la Géorgie figurent au premier rang de ces « qui que ce soit » bien qu’elles doivent encore patienter.

Que dira donc Madeleine Albright à Moscou? Après leur démission, les Secrétaires d’État, ainsi que les Secrétaires d’État américains à la Défense, subissent parfois une métamorphose étonnante et tendent à s’«adoucir». Mais cela ne semble pas être le cas avec Madeleine Albright, «la dame de fer». Elle a toujours vigoureusement préconisé le renforcement de l’OTAN, le rôle principal des États-Unis dans l’Alliance, l’extension de ses fonctions et de sa zone d’activité. C’est à l’époque où Madeleine Albright était Secrétaire d’Etat qu’ont été lancés les bombardements en représailles contre la Serbie. En 1997, Mme Albright s’était rendue à Moscou en vue de persuader le Kremlin que le nouvel élargissement de l’OTAN n’était nullement dirigé contre la Russie et qu’il ne représentait aucune menace pour elle. C’est sous Albright qu’a commencé le processus du premier «grand élargissement socialiste»: en 1999, la Hongrie, la République Tchèque et la Pologne ont été admises à l’OTAN (le quatrième élargissement du bloc depuis 1949) et les bases du cinquième élargissement ont alors été jetées. Celui-ci a eu lieu en 2004 avec la Bulgarie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie et l’Estonie ; le sixième élargissement l’année dernière avec l’Albanie et la Croatie. L’OTAN regroupe actuellement 28 membres. Personne n’en a fermé les portes à l’Ukraine et la Géorgie.

D’ailleurs, le groupe Albright a pour tâche grandiose de revoir tous les principes idéologiques de l’OTAN. La nouvelle conception n’énoncera pas seulement de nouveaux arguments politiques et idéologiques sur l’existence de l’Alliance. Notons que celle-ci s’est d’ailleurs si solidement intégrée dans l’économie et les structures de l’Europe qu’on ne peut maintenant l’en dissocier qu’au prix de graves troubles sociaux du type réduction d’emplois. La nouvelle conception de l’OTAN doit constituer son « certificat de conformité au XXIème siècle » et proclamer que l’OTAN et la sécurité mondiale sont indissociables l’un de l’autre. C’est ainsi que la conception comporte déjà des paragraphes sur l’extension du rôle politique et militaire du bloc, les limites de sa zone d’activité, ses méthodes et ses moyens d’actions, la transformation de ses fonctions. Il s’agit en premier lieu de confirmer, au niveau de la doctrine, les objectifs suivants de l’OTAN : renforcer le régime de non-prolifération, réduire les arsenaux nucléaires stratégiques, lutter contre le terrorisme, la piraterie sur les mers, le terrorisme cybernétique, assurer la sécurité énergétique, même lutter contre le réchauffement climatique et protéger les ressources en eau et autres. Nous sommes déjà loin des objectifs d’une organisation militaire.

Mais, comme le reconnaissent les dirigeants politiques de l’alliance, après la fin de la guerre froide, la désintégration de l’URSS et l’apparition de la Russie nouvelle, il est très difficile d’expliquer à la « génération des moins de 30 ans » qui ne sait pas ce que signifie la guerre froide pourquoi il est aujourd’hui impossible d’exister sans l’OTAN.

En fait, les "sages" auraient pu ne pas venir à Moscou. Les positions de Moscou et ses "inquiétudes" sont déjà bien connues de l’OTAN : Dmitri Rogozine, l’ambassadeur de la Fédération de Russie auprès de l’OTAN, les rappelle inlassablement ces derniers temps. Durant ces dernières décennies, depuis que le Pacte de Varsovie a cessé d’exister et que la Russie a succédé à l’URSS, nous avons tenté de faire comme si les rapports avec l’OTAN changeaient dans le cadre d’une « thérapie de réhabilitation », mais il en a été autrement. La Russie selon les notions de l’OTAN et la Russie selon sa propre conception sont deux produits différents. Il en est de même pour l’alliance. Certes, à la différence de l’OTAN, la Russie n’a pas besoin d’argumenter son existence, bien qu’on exige constamment qu’elle le fasse. L’OTAN poursuivra ses consultations avec la Russie tant qu’elle sera nécessaire à l’alliance. A l’étape actuelle, comme « corridor de transit vers l’Afghanistan », rien de plus.

Reconnaissons-le, il existe un merveilleux moyen de sortir l’OTAN et la Russie de la procédure de «réhabilitation infructueuse» actuelle. Il suffit juste que Moscou demande officiellement son admission à l’alliance. Nous réglerions alors d’un seul coup les problèmes de l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie, des bases russes de Sébastopol, des systèmes de défense antimissile en Europe et des «fonctions policières du bloc» dans la lutte contre le terrorisme et la piraterie. Tout sera alors mis en commun. Nikita Khrouchtchev avait plaisanté en ce sens en 1954, il avait failli déposer une demande d’adhésion à l’OTAN. A présent, on parle d’adhésion russe même en Occident. Et si on proposait à Madeleine Albright de faire de même ?

Ce texte n’engage que la responsabilité de l’auteur.

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