Quand l'histoire s'emmêle près de Katyn

© RIA Novosti . Alexei Nikolskiy / Accéder à la base multimédiaLe premier ministre Vladimir Poutine et son homologue Donald Tusk
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C'est une image forte, qui restera dans les mémoires: le premier ministre Vladimir Poutine serrant dans ses bras son homologue Donald Tusk venu se recueillir sur les lieux du crash dans lequel a péri le président Lech Kaczynski, sa femme Maria, des députés, des chefs d'État-major, des ecclésiastiques, et nombre de personnalités polonaises influentes. Ce texte n’engage que la responsabilité de l’auteur.

C'est une image forte, qui restera dans les mémoires: le premier ministre Vladimir Poutine serrant dans ses bras son homologue Donald Tusk venu se recueillir sur les lieux du crash dans lequel a péri le président Lech Kaczynski, sa femme Maria, des députés, des chefs d'État-major, des ecclésiastiques, et nombre de personnalités polonaises influentes.

Et ce non loin de l'endroit où ces derniers étaient venus se recueillir, sur la fosse commune dans laquelle fut enterrée la fine fleur de la Pologne, massacrée en 1940 par la police politique soviétique. Espoir brisé d'une élite qui aurait pu faire du pays un Etat influent et indépendant, et non un satellite de l'URSS.

Conditions météorologiques défavorables? Erreur de pilotage? Défaillance technique de l'avion de fabrication russe qui avait subi des révisions en Russie? Pressions sur le pilote? Beaucoup de mystère entoure encore ce drame récent, sur lequel les parties russe et polonaise enquêteront conjointement. Difficile pourtant de ne pas soupçonner un "malin génie" de l'histoire suite à une telle ironie du destin.

Loin des tensions opposant les deux pays, la Russie a réagi avec compassion, Dmitri Medvedev ayant choisi de mettre l'accent sur la coopération avec la partie polonaise lors de l'enquête et l'aide aux familles venues à Moscou pour identifier les victimes. Un ton et un geste déterminants dans un moment à haut risque. Dans la capitale russe aussi, les fleurs s'amassent devant l'ambassade polonaise, la Russie ayant été dans les premiers à décréter par solidarité une journée de deuil national lundi 12 avril.

L'accolade Poutine-Tusk, qui rappelle l'image d'un Mitterrand et d'un Kohl main dans la main à Verdun, marque un tournant pour les deux pays souvent considérés comme des frères ennemis: la fête nationale russe, le "Jour de l'unité populaire", marque la libération de l'occupant polono-lituanien et suédois, signe d'une rivalité très ancrée.

Aveu pour la Russie, soulagement pour la Pologne: pour la première fois, la semaine dernière, les deux ministres s'étaient recueillis ensemble sur les lieux du massacre de Katyn; Poutine avait ouvertement reconnu, malgré quelques réserves, la responsabilité de la police politique soviétique (NKVD) et de Staline, après des années de faux-fuyants côté russe.

Mais à quoi bon l'éluder? M. Kaczynski n'était pas le bienvenu en Russie. Atlantiste convaincu, pourfendeur du communisme dont Moscou tente de défendre l'héritage, le défunt président entretenait des relations houleuses avec le pouvoir russe.

En août 2008, le chef de l'Etat polonais s'était immédiatement rendu en Géorgie pour soutenir le président Saakachvili, qui avait auparavant donné à ses troupes l'ordre d'attaquer la république sécessionniste d'Ossétie du Sud, déclenchant une riposte russe. M. Kaczynski avait pris la tête d'un bloc d'ex-pays du bloc soviétique (pays baltes, Géorgie, Ukraine de Viktor Iouchtchenko) principalement soudés par la haine du passé soviétique et du voisin russe.

Moscou n'hésitait pas à jouer la carte de l'humiliation avec le président, notamment en l'invitant aux célébrations du 65ème anniversaire de la victoire de la Seconde Guerre mondiale avec l'ancien dirigeant communiste polonais Wojciech Jaruzelski. Une provocation pour cet ex-membre du syndicat Solidarnosc et promoteur d'une vaste campagne de "décommunisation" de la Pologne. Kaczynski avait menacé de boycotter les commémorations.

Le président défunt entretenait aussi des relations tendues avec Tusk, qui avait détrôné son frère jumeau Jaroslaw au poste de premier ministre. Refusant de coïncider avec son adversaire politique ainsi qu'avec Vladimir Poutine, autre rival, lors du 60ème anniversaire du massacre de Katyn, il avait repoussé son départ avec le dénouement tragique que l'on sait.

La hantise du vide

"En Pologne, c'est-à-dire nulle part", écrivait Alfred Jarry. La Pologne renoue une nouvelle fois avec sa hantise, le vide, ici du pouvoir. On pense aussi au vide laissé par les victimes du massacre de Katyn, qui avait tué dans l'œuf l'espoir d'une Pologne d'après-guerre indépendante; menace du néant qui revient régulièrement hanter l'histoire de ce pays dans les moments où il commence à émerger, voire à s'affirmer.

La Pologne, considérée comme un vide à combler, dépecée par l'URSS et l'Allemagne nazie en 1939 dans le cadre du pacte Molotov - Von Ribbentrop. Déplacée vers l'ouest après la guerre. Négligée par ses deux immenses voisins envers lesquels la méfiance de Varsovie perdure, alors que ceux-ci cherchent à la contourner et à la laisser à l'écart des itinéraires stratégiques à l'aide du gazoduc Nord Stream. Un projet qui avait longtemps soulevé les réticences de Kaczynski.

Les réminiscences sont nombreuses suite à la mort simultanée de deux chefs d'Etats polonais, l'ex-président en exil à Londres Ryszard Kaczorowski ayant lui aussi péri dans le Tu-154. Impossible de ne pas se rappeler du premier président de la deuxième république polonaise Gabriel Narutowicz. Fils d'un magistrat mort peu après avoir participé à une insurrection contre l'Empire russe, incarnation du rêve d'une Pologne forte et indépendante, il fut tué cinq jours seulement après être entré en fonctions, replongeant le pays dans l'incertitude.

S'attirant de nombreux ennemis, le président Kaczynski avait décidé de faire de la Pologne la principale puissance régionale d'Europe centrale. Souvent polémique, le chef d'Etat ne cachait pas sa volonté de souder le pays autour de l'anticommunisme et des valeurs chrétiennes, ce qui lui avait mis à dos une partie des Polonais.

Fervent partisan de l'OTAN, il était le chantre du projet visant à déployer en Pologne des éléments du bouclier antimissile américain, qui suscitait l'ire de Moscou. Histoire de rappeler à ses voisins que le pays ne serait plus jamais un champ de bataille pour des puissances étrangères et se battrait pour faire respecter ses intérêts. Une posture qui concernait aussi l'Union européenne, à laquelle il avait donné du fil à retordre. 

M. Kaczynski laisse une Pologne à l'aise dans son rôle de puissance régionale, et dont l'économie fonctionne sans à-coups: le pays affichait une croissance indécente en pleine crise mondiale. Les institutions sont solides, le président de la Diète Bronislaw Komorowski ayant immédiatement assumé les fonctions de chef de l'Etat conformément à la constitution et annoncé qu'il se chargerait d'organiser de nouvelles élections. Le peuple est soudé, comme en atteste l'impressionnante marée humaine venue déposer des fleurs devant le palais présidentiel.

Renouant avec la hantise du vide, la Pologne de 2010 semble toutefois mieux préparée que jamais pour venir à bout de ses vieux démons.

Ce texte n’engage que la responsabilité de l’auteur.

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