Un coup d'Etat très ordinaire

© Sputnik . Andrei Stenin / Accéder à la base multimédiaTroubles au Kirghizstan
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Dans une relative indifférence, un coup d'Etat fulgurant s'est produit au Kirghizstan, république centrasiatique hautement volatile au centre d'un bras de fer entre Moscou et Washington. Si la convocation d'élections par l'opposition peut laisser espérer une avancée de la démocratie, les premiers réflexes du nouveau régime en place font craindre que l'histoire ne se répète sans nul bénéfice pour le peuple kirghiz.

Dans une relative indifférence, un coup d'Etat fulgurant s'est produit au Kirghizstan, république centrasiatique hautement volatile au centre d'un bras de fer entre Moscou et Washington. Si la convocation d'élections par l'opposition peut laisser espérer une avancée de la démocratie, les premiers réflexes du nouveau régime en place font craindre que l'histoire ne se répète sans nul bénéfice pour le peuple kirghiz.

Le pays change de mains

Après une période de grogne ayant débuté en janvier sur fond de hausse des prix des ressources énergétiques, la révolte a éclaté le 6 avril dans le nord d'un pays fortement divisé par les tensions régionalistes. Les principaux leaders de l'opposition ont été arrêtés le 7 avril.

En une journée, les émotions populaires se sont propagées comme une trainée de poudre dans plusieurs villes et ont dégénéré en heurts avec les forces de l'ordre à Bichkek, la capitale (nord). Les manifestants ont pris d'assaut le palais présidentiel, la police ayant répliqué avec des balles réelles. Bilan 84 morts et de nombreux blessés.

Kourmanbek Bakiev, premier président originaire du sud désormais réfugié dans son fief de Djalal-Abad, était lui même l'instigateur d'une prise violente du pouvoir il y a cinq ans, appelée "Révolution des tulipes" dans le sillage des soulèvements de couleur qui se sont multipliés dans l'espace postsoviétique. Il avait été rapidement accusé de dérives autoritaires par ses compagnons de route qui avaient rejoint les rangs de l'opposition. 

Fait étonnant pour un coup d'Etat, aucune condamnation ferme de la communauté internationale n'a suivi (seuls des appels à la retenue ont été émis), bien que Washington ait activement coopéré avec M.Bakiev, le nord du pays accueillant une base de transit vers l'Afghanistan. A croire que le nom du président importe moins que sa propension à adapter sa politique, et que la légitimité du pouvoir dans ce pays, si éloignée des normes internationales, a ses propres règles dont il est finalement facile de tirer parti.

Le nouveau gouvernement a promis d'organiser une élection présidentielle dans les six mois, "conforme à toutes les règles démocratiques", promesse déjà réalisée par M. Bakiev lors de son accession au pouvoir, mais qui avait rapidement répété, voire aggravé les travers de ses prédécesseurs. L'aspiration à la démocratie avait cédé la place au népotisme, à la corruption, et à l'appauvrissement de la population.

Marchandage politique

Une déclaration des nouvelles autorités, ou plutôt sa formulation, fait cependant douter de leur capacité à introduire un réel changement. Dépêché à Moscou immédiatement après les troubles, Almazbek Atambaïev, chef adjoint du cabinet des ministres provisoire a déclaré: "J'ai rappelé que la Russie avait débloqué 150 millions de dollars pour le Kirghizstan l'année passée, pendant une époque de calme absolu (…). Dans un contexte grave, le montant de l'aide financière doit être plus élevé".

Ce marchandage, qui sous-entend que l'allocation de l'aide "va de soi" et qu'il suffit d'en négocier le montant est révélateur des relations qu'entretient la Russie avec les anciennes républiques soviétiques. Qu'il s'agisse de la Biélorussie, de l'Ukraine ou du Kirghizstan, les autorités russes subventionnent les gouvernements locaux (directement ou par le biais de tarifs gaziers de faveur), entretenant ainsi une forme de corruption d'Etat hautement addictive.

La poursuite de cette logique sous le nouveau pouvoir n'augure rien de bon pour le renouveau du pays, dont l'élite pourrait à nouveau être plus tentée par l'aide étrangère que par le développement de l'économie kirghize.

La base de la discorde

La région centrasiatique est désormais courtisée, et la concurrence féroce. La Russie a immédiatement ouvert son portefeuille, s'engageant à faire au Kirghizstan un don de 20 millions de dollars et à lui accorder un crédit préférentiel de 30 millions de dollars, attirant les soupçons sur son implication dans les troubles. Elle a été suivie par les Etats-Unis, qui se sont dits prêts à "soutenir" le pays.

Peu après leur arrivée au pouvoir, les nouvelles autorités ont assuré que la base de Manas (nord), utilisée par Washington pour approvisionner les troupes en Afghanistan, resterait en service. La base, autre source importante de revenus pour Bichkek, cristallise la lutte d'influence entre la Russie, qui considère la région comme son pré-carré, et les Etats-Unis. Moscou cherche notamment à obtenir sa fermeture pour s'assurer le contrôle des itinéraires septentrionaux de transit otanien vers l'Afghanistan, qu'il souhaite à terme voir exclusivement passer par son territoire.

Rien d'étonnant à ce que les Russes aient si facilement "lâché" Bakiev, et que celui-ci n'ait pas bénéficié de l'asile de Moscou comme le président déchu Askar Akaïev suite à la Révolution des tulipes. Après avoir empoché en mars 2009 deux milliards de dollars d'aide contre la promesse tacite de fermer la base américaine, Bakiev avait retourné sa veste et annoncé des changements cosmétiques qui signifiaient de facto le maintien de celle-ci, suscitant l'ire de Moscou. Le fait que les nouvelles autorités soufflent le chaud et le froid sur ce dossier confirme l'impression que la tendance est au statu quo.

Le risque de voir se perpétuer la dépendance des autorités vis-à-vis de l'argent étranger met donc en doute leur aptitude à mener le pays dans la bonne direction. Alors que 40% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, et que le PIB repose à 45% sur les envois des travailleurs expatriés, le peuple kirghiz risque d'être, une fois de plus, le grand perdant de cette nouvelle révolution.

Reste à savoir si la chef du gouvernement transitoire, Rosa Otounbaïeva, diplomate formée à Moscou et ayant longtemps vécu aux Etats-Unis, saura faire bénéficier le pays de son indépendance vis-à-vis des clans (elle serait respectée dans le nord comme dans le sud dont elle est originaire), et jeter les bases d'une politique bénéfique pour le pays.

Ce texte n'engage que la responsabilité de l'auteur.

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