Nouveau rapport de l’AIEA sur l’Iran: les soupçons s’accumulent

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Une réunion du Conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) s’est ouverte lundi à Vienne.

Une réunion du Conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) s’est ouverte lundi à Vienne.

Le rapport du directeur général de l’AIEA Yukio Amano sur le programme nucléaire iranien diffusé la semaine dernière parmi les membres du Conseil y retiendra un intérêt particulier. Refusant de respecter les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU et du Conseil des gouverneurs de l’AIEA, la République islamique d’Iran jette, en fait, un défi à la communauté internationale, ce qui implique une réponse adéquate, c’est-à-dire des sanctions.

Le rapport accorde une attention particulière à deux sites nucléaires de Natanz: une entreprise d’enrichissement d’uranium qui produit de l’uranium faiblement enrichi et une entreprise expérimentale d’enrichissement de l’uranium où sont testés de nouveaux types de centrifugeuses à gaz et où l’on effectue des recherches en vue d’élever le degré d’enrichissement de l’uranium-235. D’après l’AIEA, à la date du 24 mai 2010, 8.528 centrifugeuses R-1 (de première génération et de faible puissance, dénommées IR-1 en Iran) ont été installées dans l’entreprise d’enrichissement de l’uranium, mais sur ce nombre, seulement 3.939 sont utilisées pour l’enrichissement de l’uranium.

Il est établi que l’enrichissement industriel de l’uranium ne s’effectue que sur centrifugeuses à gaz R-1 (IR-1). Le fait que le nombre de centrifugeuses à gaz diminue dans l’entreprise d’enrichissement de l’uranium est très alarmant. Ainsi, du 2 novembre 2009 au 24 mai 2010, le nombre de centrifugeuses s’est réduit de 164. Cela peut témoigner de leur stockage en dehors de l’entreprise. Il est bien plus inquiétant que seuls 46% des centrifugeuses à gaz installées à Natanz sont exploités. En cas de nécessité, les centrifugeuses non opérationnelles peuvent être démantelées et transférées à Fordo où un site d’enrichissement de l’uranium est en construction. En fait, l’infrastructure créée en Iran permet probablement, à condition de disposer de matériaux appropriés, de produire environ 3.000 centrifugeuses à gaz par an, ce qui est suffisant pour équiper le site nucléaire de Fordo. Un processus d’accumulation dissimulée de centrifugeuses à gaz est actuellement fort possible.

Le processus de modernisation des centrifugeuses à gaz se poursuit également. Des modèles plus perfectionnés subissent déjà des tests: les IR-2 et les IR-4. Début mai 2010, 2.427 kg d’hexafluorure d’uranium faiblement enrichi ont été accumulés à l’issue du processus d’enrichissement de l’uranium. Si ce matériau est utilisé pour son enrichissement ultérieur, cela permettra d’obtenir une matière fissile pour trois charges nucléaires à base de l’uranium de qualité militaire. Si les cadences actuelles de production d’uranium faiblement enrichi sont conservées, d’ici à la fin de 2010 ses stocks accumulés peuvent atteindre 3.292 kg, ce qui est suffisant pour produire (après réenrichissement) cinq charges nucléaires.

On supposait auparavant que l’uranium faiblement enrichi pouvait être réenrichi à 80% en 4 à 6 mois à Natanz, ce qui aurait été suffisant pour assurer l’explosion d’une charge nucléaire. Ensuite, il faut à peu près autant de temps pour l’usiner comme métal sous forme appropriée et fabriquer des demi-sphères. C’est-à-dire que Téhéran pourrait effectuer au bout d’un an l’essai nucléaire d’un engin à base d’uranium hautement enrichi.

Mais les inspections effectuées ces derniers mois par l’AIEA ont établi que l’Iran n’était pas prêt à assurer le réenrichissement industriel ultérieur de l’uranium faiblement enrichi. Ainsi, à l’entreprise expérimentale de Natanz, on n’exploite que deux cascades de centrifugeuses à gaz IR-1, c’est-à-dire 328 centrifugeuses, ce qui témoigne du caractère expérimental des travaux accomplis.

La communauté internationale dispose des résultats de la spectrométrie de masse annoncés par l’Iran, selon lesquels le niveau d’enrichissement de 19,8% de l’uranium-235 a été atteint du 9 au 11 février 2010 à l’entreprise expérimentale susmentionnée. Mais cela atteste seulement que cet enrichissement est en principe possible, ce qui n’a pas été confirmé par les inspecteurs de l’AIEA. Ces données ont pu être falsifiées, ce dont témoignent de nombreuses imprécisions de date et le refus d’admettre les inspecteurs AIEA à assister à ce processus (la spectrométrie de masse a été effectuée en l’absence des représentants de l’AIEA), ainsi que le refus de présenter à l’Agence pour analyse détaillée 5,7 kg d’hexafluorure d’uranium enrichi à 19,7% qui, selon la déclaration de l’Iran, ont été produits.

D’après les données disponibles, les spécialistes iraniens ne peuvent pas encore assurer la production industrielle d’hexafluorure de qualité requise et les vitesses nécessaires de rotation des centrifugeuses à gaz. Cela compliquera beaucoup le réenrichissement ultérieur de l’uranium, par conséquent, il faut attendre la confirmation digne de foi par l’AIEA du fait du réenrichissement à 19,7%.

Cependant, les spécialistes iraniens ont déjà considérablement progressé dans cette voie, c’est pourquoi il serait irréfléchi d’exagérer leurs problèmes techniques. Certes un délai d’un an jusqu’à un essai nucléaire qu’il faut commencer à calculer depuis le moment de la rupture des rapports entre l’Iran et l’AIEA (signe indirect de la décision par Téhéran de créer l’arme nucléaire) est probablement impossible. Mais un délai de deux ans peut être largement suffisant pour effectuer un essai nucléaire après l’adoption d’une décision politique appropriée. D’ailleurs, ce délai se réduira de plus en plus au fur et à mesure de l’accroissement de l’infrastructure nucléaire.

Les faits cités ci-dessus ne permettent pas d’affirmer  catégoriquement que l’Iran mène des recherches appliquées militaires dans le domaine nucléaire mais ils renforcent considérablement les soupçons de la communauté internationale. Cela se produit au moment où Téhéran refuse ostensiblement de mener un dialogue constructif avec les inspecteurs de l’AIEA. En l’occurrence les dirigeants iraniens leur ont interdit en 2010 de faire des prélèvements d’eau lourde à Arak (capitale de la province iranienne de Markazi) et d’inspecter le réacteur de recherche à eau lourde IR-40 qui y est en voie de construction. La puissance de ce dernier sera de 40 MW, ce qui permettra de produire environ 9 kg de plutonium par an (cette quantité est suffisante pour fabriquer une charge nucléaire).

Il ne faudrait pas non plus surestimer le rôle d’un l’accord tripartite signé le 17 mai dernier sur le transfert sur le territoire turc de 1200 kg d’uranium faiblement enrichi iranien en vue de l’échanger ensuite contre du combustible nucléaire pour le Centre de recherche nucléaire de Téhéran. D’une part, cela ne constitue actuellement que 50% des stocks de combustible faiblement enrichi déjà accumulés par l’Iran, ce qui lui permettra, en cas de nécessité, d’effectuer un essai nucléaire. D’autre part, Téhéran ne peut pas acheter ce combustible par voie ordinaire en raison des restrictions imposées par le Groupe des fournisseurs nucléaires. Il est également nécessaire de tenir compte du fait que le réacteur de recherche de Téhéran datant de 1967 et située dans une ville de plusieurs millions d’habitants suscite des appréhensions sérieuses, ce qui impose une modernisation du système de sécurité actuel. Par conséquent, la livraison de combustible nucléaire et la modernisation du réacteur sont nécessaires, en premier lieu, à l’Iran qui a déjà réduit la puissance prévue du réacteur de 40% (jusqu’à 3 MW).

Autrement dit, la persévérance avec laquelle l’Iran met en œuvre son programme nucléaire national ne laisse, en fait, à la communauté internationale d’autre choix que d’administrer de nouvelles sanctions via le Conseil de sécurité de l’ONU contre Téhéran. Certes, cela n’arrêtera pas l’Iran à acheminer vers la bombe atomique, mais cela permettra de diminuer substantiellement les possibilités qu’a l’élite cléricale du pays de redistribuer les recettes provenant du pétrole par l’intermédiaire de toutes sortes de fondations en vue d’assurer la loyauté des Iraniens et de subventionner les produits alimentaires et les objets de première nécessité pour les couches pauvres de la population. C’est le pétrole qui assure la stabilité du régime iranien. Si les exportations se réduisent considérablement, ce qui est inévitable étant données les conditions des sanctions internationales, Téhéran sera contraint de rechercher les moyens de normaliser ses relations avec l’Occident. C’est pourquoi l’introduction de nouvelles sanctions, assez sévères, contre l’Iran est nécessaire. Mais, en même temps, il faut proposer à Téhéran des stimulants financiers, économiques et politiques réels, compte tenu de son rôle historique joué au Grand Proche-Orient.

Auteur: Vladimir Evseïev, secrétaire scientifique du Conseil de coordination des prévisions de l’Académie des sciences de Russie.

Ce texte n’engage que la responsabilité de l’auteur.

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