Nouvelle saison d’arpentage de l’Arctique

© Photo Administration de la région d'ArkhangelskLe navire russe de recherche scientifique « Akademik Fedorov »
Le navire russe de recherche scientifique « Akademik Fedorov » - Sputnik Afrique
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Mercredi 28 juillet, le navire russe de recherche scientifique « Akademik Fedorov » est parti pour une expédition de presque trois mois en Arctique afin de déterminer les frontières du plateau continental « russe ».

Mercredi 28 juillet, le navire russe de recherche scientifique « Akademik Fedorov » est parti pour une expédition de presque trois mois en Arctique afin de déterminer les frontières du plateau continental « russe ». Il sera suivi, de l’autre côté du pôle cette fois mais avec la même mission et dans les mêmes latitudes, le 3 août par le brise-glace américain des gardes-côtes « Healy » et par le brise-glace des gardes-côtes canadiens « Louis Saint-Laurent ». On pourrait dire qu’avec toutes ces expéditions, la saison de l’arpentage de l’Arctique débute pour de bon.

L’« Akademik Fedorov » est doté d’un équipement de pointe pour déterminer très précisément la profondeur et effectuer des recherches sismiques. Contrairement aux recherches précédentes qui ont fait beaucoup parler d’elles autour des frontières extérieures du plateau russe sur des appareils submersibles Mir-1 et Mir-2 en 2007, la situation actuelle est bien plus sérieuse. À l’époque, sur le pôle Nord, le drapeau russe avait été « hissé » au fond de l’océan. Simultanément, une première déclaration avait été faite qui expliquait que la dorsale transatlantique sous-marine de Lomonossov était le prolongement de la Plate-forme continentale sibérienne, ce qui signifiait qu’il « nous » appartenait, ainsi que tout le plateau continental s’étendant des côtes russes pratiquement jusqu’au pôle Nord. À l’époque cela avait plus irrité que sérieusement effrayé les voisins arctiques de la Russie, plus particulièrement les États-Unis et le Canada. Il faudrait plus qu’un drapeau pour venir à l’appui de telles affirmations, autrement dit des forages sous-marins, des recherches sismiques, des informations géophysiques et des mesures précises.

Telle sera, parmi tant d’autres, la mission de l’« Akademik Fedorov ». Cette expédition, et les autres qui la suivront, ont pour mission de récolter des informations pour argumenter une requête formelle de la Russie afin qu’elle puisse prétendre au plateau arctique. Elle a l’intention de la formuler auprès de la commission de l’ONU chargée des frontières du plateau continental en 2013. En 2001, une requête similaire avait été formulée mais elle n’avait pas été reconnue comme suffisamment justifiée du point de vue scientifique. Seule la Norvège avait envoyé une demande similaire à la commission en 2006.

Aujourd’hui, l’expédition comprend des experts de l’Institut de recherches scientifiques en océanologie, de l’Institut de recherches scientifiques de l’Arctique et de l’Antarctique, de l’Institut de recherches scientifiques en navigation et en hydrographie, du ministère de la Défense et du ministère des Ressources Naturelles. L’expédition est accompagnée du brise-glace nucléaire « Iamal ». L’expédition prévue revêt ainsi un caractère très sérieux. En justifiant ses droits, la Russie se verrait obtenir un territoire de 1,2 millions de km², ainsi que les droits exclusifs d’exploitation des réserves d’hydrocarbures colossales dans le triangle Tchoukotka – Mourmansk – Pôle Nord. Le jeu en vaut la chandelle.

Il faut dire que tous les pays frontaliers de l’Arctique se sont alarmés quant au « partage de la Reine des neiges », après avoir déterminé les richesses d’hydrocarbure et d’autres matières premières qui s’y trouvent. Selon les estimations de la direction américaine des Etudes géologiques, le plateau arctique pourrait cacher près du quart de toutes les réserves mondiales de pétrole et de gaz qui n’ont pas encore été découvertes. Leur quantité pourrait s’avérer telle que les réserves d’hydrocarbure estimées d’Arabie Saoudite paraîtraient comme, disons, un fût de bière à côté de la piscine olympique.

Mais toutes ces réserves de pétrole et de gaz doivent encore être localisées et exploitées, ce qui est très coûteux. Or, il faut prendre aussi en compte que si le rythme des changements climatiques demeure, et l’Arctique se réchauffe et fond plus rapidement qu’une autre région du monde, dans 10-15 ans, voire moins, une voie maritime Nord-Ouest pourrait s’ouvrir pour les navigations pouvant durer toute l’année qui serait la plus courte voie de navigation entre les océans Pacifique et Atlantique près des côtes du Nord du Canada. Cette voie pourrait raccourcir la distance entre le Japon et l’Europe de moitié. À en juger par les records de température actuels, cela paraît possible. Il n’est donc pas étonnant que le monde se soit plongé dans des recherches géographiques, et les voisins arctiques se soient précipités pour « marquer leur territoire ».

Or, il n’y a pas que les voisins.

Quand on regarde l’Arctique aujourd’hui, on est surpris par le nombre des pays à faire la queue devant ses portes. La Chine prétend ouvertement à ce territoire et il peu probable que quelqu’un lui fasse l’affront de lui refuser l’accès aux « richesses du froid » du pôle. La situation tend sûrement vers un partage des richesses naturelles colossales de l’Arctique, il ne faudrait donc pas s’attendre à autre chose. Avec le réchauffement climatique, les voies maritimes du Nord (au Canada et en Russie) s’ouvrent pour des périodes de plus en plus longues. Les transports maritimes via ces voies, disons, de Chine en Allemagne ou de Chine à l’Est des États-Unis, sous réserve d’une ouverture de la navigation toute l’année, permettraient de réduire la distance de 6-7000 kilomètres dans un sens.

L’empire du Milieu l’a déjà compris et se prépare à « un Arctique sans glace », en transférant ses programmes scientifiques en Arctique du domaine théorique vers les recherches appliquées. Son plus grand brise-glace non-nucléaire et modernisé Xuelong (« le dragon des neiges ») est entièrement destiné à l’Arctique. Soit dit en passant, il a été conçu en Ukraine à l’époque soviétique.

La Chine est loin de prétendre aux richesses sous le plateau arctique. Elle n’y a aucun droit juridique mais elle attend avec intérêt le moment où tous les pays côtiers instaureront un ordre juridique dans les mers polaires, détermineront des règles transparentes et claires de passage dans leurs eaux, traceront les frontières, les champs pétroliers et gaziers etc. La plus grande économie mondiale saura où il faut investir son argent et avec qui transporter sa marchandise destinée à la vente, ou recevoir des importations. Il s’agit d’investissements tout à fait fabuleux.

La Russie, le Canada, les États-Unis, le Danemark et la Norvège ont toujours eu des prétentions particulières quant à tout ce qui se trouve dans les eaux de l’océan Arctique. Aujourd’hui, ils devront justifier officiellement leurs « droits à l’héritage ». Cela sera plus difficile que de découvrir le pôle Nord parce qu’à l’heure actuelle, leurs visions sur la manière de partager l’Arctique sont aussi différentes que la taille de la partie émergée de l’iceberg et l’ensemble de l’iceberg.

Les Canadiens avaient toujours proposé (et nous les avons soutenus jusqu’en 2001) d’instaurer « le principe sectoriel » en traçant les frontières partant des extrémités de territoires nationaux en suivant les méridiens jusqu’au pôle Nord. Selon ce principe, l’Arctique aurait été divisée à l’instar d’une pastèque avec des parts très inégales : la Russie aurait reçu la plus grande part (près de 5,8 millions de km²), suivie par le Canada, le Danemark (Groenland), la Norvège et les États-Unis en dernière position.

Il est clair que Washington n’approuve pas un tel partage. Les Américains n’ont même pas encore ratifié la convention de l’ONU sur le droit maritime de 1982 (la constitution maritime mondiale) et ils se soucient peu de toutes ses restrictions. Ils exigent le territoire qui s’étend sur 600 miles nautiques (environ 1 000 kilomètres) de l’Alaska au pôle Nord. Cependant, la calotte terrestre reste « sans propriétaire » s’étendant sur une zone d’environ 3 millions de km² dans laquelle il est permis à tout le monde d’extraire et d’exploiter les minéraux.

Les Danois ont leur propre « estimation danoise », la plus étrange de toutes. Copenhague voudrait délimiter l’Arctique par des frontières passant à distance ÉGALE des côtes des pays prétendants. Selon cette version, sachant que le Groenland est le plus proche du pôle, ce dernier devrait revenir au Danemark qui recevrait ainsi une zone presque égale à celle du Canada.

Ce texte n’engage que la responsabilité de l’auteur

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