Se donner un mal de chien pour aller dans l’espace

© RIA Novosti . S. Preobrazhenski / Accéder à la base multimédiaBelka et Strelka
Belka et Strelka - Sputnik Afrique
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Il y a 50 ans, le programme spatial soviétique franchissait une nouvelle étape importante sur la voie de l’orbite. Le 20 août 1960, la foule de reporters entourait deux petits chiens vifs et tentait de prendre une photo des vainqueurs sous un bon angle.

 

Il y a 50 ans, le programme spatial soviétique franchissait une nouvelle étape importante sur la voie de l’orbite. Le 20 août 1960, la foule de reporters entourait deux petits chiens vifs et tentait de prendre une photo des vainqueurs sous un bon angle. Belka et Strelka étaient les premières à revenir de l’espace après un vol de 24 heures et sont restées gravées dans la mémoire du peuple soviétique. Contrairement à beaucoup de leurs congénères qui, par leur travail de chien, ingrat, ont permis d’ouvrir à l’homme la voie vers l’espace.

À l’une des nombreuses réceptions données après son vol, Iouri Gagarine a plaisanté de manière originale : « Je ne sais pas si j’ai été le premier homme ou seulement le dernier chien dans l’espace ». Gagarine était bien placé pour énoncer une phrase aussi choquante puisqu’il avait été dans l’espace le premier homme mais loin d’être le premier être vivant, or, la fiabilité technique du système Vostok, même le 12 avril 1961, laissait encore à désirer.

Le projet soviétique de fusée spatiale qui a pris son essor juste après la Seconde Guerre mondiale avait désespérément besoin d’informations expérimentales. Tout était nouveau. En particulier, personne ne savait comment un organisme vivant allait se comporter dans le vide, en apesanteur, sous l’effet de la radiation spatiale. C’est ainsi qu’en 1951, sur ordre de Sergueï Korolev, un laboratoire pour la sélection et la préparation des animaux pour des lancements suborbitaux et spatiaux a été créé à l’Institut de médecine militaire.

Le choix s’est porté sur les chiens. Les dimensions des compartiments habitables définissaient des paramètres assez limités pour le choix d’une espèce : un poids maximal de sept kilogrammes et 35 centimètres maximum au garrot. Beaucoup de races de chiens ont fait l’objet de sélections mais finalement seuls des bâtards ont participé aux vols. Les médecins l’expliquaient par les conditions difficiles de survie : or, depuis le plus jeune âge, un bâtard est aguerri par la vie difficile dans la rue, il est en bonne santé et « psychologiquement résistant ».

Le premier lancement d’un chien sur une fusée remonte à 1951. C’était, en quelque sorte, assez simple : les compartiments se détachaient de la partie supérieure en atteignant une certaine altitude et retombaient avec des parachutes. Impossible pourtant de revenir de l’espace en parachute.

Le premier chien-cosmonaute a été mis en orbite le 3 novembre 1957, c’était Laïka, âgée de deux ans. Le vaisseau Spoutnik-2 a été prévu pour un long séjour (jusqu’à sept jours) du chien en orbite mais il n’était pas prévu que le chien revienne. De toute façon cela ne se serait jamais produit en raison de la régulation thermique déficiente : la température à bord a rapidement grimpé et Laïka était déjà morte d’hyperthermie à la quatrième révolution. Chose particulièrement typique de la tradition nationale, le gouvernement soviétique a continué à annoncer pendant une semaine que « le chien se sentait bien », en invoquant auprès de la communauté mondiale le sentiment que Laïka serait infailliblement de retour. Au bout d’une semaine, Moscou s’est senti obligé de déclarer que Laïka avait été « piquée ».

Le satellite de Laïka a brûlé dans l’atmosphère en avril 1958 mais les détails de cette histoire n’ont été révélés qu’en 2002. Il y a deux ans, un monument a été érigé en l’honneur de Laïka sur le territoire de l’Institut de médecine militaire et la plaque commémorative stipule : « … premier être vivant à avoir effectué un voyage dans l’espace ».

La couverture maladroite du vol a causé un certain tort à l’Union soviétique mais l’objectif principal avait été atteint : on avait obtenu les preuves qu’un être vivant pouvait survivre à un lancement en orbite et à l’apesanteur. À cette époque, il n’existait pas de moyens fiables de vérifier ce fait et de nombreuses théories circulaient sur ce sujet, y compris celles qui prédisaient une dégradation totale de l’activité nerveuse supérieure d’un organisme vivant en apesanteur.

Devant les ambassades soviétiques continuaient à défiler des opposants comptant parmi les protecteurs de la nature qui accusaient Moscou de comportement inhumain envers les animaux, alors que des expériences analogiques étaient menées de l’autre côté de l’océan. Les chiens ont juste été remplacés par des singes. Le 28 mai 1959, une capsule spatiale avec deux chimpanzés femelles à bord, Able et Baker, est revenue d’un vol suborbital qualifié, selon la même tradition intangible mais américaine cette fois, de « spatial », mis au rang des vols orbitaux. À la fin des années 40, leurs frères avaient été bien moins chanceux puisque, lors des lancements des primates à faible altitude, plusieurs expériences s’étaient terminées par la mort des macaques rhésus.

Le 28 juillet 1960, l’Union soviétique a tenté de lancer en orbite un compartiment récupérable avec les chiens Tchaïka et Lissitchka. À la 29ème seconde du vol, le premier niveau de la fusée s’est désintégré. Belka et Strelka, les doubleurs de Tchaïka et Lissitchka, ont été choisis pour le vol suivant, prévu pour le 19 août.

Le lancement du satellite a été un succès. Les chiens, accompagnés par une quarantaine de souris (dont 28 sont mortes) ont été sur orbite pendant près de 25 heures. Le vol s’est déroulé normalement, les chiens se sont sentis relativement bien, même si Belka s’est montrée très nerveuse. Le système original de nutrition des chiens en apesanteur s’est avéré assez efficace : on les nourrissait de masse gélatineuse hautement calorique qui servait également de substitut d’eau. La sortie de l’orbite s’est déroulée en douceur, l’appareil a suivi sa trajectoire pour atterrir entre les villes d’Orsk et de Koustanaï, avec une erreur dans l’estimation du lieu d’atterrissage de seulement 10 kilomètres.

Les chiens sont immédiatement devenus des célébrités. L’espace soviétique effrayait et attirait à la fois le monde occidental : les Russes avaient été les premiers à accomplir quelque chose, une fusée intercontinentale, un satellite, et maintenant des chiens qui revenaient d’orbite. Et comment tout allait se terminer ? Ils pourraient y envoyer un homme... Après le vol, Strelka a donné naissance à six chiots en bonne santé, dont un a été offert par Nikita Khrouchtchev à la famille Kennedy. Non sans une certaine allusion au résultat des compétitions entre les deux systèmes.

Entre-temps, le travail de chien s’est poursuivi visant à améliorer le programme Vostok. Un autre lancement sans succès, le 1er décembre 1960, a coûté la vie de Ptchelka et Mouchka. À la fin de l’année un événement très particulier s’est produit : lors du lancement de la fusée avec les cosmonautes Choutka et Kometa, un moteur de l’appareil est tombé en panne et le vaisseau n’a jamais atteint son orbite. Les compartiments d’essai étaient généralement dotés de charge explosive. Cependant, le dispositif n’a pas fonctionné cette fois et il a fallu organiser toute une opération de sauvetage très complexe ; le vaisseau est venu s’écraser dans la taïga sibérienne enneigée dans le bassin de la Basse Toungouska. Les rats et les insectes qui avaient accompagné les cosmonautes à quatre pattes ont gelé mais les deux chiens ont survécu et se sentaient plutôt bien malgré les quatre journées passées dans le froid. Plus tard, en s’inspirant de cette épopée, a été tourné le film Le vaisseau extraterrestre, avec Oleg Tabakov dans le rôle du constructeur principal. Il a fallu toutefois omettre les épisodes des recherches urgentes visant à trouver rapidement des spécialistes du système d’autodestruction et de « déminage » du vaisseau.

Le printemps de 1961 se rapprochait entre-temps alors que Sergueï Korolev avait annoncé sa décision ferme : « Encore deux lancements d’essai réussis coup sur coup et ce sera au tour de l’homme ». Le 9 mars, Tchernouchka a effectué dans l’espace un séjour couronné de succès, et Zvezdochka le 25 mars. Le moment était venu.

Boris Tchertok, l’un des créateurs du projet spatial soviétique raconta plus tard : « Aucun constructeur principal actuel n’autoriserait à envoyer dans l’espace le Vostok de Gagarine. Nous n’avions pas conscience du risque à l’époque ». Donc post factum, Iouri Gagarine avait toutes les raisons de plaisanter sur un ton nerveux. Son lancement selon le programme Vostok fut le huitième, or seulement quatre sur les sept lancements précédents avaient été un succès. Peu de cosmonautes à quatre pattes sont devenus des célébrités comme Belka et Strelka et ont pu rentrer.

Ce texte n’engage que la responsabilité de l’auteur

 

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