La lutte d'Iouri Loujkov contre les personnes malveillantes ressemble aujourd'hui à un film d'action. À première vue, la tension commençait à retomber et le héros principal faisait une pause pour partir en congés. Mais l'épouse du maire Elena Batourina a remis de l'huile dans le feu avec toute une série de commentaires politiques éloquents ressemblant davantage à des déclarations.
L'une des plus riches femmes de la planète, la présidente de la société Inteco, s'était jusqu'à maintenant abstenue de ce genre de commentaires publics et avait rarement communiqué avec la presse. Mais elle a dérogé à sa règle et choisi, pour son attaque verbale, le magazine The New Times, qui laisse régulièrement s’exprimer des représentants de l'opposition hors système en damant, de ce point de vue, le pion au journal russe Novaïa Gazeta auquel le président russe Dmitri Medvedev avait accordé une interview en avril dernier.
Les propos d'Elena Batourina étaient exceptionnellement radicaux. Tout d'abord, elle a ouvertement déclaré que l'administration présidentielle, en la personne d'une " source anonyme du Kremlin ", se trouvait derrière les attaques contre son époux. Elle a proposé sa version des raisons de ces attaques. Selon Batourina, la campagne contre le maire de Moscou a été organisée par " les personnes qui craignent qu'en 2012 Loujkov prenne le parti du premier ministre Vladimir Poutine au lieu du président Dmitri Medvedev ". En d'autres termes, Batourina, sous une forme beaucoup plus radicale, a réitéré la tentative de son époux de mettre en opposition le président et le premier ministre. Sans doute a-t-elle agi ainsi par naïveté. Après tout, elle est une femme d’affaires et ignore tout des intrigues politiques.
Quoi qu’il en soit, l'épouse n'a pas franchi le paradigme établi par Loujkov. Sauf que ce dernier s'exprimait de manière plus diplomatique, "en prenant des gants". Il a déclaré, notamment, que la campagne des révélations diffusées par la télévision avait été orchestrée par les "instances supérieures". Or, les instances " supérieures " aux chaînes fédérales de la télévision ne sont pas très nombreuses. Par ailleurs, le maire soulignait que le gouvernement lui avait accordé son soutien et que, par contre, il avait reçu " un coup de pied " de la part du Kremlin.
Loujkov n'a jamais cité de nom. Mais au Kremlin c'était tout de même perçu en tant qu'insubordination. Puis la situation a évolué. Le maire de Moscou a déclaré avec obstination qu'il n'avait pas l'intention de quitter son poste avant l'heure. Un fonctionnaire anonyme de l'administration présidentielle a rétorqué que la décision n'appartenait pas au maire et que cela relevait de la prérogative du chef de l'Etat. Les personnes bien informées affirmaient que Loujkov avait cherché à obtenir une audience auprès de Vladimir Poutine mais en vain. Qui plus est, le vendredi 18 septembre, à la réunion solennelle du Conseil général de la Fédération des syndicats indépendants de Russie, le maire était assis dans la salle et non pas au présidium, à côté du premier ministre présent à cet événement.
L'affaire s'est terminée par le départ du maire en vacances, en Autriche, où il fêtera le 21 septembre son anniversaire avec sa famille. Des employés anonymes de l'administration du Kremlin et des politologues déclarent que Loujkov fait une pause afin de réfléchir à son avenir.
Or, dès le premier jour des congés du maire, son épouse livre des révélations, dont on pourrait déduire qu'Iouri Loujkov ne baisse pas les bras et compte se battre pour son avenir. Sinon, pourquoi aurait-elle eu besoin de donner une interview purement politique? Elena Batourina n'a pas l'intention de faire de la politique, elle l'a déjà dit, car " le business lui réussit très bien ". Mais il semblerait qu'à son tour Loujkov n'ait pas l'intention d’abandonner la politique.
Comme dans une série policière, la suite des événements est imprévisible. Toutefois, on peut imaginer deux scénarios plausibles.
Le premier est le plus simple. Iouri Loujkov donne sa démission et part paisiblement en retraite. Peut-être pas demain ou dans un mois, mais, quoi qu'il en soit, avant la fin de l'année. Certes, il déclare de ne pas vouloir partir prématurément. Mais dans la grande politique les déclarations de ce genre sont rarement de l'impératif catégorique. Les circonstances pourraient d’ailleurs changer elles aussi.
Le second est plus complexe. En rentrant, Loujkov, comme si de rien n’était, continue à exercer ses fonctions et répète qu'il n'a pas l'intention de donner sa démission. Cela aura tout l'air d'une provocation délibérée.
Évidemment, le président a le droit de démettre le maire de Moscou de ses fonctions par décret. Mais pas sans raisons et arguments : la perte de confiance, une faute grave ou quelque chose dans ce genre seront necessaires pour ce faire. C'est une mesure exceptionnelle, extraordinaire, c'est la confrontation, le conflit et un grand scandale.
Loujkov s'est parfois permis de s'opposer à certains dirigeants au niveau fédéral, notamment à Anatoli Tchoubaïs, ou plus récemment au ministre des Finances, Alexeï Koudrine. Cependant, il est difficile de s'imaginer un combattant politique même aussi aguerri d’entrer en guerre avec les autorités fédérales à 74 ans. Tout se déroulera donc certainement selon le premier scénario.
Bien que des événements inattendus puissent survenir. Iouri Loujkov est plutôt imprévisible. En 18 ans au poste de maire, Loujkov est devenu une légende vivante, un mythe. Et c’est le caractère irremplaçable du protagoniste qui est l'une des principales composantes de ce mythe. Soi-disant, personne d'autre n'est capable de gérer le conglomérat économique de Moscou.
Toutefois, en Russie, il existe d'autres dirigeants compétents et expérimentés qui pourraient facilement remplacer Loujkov. Beaucoup de noms circulent dans les couloirs.
Mais cela fera partie de la prochaine série. L'histoire de Loujkov, quant à elle, est loin d'être terminée.
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