Irréductibles fonctionnaires

© RIA Novosti . Vladimir Fedorenko100.000 postes de fonctionnaires en Russie seront supprimés au cours des trois prochaines années.
100.000 postes de fonctionnaires en Russie seront supprimés au cours des trois prochaines années. - Sputnik Afrique
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Par Nikolaï Troïtsky, RIA Novosti.

En début de semaine, le président a organisé une réunion sur l'optimisation du nombre de fonctionnaires. Une fois de plus il a été décidé de réduire le personnel de 100 000 d'ici 2013.

Ce processus est permanent. Le flux des décrets de réduction est incessant. Cela devient une pratique courante, à l'instar du sénat de la Rome antique qui prenait chaque année la décision d'interdire les produits de luxe. Cela montre seulement que le luxe n'avait jamais disparu, malgré toutes les interdictions. Il en va de même actuellement.

"Malgré les réductions, depuis les quatre dernières années, on observe une augmentation du nombre total des fonctionnaires à tous les niveaux. Plus précisément, depuis 2008, le nombre de fonctionnaires au niveau fédéral a augmenté de 20 000, de 60 000 au niveau fédéré et de près de 50 000 au niveau municipal", déclare le ministre des Finances Alexeï Koudrine.

Dmitri Medvedev reconnaît également les faits: "On réduit et six mois plus tard le nombre de fonctionnaires est toujours le même". En y apportant une base scientifique: "il n'existe pas de rapport optimal, nous aspirons toujours à quelque chose mais en pratique tout se produit différemment, généralement dans le mauvais sens, conformément aux fameuses lois de Parkinson: les fonctionnaires trouveront toujours quelque chose à faire et le feront aussi longtemps que possible ".

Il est précisément question des lois de Parkinson formulées par cette historien et publiciste britannique en 1955, fondées sur l'étude du travail des institutions bureaucratiques de la Grande-Bretagne. C'est donc non seulement un phénomène permanent mais également mondial. Toute tentative de réduire le personnel administratif conduit à son accroissement. Admettons que c'est une exagération satirique. Mais quoi qu'il en soit, le nombre de fonctionnaires ne diminue aucunement. Or il doit être régulièrement réduit, au moins pour que la croissance des institutions ne devienne pas incontrôlable.

Comme cela se passe, par exemple, dans l'Ancien Monde, où un "nuage" de fonctionnaires européens s'est formé au-dessus des nombreuses bureaucraties nationales. Et tous sont impliqués, personne ne se tourne les pouces, "les fonctionnaires se créent mutuellement du travail". Ce monstre bureaucratique publie de nombreuses directives de ce genre:

" Les concombres de norme acceptable doivent être droits, c'est-à-dire ne pas se courber de plus de dix millimètres tous les dix centimètres ". Ou encore: " la taille des aubergines est régulée par la directive de l'Union Européenne numéro 1292/81: la différence entre la plus grande et la plus petite aubergine dans chaque emballage ne doit pas dépasser 20 millimètres pour les aubergines oblongues et 25 millimètres pour les rondes ".

La mesure de l'inclinaison des concombres et des aubergines pour déterminer les normes de 27 pays à la fois est, évidemment, une chose d'importance vitale et primordiale. Et cela ne fait aucun doute que tout un service s'occupe de chaque fruit et légume, voire toute une direction. Et dans le service de l'ail et dans le département du persil les passions se déchaînent, les intrigues se trament et tout le monde travaille.

Pendant ce temps, les citoyens de pratiquement tous les États européens, avec lesquels j'ai eu l'occasion de discuter, se plaignent et maudissent l’omniprésence de la bureaucratie. Et les chefs de ces États tentent certainement parfois " d'optimiser le nombre " de fonctionnaires. D’ailleurs, c’est leur problème. Revenons plutôt à nos moutons.

Il existe beaucoup de fonctionnaires en Russie, et leur nombre ne diminue toujours pas. Il est probable que la nouvelle initiative soit couronnée de succès. Nous le verrons dans trois ans. Pendant ce temps, la population russe, de la même manière que ses homologues européens, maudit cette " caste altière " (expression tirée du message annuel présenté par le président Vladimir Poutine en 2005), ne lui fait pas confiance, en a une mauvaise considération, l'accuse de tous les vices, avant tout de paperasserie infinie et, bien sûr, de corruption.

On pourrait se joindre à nos concitoyens et écrire encore une jérémiade, c'est-à-dire une longue plainte avec des accusations appelée ainsi en honneur du prophète biblique Jérémie. Cependant, on voudrait voir la situation sous un autre angle.

Ces mêmes fonctionnaires innombrables, d'où viennent-ils? S'agit-il des homonculus sortis d'une éprouvette particulière? Ou des envoyés d'autres mondes? Non, ce sont nos concitoyens à nous, qui nous indignons. Qui plus est, ils passent souvent d'un groupe à l'autre. Or, en acquérant la possibilité de délivrer des autorisations ils subissent une transformation profonde, pour ne pas dire plus. Pas tous, bien sûr, mais ce phénomène est largement répandu.

Pourquoi cela se produit-il? Telle est la question. Mon interprétation sera certainement impopulaire: parce que nous le leur permettons. Cela concerne avant tout la corruption, que l'on qualifie de systémique et contre laquelle on lutte depuis aussi longtemps que contre " l'hypertrophie " bureaucratique. Et qui plus est, avec le même résultat.

On a beaucoup écrit et réécrit à ce sujet. Au lieu d'accuser, quelqu'un devrait organiser une campagne pour un refus massif du versement de pots de vin. À l'échelle d'une ville, d'un arrondissement. Surtout sachant que l'offre détermine la demande. On accepte les pots de vin tant qu'on en donne. Et ce ne sont pas des cas isolés mais une tradition depuis plusieurs années, voire même des siècles.

Mais il ne s'agit pas seulement des pots de vins. Il existe également des abus clairs de la part des bureaucrates. Et ils ne rencontrent pas d'opposition civile. Notre peuple ne sait pas et ne veut pas se battre pour ses droits. Les rares exceptions deviennent des sujets de films, d'articles, d'émissions télévisées. Mais en majeure partie la population refuse de réagir en disant qu’elle n’a rien à espérer du système judiciaire et ne tente rien. Et ensuite les gens sont indignés par les abus.

C'est une maladie négligée depuis longtemps. Faisons un court séjour dans le triste passé de notre pays. Pendant les années de la répression stalinienne, on arrêtait la nuit des anciens commandants de l'Armée rouge, des généraux, des personnes armées. Même Soljenitsyne s'étonnait: pourquoi personne (personne!) n'a opposé de résistance armée? Tous allaient humblement et docilement à l'abattoir. On dirait, une non-résistance généralisée au mal par la violence… Bien qu'à l'époque on ne s'indignait pas des abus non plus.

Cette époque effroyable est depuis longtemps révolue. Aujourd'hui la population est indignée. Et elle exige constamment d'autres fonctionnaires, une autre police, une autre Russie. Une organisation de l'opposition hors système avait, d'ailleurs, pris cette appellation lors d'une tentative d'unification. Mais il est impossible d'en " importer " d'autres, ceux qui conviendraient à tous, en provenance de Suisse, ou d'Australie, ou d'une autre planète. Ils n'existeront pas tant que nous n'aurons pas changé.

Certains de nos concitoyens appartenant à l' " l'élite " souhaiteraient, d’ailleurs, un autre peuple. Ainsi Igor Jurgens, président du conseil d'administration de l'Institut de développement contemporain (INSOR), est contrarié par le fait que " les Russes sont très archaïques,… ils ne seront pas comparables aux Européens avant 2025 ".

On se souvient, bon gré mal gré, de cette phrase jésuite prononcée par Staline: " je n'ai pas d'autres écrivains pour vous ". Peut-être est-ce seulement une légende et n'avait-il rien dit de tel. Mais en effet, nous n'avons pas d'autres fonctionnaires, ni d'autres citoyens.

Ce texte n'engage que la responsabilité de l'auteur.

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