Pourquoi le président soudanais ne craint pas une révolution

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Apparemment, les autorités soudanaises ne craignent pas que le pays soit touché par une "révolution", à l’instar de l’Egypte et de la Tunisie, malgré tous les appels à descendre dans la rue lancés par l’opposition à la population.

Apparemment, les autorités soudanaises ne craignent pas que le pays soit touché par une "révolution", à l’instar de l’Egypte et de la Tunisie, malgré tous les appels à descendre dans la rue lancés par l’opposition à la population. Autrement, il est peu probable que le président soudanais Omar el-Béchir aurait pris le risque de se rendre en Ethiopie pour participer au sommet de l’Union africaine, précisément le jour où des manifestations de masses étaient prévues à Khartoum.

Pourquoi el-Béchir ne craint-il pas la répétition du scénario tunisien ou égyptien? Pourquoi est-il tellement convaincu de la puissance et de la loyauté de son armée et de sa police, ainsi que du soutien populaire?

Bien sûr, les forces de sécurité ne dormaient pas et ont rapidement dispersé les quelques centaines d’étudiants venus manifester contre l’augmentation des prix du carburant et des produits alimentaires le jour où le président participait au sommet de l’Union africaine. En fait, les manifestants n’ont crié aucun slogan antigouvernemental. Et, de toute évidence, les étudiants ont été dispersés pour leur propre bien, car lorsque la foule des jeunes s’est dirigée vers le centre de Khartoum, ils ont été rejoints par des personnes aux idées opposées qui manifestaient leur soutien au président en exercice.

Autrement dit, deux flux de manifestants, l'un progouvernemental et l'autre antigouvernemental, se sont mélangés. Et les partisans du président n’étaient pas en infériorité numérique. L’intervention de la police a empêché les affrontements éventuels entre les deux groupes.

Evidemment, se trouvant à proximité des pays où sévissent des "révolutions", la police soudanaise est vigilante, mais comme on peut le voir en Egypte, même les balles n’arrêtent pas la population poussée par le désespoir.

Le président soudanais a beaucoup d’ennemis, mais il a également beaucoup de partisans malgré son refus catégorique de diminuer les prix du carburant et des produits alimentaires qui sont très élevés au Soudan, et qui ont augmenté de 40% depuis le début de l’année. Le président a clairement déclaré que les prix ne diminueraient pas, mais que, par contre, les salaires dans le secteur public seraient relevés et que les personnes vivant dans la pauvreté se verraient accorder une assistance.

Cependant, les Soudanais n’ont pas sombré dans la colère et le mécontentement contre le président et le gouvernement, comme c’est le cas des Egyptiens qui déclarent ouvertement haïr leur président et le qualifient "d'assassin."

Toutefois, le destin d’el-Béchir présente certaines ressemblances avec le parcours de son homologue égyptien. Bien sûr, il est bien plus jeune que Moubarak qui a 82 ans.

El-Béchir a 67 ans, et il est également militaire. En 1966, il a terminé le collège militaire à Khartoum avec le grade de lieutenant. Il a effectué son service militaire dans les troupes aéroportées. Il a suivi la formation des instructeurs des forces aéroportées à l’Académie Nasser en Egypte et a participé à la guerre du Kippour en octobre 1973 sur le front du canal de Suez au sein du contingent soudanais.

En politique, el-Béchir n’est pas un novice, il est président du Soudan depuis 22 ans, comme le président tunisien qui s’est enfui. Il est arrivé au pouvoir après le coup d’Etat de juin 1989, lorsque, général de brigade à la tête d'un groupe d'officiers supérieurs, il a renversé le gouvernement civil de Sadiq Mahdi.

Les pays occidentaux et les médias mondiaux ont depuis longtemps collé à el-Béchir l’étiquette de "dictateur", contrairement à Moubarak et à Ben Ali.

Mais alors pourquoi au Soudan, où la population est bien plus pauvre qu’en Tunisie (comme le dit un ami tunisien, la meilleure rue de Khartoum ressemble à la pire rue de Tunis) et a un niveau de vie considérablement inférieur (les revenus sont sensiblement les mêmes tandis que les prix au Soudan sont largement plus élevés), le peuple ne cherche-t-il pas à renverser son "dictateur"? C'est d’autant plus étrange, vu qu’à la dernière élection présidentielle d'avril 2010, le "dictateur" el-Béchir n’a obtenu que 69% des suffrages. Tandis que Moubarak a remporté la présidentielle de 2005 avec plus de 88% des voix, alors qu'en 2009 Ben Ali a bénéficié du soutien de 89% de la population tunisienne.

Mais la principale différence entre les pays susmentionnés est la présence au Soudan d’une plus grande liberté politique. "Dans notre pays on peut blâmer le président, le gouvernement, le parti au pouvoir, cela ne pose aucun problème", a déclaré très calmement un fonctionnaire du gouvernement. Au Soudan, la population, les journalistes et les politiciens se permettent de s’exprimer très franchement contre le gouvernement et contre le président.

Et lorsque récemment le parti d’opposition Umma a fixé un ultimatum au gouvernement pour satisfaire les exigences en menaçant de faire descendre la population dans la rue, le président s’est empressé d’aller voir le chef du parti pour examiner avec lui les conditions posées par son parti et l'assurer que les revendications de l’opposition étaient entendues et prises en considération.

Un autre point important. Tous s’entendaient à dire qu’el-Béchir était un dictateur. Mais le serrage de vis en Egypte et en Tunisie n'a pas suscité l’attention de la communauté mondiale. Les dirigeants de l'Egypte et de la Tunisie ont probablement mérité l’antipathie de leurs peuples pour les mêmes raisons qui leur valent encore l’éloge dans d’autres pays. Pour leurs "pro-occidentalisme", la "laïcité" et la "démocratie", bien que personne n'ait pu déceler la moindre velléité de démocratie dans l'attitude des deux personnalités.

Contrairement à Moubarak et à Ben Ali, le président soudanais ne s’est jamais montré en tant que politicien enclin à une amitié étroite avec l’Occident ou en tant que gouvernant laïc. Il n’a jamais aspiré à faire du Soudan même un semblant d’un Etat laïc, ce qui était très apprécié en Egypte et en Tunisie par les observateurs extérieurs, mais qui ne plaisait apparemment pas à la population locale.

Il a toujours été adepte de la tradition islamique et ne cesse de déclarer ouvertement qu’il n’existe aucune alternative à l'existence au Soudan d’un Etat établi sur les principes de la charia.

Seul le monde occidental vivant selon ses règles s’imagine que les populations pauvres d’Orient rêvent de se libérer de l'étau de la religion, estimant que c'est un terrible fardeau. En réalité, aux yeux des personnes très croyantes, dont le nombre dans la société arabe est plus important que partout ailleurs, vivre dans un Etat laïc ou semi-laïc serait considéré comme un châtiment.

Si l'on proposait au Soudan de laïciser la société, de séparer la religion de l’Etat, d'inviter les femmes à troquer la tenue traditionnelle qui recouvre la tête et le corps contre les mini-jupes et les décolletés, d'inciter les jeunes couples à vivre ensemble sans être mariés religieusement, cela provoquerait un rejet catégorique de la part de la population.

Car c’est leur tradition, leur histoire, la vie de plusieurs générations. Et même ceux qui s'arrachent provisoirement à ces coutumes, en partant étudier ou travailler dans des pays ayant un mode de vie différent, reviennent obligatoirement à leurs sources et refusent de vivre autrement malgré les stéréotypes imposés par la mondialisation, internet et des films hollywoodiens.

On a l’impression que Moubarak n’a pas remarqué que l’Egypte avait changé au cours de son "règne", qu’il était le seul à être aussi prooccidental et laïc, qu’il était entouré d'une population très différente. Car seuls les touristes croient que les Egyptiens ne sont pas très croyants, et qu’ils aiment le mode de vie occidental.

Pendant la présidence de Moubarak, une majorité absolue des femmes ont préféré l’abaya et le foulard qui cachent le corps au style vestimentaire égyptien. Les écoles coraniques sont devenues très populaires en Egypte. La majorité de la population veut étudier sa religion et vivre conformément à celle-ci.

Contrairement à l’Egypte, au Soudan, il n’existe pas de forte opposition religieuse qui soit soutenue par la population pour des raisons autres que la composante spirituelle de son idéologie. Les partis islamistes et leurs fondations dans les pays arabes aident les personnes dans le besoin, lorsque les autorités les oublient et que les Eglises les abandonnent.
   
Telle est la position du gouvernement soudanais et la majorité de la population soutient cette politique, quoi qu’en disent les observateurs étrangers, qui l'apprécient ou la critiquent.

Certes, au Soudan les gens jouissent de moins de libertés personnelles qu’en Egypte ou en Tunisie. Même les hôtels ne vendent pas de boissons alcoolisées. Il n’existe pas de bars, de boîtes de nuit et de discothèques. Toutes les soirées, y compris les célébrations de mariages, si elles ne sont pas organisées à domicile, se terminent avant minuit, en général à 23 heures. Par contre, la majorité de la population lit la presse, non pas parce qu’elle s'y familiarise avec l'actualité de la vie des stars, mais parce qu’elle peut y trouver des points de vue différents concernant la situation dans son pays.

Et c’est la raison pour laquelle le président soudanais se permet de quitter le pays au moment, à première vue, le plus inapproprié.


Ce texte n’engage pas la responsabilité de RIA Novosti

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