Le surréalisme de la révolte libyenne

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Le régime de Mouammar Kadhafi a survécu jusqu’à la fin de la quatrième semaine de révolte libyenne et tiendra probablement encore au moins une, deux, voire trois semaines.

Le régime de Mouammar Kadhafi a survécu jusqu’à la fin de la quatrième semaine de révolte libyenne et tiendra probablement encore au moins une, deux, voire trois semaines. Toute la semaine dernière, l’OTAN, l’Union européenne, Washington, ses partenaires (dont Moscou) et les pays arabes se sont demandés comment agir avec la Libye et pousser Kadhafi à partir. Mais sans résultat, bien que le colonel soit déjà proclamé illégitime: la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye est chargée depuis le 2 mars de rassembler des dossiers afin de poursuivre Kadhafi et les membres de sa famille pour crimes contre le peuple libyen. Aussi bien ceux qui ont déjà été commis, que ceux qui pourraient l’être. Une chose peu probante d’un point de vue du droit international, mais c’est la formulation précise de la CPI.

Pour l’instant, l’OTAN a seulement ordonné d’envoyer près des côtes libyennes des bâtiments de guerre pour assurer l’embargo sur les approvisionnements en armements. Et lors du sommet du 11 mars, l’Union européenne, a assorti son exhortation à Kadhafi à partir du durcissement des sanctions et a déclaré n’avoir aucune relation avec lui et ne parler (sans les reconnaître officiellement) qu'avec les chefs des rebelles. Leur dirigeant, le chef du Conseil national de transition à Benghazi, Mustafa Abdul-Jalil était autrefois un loyaliste de Mouammar Kadhafi, son ministre de la Justice.

A partir de cette semaine, des consultations de l’Union européenne, des Etats arabes, de l’OTAN et de Washington se tiendront pratiquement tous les jours. Des séries de réunions au sujet de la Libye auront lieu à Bruxelles, au Caire, à l’ONU, à Riyad. La Secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton rencontrera à Washington les émissaires de l’opposition libyenne, et en début de semaine elle se rendra en Afrique du Nord. Toutefois, pendant toutes ces négociations, Kadhafi pourra continuer à éliminer les foyers d’opposition dans l’Est et dans le Sud du pays.

Une révolte désormais insensée et impitoyable?

Le plus impardonnable avec les dictateurs serait de laisser passer la chance de les renverser au bon moment. Ou ne pas aider quelqu’un à le faire. De telles opportunités inexploitées évoluent vers des migraines plus terribles à terme. Le problème libyen répondant au nom de Mouammar Kadhafi semble atteindre précisément ce stade.

N’étant véritablement soutenue par personne, la révolte libyenne n’a pas atteint l’envergure d’une révolution à l’échelle nationale (comme en Egypte ou en Tunisie), qui devait balayer le régime à Tripoli. Et les révoltes et les révolutions coincées à mi-chemin conduisent généralement à l’instabilité, à l’incertitude, à la dualité du pouvoir (ou à son absence), aux scissions, aux guerres civiles et à d’autres problèmes similaires. Y compris pour les voisins. En particulier, pour l’Europe.

La révolte libyenne et tout ce qui l’entoure commencent à revêtir des formes peu compréhensibles, difficilement explicables et même surréalistes. Tous les événements à la périphérie de la révolte contre Kadhafi pourraient être qualifiés de grotesques n'était le sang coulant à son épicentre. Et en l’absence d'une opposition qui sombre déjà dans fatalisme des condamnés.

Difficilement crédible, mais c’est la réalité. L’Europe est contrainte d’essayer de convaincre Washington de faire pratiquement la même chose, à laquelle les Etats-Unis poussaient leurs alliés de l’UE au Kosovo et en Yougoslavie en 1999: instaurer en Libye une zone d’exclusion aérienne, détruire les systèmes de défense antiaérienne et commencer à armer les rebelles. Soit simplement armer l’opposition. Or à l’époque, à la fin des années 90, le "problème kosovar" ne représentait une menace ni pour l’Europe, ni pour les Etats-Unis de par la gravité des problèmes qui surviennent déjà en raison de l’instabilité libyenne et de la perturbation de l’approvisionnement en pétrole.

La France, la Grande-Bretagne et l’Italie devancent Washington dans les appels à instaurer un blocus aérien de la Libye et de faire des "frappes chirurgicales" sur les sites gouvernementaux (appel du président français Nicolas Sarkozy). Nicolas Sarkozy a, par ailleurs, décrété la reconnaissance du Conseil national de transition des rebelles à Benghazi et l’échange d’ambassadeurs, et il a été réprimandé pour cela par les autres membres de l’UE (nous devons agir ensemble, et cela ne sert à rien de se démarquer).

Obama-président et Obama-homme: deux différences de taille

L’OTAN ne fait rien sans l’approbation de Washington. C’est un axiome. Or la "libération libyenne" n’est pas approuvée. Il est curieux de constater que le président américain appelait au départ du président égyptien Hosni Moubarak, un allié fidèle de Washington, bien plus souvent qu’au départ de l’ennemi juré des Etats-Unis, Mouammar Kadhafi. Il y a une chose qui "colle" pas chez Barack Obama, le lauréat du prix Nobel de la paix, pour qui, en raison de son appartenance raciale, toute la population arabe éprouve des sentiments chaleureux. A titre privé, les représentants de l’administration américaine reconnaissent que les arabes attendent quelque chose d’incroyable de la part de Barack Obama-homme. Et ils le confondent avec Barack Obama-président, or ce dernier ne peut pas leur donner ce qu’ils souhaitent. Et Obama-président a déjà d’autres préoccupations. Toutes ces préoccupations sont concentrées dans la péninsule arabique et dans la région du golfe Persique, où on lui suggère qu’il doit tout de même y avoir une limite.

Les principaux alliés et les fournisseurs de pétrole des Etats-Unis, l’Arabie saoudite et d’autres rois du pétrole ne veulent pas que leur "plèbe" prenne des ailes grâce à l’aide extérieure. En s’inspirant notamment de l’exemple de la Libye. Personne ne défend Kadhafi détesté par tous: plaise à Dieu qu’il s’en aille. Mais il ne faut pas que cela se propage jusqu’à nous!

Les pays arabes du golfe Persique ont déjà adopté une déclaration spéciale qui met le régime de Mouammar Kadhafi hors la loi et reconnaît le Conseil national libyen de transition en tant qu’autorité légitime. Ces pays sont même en faveur de l’interdiction du survol du territoire libyen, mais pour l’instant seulement grâce à leurs propres forces aériennes. Cependant, les pays arabes du golfe Persique sont hostiles à une intervention étrangère en Libye. Ce serait un précédent dangereux pour les autocrates locaux. Or, dans la politique, le pragmatisme est plus important que toutes les expériences avec la démocratie, l’égalité de tous, l’espoir du peuple, l’équité, etc.

Il convient de tenir compte du fait que la Libye n’a jamais été un allié particulier des Etats-Unis, et que Washington n’a jamais reçu de sa part suffisamment de pétrole pour considérer sérieusement Tripoli dans sa balance stratégique. Un pays irritant? Oui. Mais pas au point d’être insupportable.

Il n’est pas de même pour l’Europe. L’Italie, l’Espagne et l’Autriche dépendent en partie du gaz et du pétrole libyen. Le Vieux Continent craint encore plus que la poursuite des troubles libyens soulève une nouvelle vague d’immigration africaine clandestine. Tout le Sud de l’Italie est déjà pris de panique: chaque semaine les côtes italiennes sont accostées par des bateaux de réfugiés en provenance de Tunisie et de Libye. Les Italiens affirment que si on ne fait rien aujourd’hui, la vague d’immigration d’une "hauteur" de 300.000 personnes submergera tous les pays de l’UE. Et ni l’Allemagne, ni la Suède, ni la Danemark, ni les Pays-Bas, qui sont contre l’ingérence militaire, ne pourront y échapper.

La vague arabe révolutionnaire devra se terminer sur un certain point géographique. Probablement, Mouammar Kadhafi sera ce point. On ignore seulement quand ce point final sera mis. Et combien de sang sera encore versé.

Ce texte n’engage pas la responsabilité de RIA Novosti.

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