Opérations en Libye : un point de vue français

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«Liberté, égalité, fraternité», «les trois marches du perron suprême» selon Victor Hugo.

«Liberté, égalité, fraternité», «les trois marches du perron suprême» selon Victor Hugo. Ce serait donc au nom de cette grandeur transcendantale et pour le respect de la démocratie que le Conseil de sécurité de l’ONU, sous l’impulsion d’une France proactive, que les opérations aériennes contre la Libye ont été lancées. Pourtant, ce qui frappe ici, c’est l’empressement dans la décision d’attaquer.
Essayons de comprendre le contexte de cette intervention aux contours complexes.

La blessure irakienne
Après le 11 septembre, les néoconservateurs américains emmenés par Paul Wolfowitz avaient décidé d’en finir avec le régime de Saddam Hussein. A l’époque, le sherpa de Jacques Chirac, Dominique de Villepin avait alors expliqué au Conseil de Sécurité pourquoi la France ne participerait pas à la coalition. Une décision que certaines hauts cadres, au sein du ministère de la Défense, regrettent a posteriori. Aujourd’hui, les cartes géopolitiques ont changé. L’idée d’un « Grand Moyen Orient » redessiné à l’image des Occidentaux en faisant sauter les verrous irakiens et iraniens semble être tombée aux oubliettes. Ou plutôt, cette idée se matérialise sous une forme inattendue où la France, héritière de la philosophie des Lumières, supporterait mal de rester à la périphérie après l’avoir été en Irak.  En effet, une chaîne de « convulsions douces » a bousculé la Méditerranée sur le flanc sud de la France : le Tunisie a chassé ben Ali et l’Egypte a rompu avec l’ère Moubarak. Reste la Libye et la possibilité d’un « effet domino » terrassant l’Algérie, le Maroc, le Yémen, Bahreïn voire de la Palestine. 

Tout sauf Kadhafi !
Le cas libyen a véritablement, vu de France, été une surprise stratégique. Comme souvent depuis son élection en 2007, le Président Sarkozy a développé une politique extérieure basé sur l’immédiateté et l’action à tout prix. Une politique influencée par les deux philosophes idéologiques MM.  Glucksmann et Henri-Levy, qui ont pris le parti systématique des révoltés de ce monde scandant des slogans en faveur de la liberté et de la démocratie, qu’ils soient en Tchétchénie, au Tibet, au Cachemire ou en Libye. Pourtant, dans le cas libyen, même que ce soit Paris, à Londres ou à Langley, on ne connaît pas vraiment le pédigrée des « révolutionnaires ». Mais finalement, peu importe : ce sera toujours mieux que Kadhafi ! Reste que, comme le soulignait Tocqueville, il n’existe pas de révolution spontanée, il n’existe que des révolutions bourgeoises servant les intérêts de tel ou tel groupe social, voire telle ou telle communauté.

Une opération exclusivement aérienne
Lorsque l’Elysée a réagi aux actions armées de Kadhafi contre les groupes révolutionnaires, les armées françaises ont déjà planifié tous les scénarios possibles, dont celui de frappes aériennes. Tout a été planifié sauf l’option d’une action terrestre, seule action permettant pourtant de renverser réellement le régime (comme ce fut le cas pour Saddam Hussein).

Dans ce cadre, l’empressement du Président Sarkozy à déclencher les opérations peut s’expliquer par trois raisons. D’une part, le Président peut espérer redorer son blason à l’intérieur où sa cote de popularité est en berne. D’autre part, il peut vouloir montrer aux Etats qui en doutaient que l’accord de coopération militaire avec la Grande-Bretagne est une réalité opérationnelle. Enfin, il peut vouloir montrer à l’espace méditerranéen que la France reste un acteur majeur de la région.

Buts de guerre et gestion de l’après
On le voit, le grand absent de ces opérations est l’Union européenne. Clairement, l’Europe de la Défense tend à devenir une idée, une utopie, d’autant que l’abstention allemande montre de profonde divergences de vue entre les partenaires européens. Certaines voix en France estiment que Paris se fourvoie dans cette opération où les buts de guerre n’existent pas. Il suffit de lire attentivement la résolution de l’ONU pour constater qu’aucun but de guerre n’apparaît. L’amiral Lanxade a déclaré hier à la presse que la défense d’une zone d’exclusion aérienne pourrait être maintenu pendant de longs mois (il serait intéresser de s’interroger sur le coût dans la durée d’une telle opération…). Est-ce cela le but de guerre ? Ou bien l’Occident, à l’exception de l’Allemagne, est-il devenu la proie des nombrilistes humanitaires dociles à l’opinion ? Si le but de guerre est le renversement de l’irrationnel Kadhafi, il faudra alors se lancer dans une guerre à pied. Le régime hitlérien ne serait jamais tombé sans la poussée terrestre de l’URSS et des Etats-Unis.

« Hors de question d’intervenir à pied », rétorque un expert, qui craint une réaction négative d’Etats arabes visiblement susceptibles. Mais alors que cible-t-on ? Les armées libyennes sont une armée de « bédouins » avec des moyens sans aucune comparaison avec ceux de l’Occident. Quelques 10 000 hommes éparpillés sur le territoire que des frappes aériennes ne suffiront jamais à éliminer. Au total, une stratégie d’immédiateté qui semble bien confuse. Robert Gates l’a bien compris et ce n’est pas un hasard sur la majorité des militaires du Pentagone sont sceptiques sur cette intervention. Si le but ultime des Américains est de briser le verrou iranien, s’investir en Libye n’a que peu d’intérêt sinon celui de se venger de Kadhafi, pour son attentat de Lockerbie…

A l’heure où seul le dérisoire fait sérieux, où les présidents des Etats aiment s’afficher avec des Rolex au poignet, la Libye ne sert-elle pas d’exutoire à ceux qui ont le sentiment de ne pas avoir la maîtrise des événements au Moyen Orient ? Mais comment gérer l’après ? Qui y a-t-il au-delà du « perron suprême » de Victor Hugo ? La liberté, une nouvelle vague de terreur, ou le vide stratégique ? Peut-être allons vers la mise en place d’un système de type Karzaï, ce qui n’est gère réjouissant…

Il nous est, hélas, impossible de répondre en l’état actuel des faits à ces questions pourtant essentielle…

 

Ce texte n’engage pas la responsabilité de RIA Novosti

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