Le rasoir effilé des notes de rating

© Flickr / ArtemFinlandLes notes de crédit coupent comme des lames de rasoir
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Même un thème aussi ennuyeux que les notes de rating peuvent prendre toutes les couleurs de l’arc-en-ciel pour les simples mortels, à condition qu’il soit présenté correctement et en temps opportun.

Même un thème aussi ennuyeux que les notes de rating peuvent prendre toutes les couleurs de l’arc-en-ciel pour les simples mortels, à condition qu’il soit présenté correctement et en temps opportun. C’est précisément ce qu’a fait la plus grande agence de notation financière du monde Standard&Poor’s (S&P) lorsque le 18 avril, pour la première fois de toute la pratique d’évaluation de la solvabilité des Etats-Unis, elle a revu à la baisse la note des obligations gouvernementales américaines et, par conséquence, la confiance en la capacité du gouvernement de rembourser ses dettes. Il convient de préciser que la baisse de la note de crédit souveraine de "standard" à "négatif" est en fait insignifiante. Et il est seulement question des prévisions à long terme, avec deux ans d’avance, pour prédire ce qui pourrait arriver en 2013 si l’administration de Barack Obama ne réduisait pas enfin le gaspillage budgétaire.

Rien de ce que certains journaux américains qualifient de "Pearl Harbor du crédit" des Etats-Unis n’a eu lieu. Bien que l’image soit belle: depuis 1941, les notes de crédit des Etats-Unis n’avaient encore jamais été revues à la baisse. Pour commencer, il conviendrait de noter qu’à l’époque de Pearl Harbor, S&P n’avait pas la méthode d’évaluation actuelle, bien que l’agence (avec ses prédécesseurs) ait plus de cent ans.

A la note la plus élevée AAA, selon la codification de S&P, ont été ajoutés des signes incompréhensibles pour le simple mortel, à savoir A-1+. Techniquement, cela n’est même pas considéré comme une baisse. C’est une sorte d’avertissement pour la suite: à l’avenir les Etats-Unis pourraient rencontrer des difficultés avec leurs dettes s’ils ne réglaient pas enfin le problème de leur déficit budgétaire colossal et de leur dette intérieure encore plus importante.

Dans cette situation tout comptable a de quoi en perdre le sommeil. Le déficit budgétaire des Etats-Unis s’élève actuellement à 1.400 milliards de dollars, soit 10% du PIB américain.

Afin de prendre conscience de l’ampleur du phénomène qui montre à quel point les USA vivent au-dessus de leurs moyens, rappelons que ce déficit budgétaire est pratiquement égal au PIB de la Russie en 2010. (Selon les rapports annuels de statistiques du Fonds monétaire international (FMI) et de la CIA). Quant à la dette nationale, elle est estimée à 14.000 milliards de dollars. Cela est à peu près équivalent à tout ce que les Etats-Unis produisent chaque année, c’est-à-dire au PIB national.

S&P avertit que si avant la fin de l’année 2012 les moyens de réduire considérablement les déficits et la dette nationale ne sont pas trouvés, en 2013 l’agence baissera effectivement la note de crédit des Etats-Unis. Les chances sont de 1 contre 3. Cela a ébranlé les bourses, et les taux de change des actions et des devises ont commencé à dégringoler. Dans le monde financier, les prévisions et les notes acquièrent généralement une force palpable. Un peu comme dans la Guerre des Etoiles (Star Wars): "Que la force soit avec toi, Luke." Tout le monde était jusqu’à présent préoccupé par la crise dans la zone euro, les problèmes de la Grèce (de nouveau au bord de la faillite) et du Portugal. Et désormais on prédit du plomb dans l’aile aux Etats-Unis.

Précisément cette "palpabilité" des prévisions des agences de notation commence à préoccuper de nombreux gouvernements. Particulièrement en Europe.

Pourquoi des notes aussi négatives?

Il existe une chose à première vue assez inexplicable quant à la période de l’apparition de la prévision négative pour les Etats-Unis. Pourquoi un tel "coup" porté à la politique de l’administration d’Obama aujourd’hui? Beaucoup de financiers s’y attendaient, bien sûr, mais supposaient que l’agence S&P aurait la décence d’attendre l’élection présidentielle qui se tiendra en novembre 2012. Ce genre de choses au cours d’une année précédent l’année de l’élection affecte la santé intrapolitique des Etats-Unis. Les optimistes affirment que l’avertissement de S&P devrait pousser le Congrès à s’entendre sur les volumes de réduction annuelle des dépenses budgétaires. Barack Obama a déjà annoncé qu’au cours des 12 prochaines années les dépenses du gouvernement fédéral seraient réduites de 4.000 milliards. Il ne reste qu’à faire approuver le programme par le Congrès, majoritairement républicain (à la chambre basse où sont examinées toutes les questions financières). Mais les républicains n’ont aucun intérêt à "aider" les démocrates à régler les problèmes budgétaires à la veille de la présidentielle.

En réalité, tout peut être expliqué. En Europe on souhaite coincer le "trio" de la notation (S&P et ses principaux concurrents Moody’s et Fitch Ratings) et leur apprendre à se conduire responsablement. Et ne pas sortir leurs prévisions de leur pochette-surprise.

Parmi les trois principales agences de notation du monde, l’américaine S&P est la plus importante. Sa part d’analyses financières s’élève à 40% du marché global. Le reste est partagé par l’américaine Moody’s (39%) et l’anglo-américaine Fitch (16%). Les 5% restants sont laissés aux "amateurs."

Les agences assumeront la responsabilité des pronostics

Le "comportement étrange" des trois grandes agences mondiales de notation financière a commencé à alarmer la communauté européenne juste après la crise de 2008-2009. Aujourd’hui, il a été décidé de s’en occuper sérieusement et de déterminer dans quelle mesure il est possible de faire confiance aux "rayons X" utilisés par les agences de notation chaque année. Et ces "examens" sont-ils réalisés par des professionnels? Et ne faut-il pas rendre le trio responsable des prévisions annoncées?

Il est tout de même question de pertes se chiffrant à des milliers de milliards de dollars. Rien que sur le marché américain, en 2008 plus de 40 banques ont déposé leur bilan. Y compris les plus grandes, telles que Lehman Brothers. Mais aucune des agences n’avaient prédit une telle chose. Au contraire, elles attribuaient les meilleures notes à toutes les compagnies et banques et aux instruments financiers qui ont conduit à la crise financière de 2008-2009. Qu’est-ce qui a empêché S&P de faire en 2007 la même chose que le 18 avril 2011, en faisant chuter la note américaine dès avant la crise financière? Car celle-ci a précisément commencé aux Etats-Unis. Est-ce que personne n’avait connaissance du déficit budgétaire et de la dette nationale?

L’Europe élabore actuellement une législation spéciale destinée à noter les agences de notation elles-mêmes. Et elle va établir une échelle de responsabilité pour l’impartialité du produit final. Avec des sanctions appropriées.

Lorsque les principales agences de notation ont appris ce projet, elles ont toutes annoncé que cela compliquerait leur activité et pourrait conduire à l’absence totale de cotations. L’adoption de la loi (elle devrait être terminée vers la fin de l’année) pourrait aboutir à ce que la majorité des possesseurs et des acheteurs des titres d’Etat et d’instruments bancaires aient la possibilité de poursuivre les agences de notation si leurs prévisions ne se traduisaient pas par l’augmentation des bénéfices, mais par la perte de capitaux. Dans ce cas, il s’agirait de milliards de dollars.

En Europe on dit déjà que si les agences de notation ont commencé à faire autant de prévisions négatives, c'est précisément en raison de la nouvelle législation européenne en élaboration, qui les obligerait à répondre de leurs pronostics. Lorsqu’en mars S&P, Moody’s et Fitch ont une nouvelle fois revu à la baisse la note des obligations de la Grèce et du Portugal (et le taux d’intérêts sur les crédits prêtés ont immédiatement grimpé pour ceux pays à 8-10%), le premier ministre grec George Papandréou s’est indigné: "Il y a deux ans seulement ils accordaient la note AAA aux obligations les plus toxiques qui ont provoqué la crise. Ils vivaient dans une bulle d’euphorie, et maintenant ils sont tombés dans la panique des risques." En fait, c’est le principe du mauvais médecin: dire au malade qu’il va très mal et qu’il est au bord de l'invalidité, et si le patient guérit il n’en voudra sûrement pas au médecin pour son diagnostic trop pessimiste.

S&P, Moody’s et Fitch gagnent la majeure partie de leurs revenus en dehors des Etats-Unis. Principalement en Europe. Et il s’agit de fortes sommes d’argent. Selon la comptabilité, le revenu de l’année dernière de S&P s’élève à 2,8 milliards de dollars, à 1,6 milliards pour Moody’s et à 730 millions pour Fitch.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.

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