Zone morte de Tchernobyl: ceux qui sont revenus cultivent la terre

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25 ans après l’accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl, la "zone d’exclusion" revient à la vie: les habitants locaux qui ont choisi de revenir invitent les journalistes à boire du thé, et des groupes de touristes viennent visiter la "ville morte" de Pripet (ou Pripiat en ukrainien).

25 ans après l’accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl, la "zone d’exclusion" revient à la vie: les habitants locaux qui ont choisi de revenir invitent les journalistes à boire du thé, et des groupes de touristes viennent visiter la "ville morte" de Pripet (ou Pripiat en ukrainien).

La "zone d’exclusion", les villes de Tchernobyl et de Pripet, renaissent. A la veille du 25e anniversaire de la catastrophe, les touristes et les journalistes ont commencé à s’y rendre de plus en plus souvent. Mais parmi ceux qui sont venus ces jours-ci dans la zone qui a souffert des conséquences de l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl, certains ne sont pas motivés par la curiosité, mais par leurs propres souvenirs.

Alexeï Breous était ingénieur à la centrale nucléaire de Tchernobyl de 1982 à 1986 et a participé comme "liquidateur" à l'élimination des séquelles de l’accident durant les premières journées qui ont suivi l’explosion.

 

"J’ai été muté à Pripet en 1982. La ville m’a immédiatement déplu, et la première chose que j’ai tenté de faire a été de partir", dit M. Breous. Mais après avoir quitté Pripet après la catastrophe, il est revenu souvent dans cet endroit détesté. "Depuis un quart de siècle je vis à Kiev, mais je me rends souvent à Pripet. Quelque chose m’attire ici", explique l’ancien ingénieur.

Les immeubles de Pripet sont délabrés. Les portes des appartements sont grand ouvertes, on voit énormément de poussière sur les rebords de fenêtres, des toiles d’araignées dans les coins et de la mousse qui recouvre les murs du sol au plafond. Alexeï Breous commence toujours la promenade dans la ville par la visite de son appartement dans la rue Sportivnaïa. "Ici, dans la matinée du 26 avril, je m’apprêtais à partir travailler, sans soupçonner l'accident. Je n’ai entendu aucune explosion, ni bruit", se souvient Alexeï. Il a appris ce qui s’était produit seulement en arrivant à la centrale. "Or, si j’avais regardé par la fenêtre, j’aurais vu le quatrième réacteur détruit", raconte l’ancien ingénieur.


La mère apporte des œillets à l’opérateur de la centrale

Des œillets sont déposés sur le canapé de l’appartement 88 qui se trouve à l’étage supérieur. Selon Alexeï, les fleurs ont été apportées par la mère de Leonid Toptounov, l'un des pilotes de la centrale.

Pour la dernière fois, M. Breous a vu son collègue et voisin au pupitre de commande il y a 25 ans, le 26 avril. Plus tard, il a appris que M. Toptounov avait participé à l’expérience organisée à la centrale dans la nuit de l’explosion.

"Cette nuit, Leonid avait participé au test des systèmes de sécurité organisé à la centrale. C’est lui qui a pressé le bouton de protection d’urgence AZ-5, ce qui a provoqué l'explosion du réacteur, explique M. Breous. Lorsque j’ai vu Toptounov ce matin-là, il était tout pâle. Il s’est avéré qu’il avait reçu une dose de radiation d’environ 1.200 rems, sachant qu’une dose de 600 rems est létale."

Le pilote de la centrale nucléaire de Tchernobyl Leonid Toptounov est mort d’un syndrome d’irradiation aiguë deux semaines après l’accident.

L’accident a dépeuplé la ville en une journée et pour toujours

En prenant leur quart de travail le 26 avril, Alexeï Breous et ses collègues ont commencé à éliminer les conséquences de l’accident. Au cours des premières heures qui ont suivi l’accident, il était nécessaire d’assurer l’approvisionnement du réacteur en eau pour le refroidir.

"Le 26 avril, je travaillais sur le quatrième réacteur pendant le premier quart, et sur le troisième réacteur pendant le deuxième et le troisième quarts. Je suis revenu de la centrale dans une ville déjà déserte", se souvient M. Breous.

Tous les 50.000 habitants de Pripet ont été évacués de la ville le lendemain de la catastrophe. Alexeï Breous a été autorisé à quitter la zone seulement à la mi-mai 1986. Il a toujours gardé depuis cette époque une attestation de traitement sanitaire.

"Nous étions envoyés à la douche pour nous laver de la radiation reçue, puis le niveau de radiation était mesuré, raconte M. Breous. Avant de me laisser partir à Kiev, j’ai reçu une attestation amusante: "A subi le traitement sanitaire avec succès, apte à vivre en collectivité." Que pouvait-il y avoir de plus réjouissant pour un Soviétique?"

Aujourd’hui, le taux moyen de radiation à Pripet est de 40-60 micro-roentgens par heure pour une norme de 30. Un court séjour dans la zone contaminée (la visite touristique ne dure pas plus de huit heures), ne présente pour l'organisme aucun risque d'irradiation, selon les spécialistes. Cependant, ils conseillent d’éviter les endroits où le dosimètre enregistre une forte augmentation de la radioactivité.

"En approchant le dosimètre d'une tache de mousse sur le macadam, il indiquera près de 1.500 micro-roentgens par heure, montre Alexeï Breous. C’est l’un des endroits les plus "pollués" de la ville. Il est déconseillé de marcher sur la mousse: si la poussière radioactive sur les chaussures dépassait la norme à la sortie de la "zone", on pourrait vous prendre vos chaussures."

Dans la ville où, selon Alexeï Breous, "l’atome a vaincu l’homme", on voit la nature reprendre le dessus: les arbres poussent littéralement à travers les murs de béton, en achevant les destructions causées par le temps aux édifices.

Personne n'accueillait de gaîté de cœur les "pestiférés" de Pripet

Un immeuble ordinaire dans le quartier résidentiel de Kiev dont l’apparence ne diffère en rien des autres immeubles érigés dans la ville dans les années 1980. Il y a 25 ans, les habitants de la capitale ukrainienne qui étaient sur la liste d'attente d’un logement comptaient les jours avant d’obtenir leur appartement. Mais l’histoire avait réservé une autre destinée à l’immeuble 11 de la rue de l’architecte Verbitsky.

Le lendemain de l’accident à la centrale nucléaire de Tchernobyl, il a fallu reloger pratiquement 50.000 habitants de Pripet, dont la vie avait basculé le 26 avril 1986. Ces personnes sont passées en priorité devant les habitants de Kiev et ont été logées dans les nouveaux immeubles.

"Les habitants de Kiev ne nous ont pas acceptés: nous sommes souillés, nous sommes contagieux et nous avons occupé les logements des autres. Les gens avaient attendu des années, mais nous sommes apparus comme des cheveux sur la soupe, raconte l’ancienne habitante de Pripet Valentina Ovtchinnikova. Les appartements et les routes étaient bloqués par les gens pour nous empêcher d’approcher. Mais nous ne tenions pas à venir ici, or il fallait bien vivre quelque part, nous avions tout perdu…"

Tout ce qui constituait la richesse d’un individu soviétique, les tapis, la vaisselle en cristal, les meubles, les télévisions et les réfrigérateurs, les habitants de Pripet, l'ont laissé dans leurs appartements pour toujours. Il n'était permis de prendre que le strict nécessaire.

"Je pleurais beaucoup, je ne voyais et ne comprenais rien. Douloureux, très douloureux. Il est si pénible de se souvenir de cette ville morte", dit Valentina.

Elle a emporté seulement les photos de famille. Elle ignore ce qu'est devenu le reste de ses affaires. Cette femme n’a jamais eu la force de revenir dans sa ville natale, ne fût-ce qu'une seule fois.

D’ailleurs, l’entrée de son propre gré dans la "zone d’exclusion" est interdite: le poste de contrôle officiel d'entrée sur le territoire est entouré par une clôture barbelée. Les visiteurs doivent passer par le check-point de Ditiatki (d’après le nom du village), où leurs documents sont contrôlés et passés au filtre de la liste des personnes autorisées. Or, si les touristes et les journalistes viennent à Pripet pour avoir des impressions de la ville morte, à Tchernobyl ceux qui sont revenus leur proposent du thé et des légumes cultivés dans leur propre jardin.

Tchernobyl "touristique", l'épreuve de courage de la tasse de thé

Plus de 1.000 habitants de Tchernobyl et des villages environnants n’ont pas réussi à s’habituer à leur nouveau logement et sont revenus de leur propre gré dans leurs maisons. Après l’accident, dans un premier temps il était possible de le faire. C’est dans les années 1990 que l’entrée dans la "zone d’exclusion et d’évacuation obligatoire" ne se faisait que sur autorisation temporaire.

"Lorsque je suis revenu à la maison, tout était délabré, cassé, les fenêtres n’étaient que des ouvertures béantes. Il a fallu tout remettre en ordre avec les moyen du bord", raconte Valentina Kovalenko âgée de 73 qui est revenue à Tchernobyl un mois après la catastrophe.

Valentina est née et a grandi dans cette ville, l’amour de sa maison natale a vaincu la peur des radiations. En été 1986, elle récoltait déjà les fruits et les légumes de son jardin.

"Nous buvions l’eau, mangions les baies, les pommes de terre, tout ce qui était planté chez nous, sourit Valentina Kovalenko. A une époque j’amenais même mes récoltes à Kiev et à Gomel pour les faire contrôler. Je disais: "Je suis de Tchernobyl, vérifiez s’il vous plaît." On me répondait: "Allez-y, vous pouvez les vendre."

Aujourd’hui, près de 200 personnes vivent dans la "zone d’exclusion." Ils communiquent avec plaisir avec les touristes. Valentina Kovalenko, par exemple, invite toujours à sa table pour boire du thé avec des sandwichs. Quand on lui demande si l'on doit considérer cela comme un test de courage, elle répond avec étonnement: "Personne n’a jamais refusé de boire le thé chez moi. Pourquoi venir ici pour avoir peur? Je pense que si on a peur, il ne faut pas venir."

Bien qu’un guide accompagne les touristes à Tchernobyl et qu’on explique les règles de conduite dans la "zone" (ne rien toucher, ne rien manger, ne pas fumer), chacun reste responsable de sa santé.

En ce qui concerne la radiation dans la ville "touristique", le niveau de contamination est régulièrement mesuré dans les résidences des habitants locaux, les fruits et les légumes cultivés dans les jardins passent les tests de radiation. L’administration de la "zone d’exclusion" déclare que tous les habitants locaux reçoivent une dose de radiation. Annuellement cela représente en moyenne près de 1 rem avec une norme de 0,5 rem pour la population civile et de 2 rems pour les employés de la centrale. Mais la radiation est moins dangereuse pour les habitants locaux, principalement des personnes âgées, qu’un déménagement, estime l’administration de la "zone." Pour cette raison, en dépit de l’interdiction officielle de vivre dans la zone "d’exclusion", les personnes qui sont revenues dans leurs maisons il y a 25 ans ne seront pas priées de les quitter.

Les locaux ont sauvé l’église où ils cherchent aujourd’hui le salut

Dans la nuit du 25 au 26 avril 1986, le plus important accident dans une centrale nucléaire au monde se produisait.

Chaque dimanche, Valentina se rend à l’église. L’église Saint-Ilia de Tchernobyl se trouve à quelques minutes de marche de sa maison. "Il n’y a personne pour vendre des cierges. La femme du prêtre demande de l’aider, et c’est la raison pour laquelle j’y vais", explique l’habitante de Tchernobyl.

L’église Saint-Ilia a été construite à la fin du XIXe siècle. Après l’accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl, elle a été fermée. Pendant que les pilleurs sévissaient dans la "zone d’exclusion", les locaux protégeaient l’église.

"Les gens dormaient directement devant les portes de l’église en se relayant à tour de rôle", raconte Liouba, la femme du prêtre de l’église.

L’église Saint-Ilia a été ouverte au début des années 1990, afin que les employés de la centrale puissent venir prier. Les starostes choisis parmi les habitants locaux gardaient les clés de l’église.

Les habitants associent la renaissance de l’église au nom du prêtre actuel Nikolaï. Avec sa femme il a tiré la sonnette d’alarme lorsqu’ils ont vu l’état délabré de la vieille église.

"Nous visitions régulièrement notre maison à Tchernobyl et voyions que l’état de l’église de Saint-Ilia était de plus en plus délabré. Le père Nikolaï, qui étudiait à l’époque au séminaire, s’est rendu au diocèse pour demander la nomination d’un prêtre. Mais personne ne voulait exercer à Tchernobyl, et l'évêque l’a donc béni lui-même pour qu'il accepte de devenir le prêtre de l’église", raconte l’épouse du prêtre Liouba.

Depuis que la famille du prêtre s’est installée dans la maison près de l’église, les messes du dimanche et de fête sont régulièrement célébrées dans le temple. Le 26 avril et le 9 mai, des centaines de personnes viennent à la messe. Les anciens habitants viennent à Tchernobyl pendant ces périodes.

Après l’accident, 116.000 personnes ont été évacuées de la zone contaminée, avant tout les habitants de la ville de Pripet à proximité de la centrale nucléaire. Par la suite, les habitants de 187 autres localités ont été évacués.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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