Nord Stream: l’Ukraine risque d'être évincée du transit du gaz

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La fin de la construction du premier tube du gazoduc Nord Stream s’est déroulée de manière relativement banale comparée à l'immense importance que revêt la mise en œuvre de ce projet.

La fin de la construction du premier tube du gazoduc Nord Stream s’est déroulée de manière relativement banale comparée à l'immense importance que revêt la mise en œuvre de ce projet. Il est vrai qu'il faut encore raccorder au fond des eaux de la Finlande et de la Suède les trois sections qui composent le premier tube. L'opération devrait avoir lieu dans le courant de cet été. De plus, en automne 2011 la construction du gazoduc OPAL qui raccordera Nord Stream au système allemand d’acheminement du gaz sera terminée. Mais il est déjà clair que les approvisionnements via ce gazoduc commenceront vers la fin de l’année.

Ainsi, la Russie obtient le premier couloir de transport du gaz qui la relie directement aux consommateurs européens. Et la diversification des itinéraires d’approvisionnement en gaz de l’Union européenne est devenue une réalité. Or, cela concerne directement les amis slaves de la Russie: l’Ukraine et la Biélorussie.

Il faut dire que ni l’Ukraine, ni la Biélorussie ne croyaient dans le succès de Nord Stream. L’Ukraine était convaincue que l’Europe ne permettrait pas la mise en œuvre de Nord Stream, en se confortant dans l'illusion que pour les pays européens les intérêts de Kiev étaient plus importants que leurs propres intérêts. Cependant, les compagnies allemandes, néerlandaises et françaises font partie de Nord Stream. Et les pays de transit ont donné leur accord au passage de la conduite par leurs eaux, en dépit du prétendu "préjudice écologique." L’Europe est bien consciente qu’il n’existe aucune alternative réelle au gaz russe. Même le Danemark, cité en tant que pionnier européen dans le développement des énergies renouvelables, a été contraint de chercher des possibilités d’acheter du gaz russe. Rappelons qu’en 2006, Gazprom et la compagnie danoise DONG Energy ont signé un contrat de fourniture du gaz russe via Nord Stream. Cet accord prévoit l’achat annuel de 1 milliard de mètres cubes de gaz russe par le Danemark pendant 20 ans à partir de 2011.

Pendant ce temps, Kiev cherchait désespérément une alternative au gaz russe. L’Ukraine élaborait des plans irréalisables de construction de nouveaux réacteurs nucléaires et songeait même à l’utilisation de la paille en tant que combustible. En réalité, l’Ukraine aurait dû lutter pour le maintien des volumes du gaz transitant via son territoire. Mais elle a sciemment abandonné cette stratégie et a récolté… un déficit conséquent dans son budget.

Il suffit de faire un calcul simple. La capacité de transport du premier tube du gazoduc Nord Stream est de 27,5 milliards de mètres cubes de gaz par an. Et le volume des contrats confirmés atteint déjà 22 milliards de mètres cubes. Le prix du transit du gaz russe via le territoire ukrainien au premier trimestre 2011 s’est élevé à 2,84 dollars les 1.000 mètres cubes sur 100 kilomètres de transit. La distance du transit du gaz russe via le système de transport de gaz de l’Ukraine vers les pays de l’Europe atteint 1.150 kilomètres. Même en supposant que le prix augmente, disons à 3 dollars, et que les volumes de transit via Nord Stream ne dépassent pas 22 milliards de mètres cubes par an, le manque à gagner de l’Ukraine s’élèvera à 760 millions de dollars. C’est l’argent que l’Ukraine aurait pu gagner si Nord Stream n’existait pas. Mais il existera, et l’Ukraine se retrouvera hors jeu.

Bien sûr, si l'on compare 2012 à 2010 ou à 2009, l’Ukraine ne devrait pas se retrouver dans une si mauvaise situation. Mais le fait est qu’en 2009-2010 la demande européenne de gaz russe était légèrement en baisse. Avant tout en raison de l’augmentation des fournitures du GNL (gaz naturel liquéfié) en provenance du Qatar. Mais en 2012, la situation sera plus favorable. La demande de gaz russe est déjà en hausse. Les statistiques de Gazprom pour le premier trimestre 2011 montrent une augmentation des exportations de 12%, soit à 44,1 milliards de mètres cubes. Rien qu’en avril une hausse de 20,5% a été enregistrée. Ainsi en 2012, la demande de gaz russe se rapprochera du niveau record de 2008. Certains changements dans les projets actuels du Qatar, dont une partie du GNL partira au Japon, qui devrait pourvoir retrouver sont équilibre énergétique ébranlé suite à l’accident à Fukushima, ont également joué en faveur de la Russie.

Maintenant, revenons à l’Ukraine. En 2008, la Russie envoyait via ce pays 117 milliards de mètres cubes de gaz. Rien que 96 milliards de mètres cubes en 2010. Mais désormais, toute la demande accrue de gaz russe transitera via Nord Stream. Or il aurait pu "voyager" via l’Ukraine, dont les ressources de transport permettent de faire transiter une telle quantité de gaz. Les opportunités perdues sont éloquentes.

Mais l’histoire ne s’arrête pas la. La construction du second tube du gazoduc, qui sera achevée fin 2012, commence. Finalement, la capacité de Nord Stream augmentera jusqu’à 55 milliards de mètres cubes. Evidemment, le transit via l’Ukraine sera automatiquement réduit. Et avec lui, le poids politique de l’Ukraine, en affaiblissant sa position dans la question du prix du gaz russe. Dernièrement, le premier ministre ukrainien Nikolaï Azarov fait des déclarations étranges à ce sujet. Il ne demande pas, comme d'habitude, un "prix juste" (qui correspond, dans les yeux des Ukrainiens, à celui que l’Ukraine est prête à payer). Il sous-entend que l’Ukraine est prête à établir un rapport entre le prix du gaz russe vendu à l’Ukraine et son coût pour l’Europe. En d’autres termes, l’Ukraine propose d’utiliser le principe dit net back: c’est-à-dire prendre le prix, par exemple appliqué à l’Allemagne, et en déduire le coût du transit. Mystérieusement, Azarov obtient 200 dollars.

Dans ce cas il faudra faire un autre calcul. Par exemple, le transit via la Pologne atteint environ 700 kilomètres. Le coût du transit est même inférieur à celui de l’Ukraine. Le prix ne dépasse en aucun cas 20 dollars les 1.000 mètres cubes. Et au premier trimestre 2011, le prix moyen du gaz russe en UE était de 327 dollars les 1.000 mètres cubes. Azarov l’a reconnu en déclarant à l’agence d’information Bloomberg qu’actuellement "le prix du gaz pour la Pologne est de 320 dollars les 1.000 mètres cubes, et de 330 dollars pour l’Allemagne." Ainsi, selon le principe dit net back, au premier trimestre 2011 le prix du gaz pour l’Ukraine devait s’élever à 310 dollars les 1.000 mètres cubes. Rappelons qu'en vertu du contrat "défavorable" du 19 janvier 2009 avec les avenants signés à Kharkov, l’Ukraine payait 264 dollars les 1.000 mètres cubes. Et c’est cela qu’ils qualifient de "contrat léonin"!

Comment Azarov arrive-t-il au "prix juste" de 200 dollars? Il semble que le secret de sa formule mystérieuse réside dans le fait qu’Azarov n’oublie pas les accords de Kharkov et la remise de 30%, ce qui donne précisément 210 dollars, arrondis à 200. Il est étrange que le premier ministre ukrainien ne se souvienne pas que la remise de Kharkov était conditionnée au strict respect du contrat du 19 janvier 2009. Autrement dit, pas de contrat – pas de remise. Ainsi, il faut reconfigurer la calculatrice et ajouter 100 dollars.

Or le gazoduc South Stream avec sa capacité de 63 milliards de mètres cubes de gaz est également en approche. Il pourrait rayer définitivement l’Ukraine de la carte des pays de transit. Dans ce cas, les pertes annuelles de l’Ukraine s’élèveraient à plus de 4 milliards de dollars.

Probablement, le langage des chiffres aura un effet dégrisant sur les politiciens ukrainiens. Et les négociations au sujet de l’avenir du système ukrainien de transport de gaz se termineront finalement sur une note plus positive. Dans le cas contraire, dans quelques années, plus personne n’aura besoin d’elle, et l’Ukraine campera sur les ruines de son irrationalisme.


L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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