Merkel en Inde: vente de chasseurs et édification d’un monde nouveau

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La dernière visite d’Angela Merkel à New Delhi, a bien positionné l’Allemagne pour remporter la rivalité russo-américaine en matière de fournitures de chasseurs à l’Inde qui passe de grosses commandes.

La dernière visite d’Angela Merkel à New Delhi, a bien positionné l’Allemagne pour remporter la rivalité russo-américaine en matière de fournitures de chasseurs à l’Inde qui passe de grosses commandes. La route de New Delhi a été parsemée d’embûches pour la chancelière allemande, mais le rôle de son pays dans la refonte du système des relations internationales en Asie, et ailleurs, y est devenue particulièrement évident.

La chancelière est revenue à Berlin sans encombre, alors que le vol Berlin – New Delhi avait été assorti d’un scandale: mardi dernier, les autorités iraniennes avaient fermé l’espace aérien de leur pays à l’avion d’Angela Merkel. Le premier avion, transportant les ministres et les hommes d’affaires accompagnant Madame Merkel, était passé sans anicroches, or ensuite les Iraniens ont notifié aux Allemands qu’ils annulaient l’autorisation de survol délivrée préalablement au second avion, celui où se trouvait la chancelière. Elle a dû tourner au-dessus de la Turquie pendant deux heures et entreprendre des démarches diplomatiques par le biais de la radio pour amadouer Téhéran.

L’incident est unique en son genre. Toutefois, cette anecdote ainsi que certaines autres, également liées à la visite de Frau Merkel, n’ont rien d’exotique: elles s’inscrivent bien dans les processus qui se déroulent dans le monde et paraissent imperceptibles à première vue, mais c’est justement la raison pour laquelle i1s sont tellement importants.

Principal objectif: vendre des chasseurs à l’Inde

La chancelière allemande se rendait à New Delhi avec un agenda comportant deux points: la première question concernait la coopération avec l’Inde en matière d’innovations. Les deux pays ont en effet conclu des accords intergouvernementaux concernant l’enseignement, la science et les recherches dans le domaine de la physique nucléaire. Tous les pays signent de nos jours des accords similaires avec l’Inde (la Chine, etc.). Et il ne s’agit plus pour l’Europe de faire don de sa propriété intellectuelle au tiers monde, aussi bien dans le cas de l’Inde que dans beaucoup d’autres cas. Les échanges sont de plus en plus souvent équitables.

Quant au deuxième point de l’agenda d’Angela Merkel, il concernait la vente de chasseurs. La Russie se souvient sûrement encore des mauvaises nouvelles reçues récemment de New Delhi et signalant que les MiG-35 russes risquaient de ne pas être admis au stade final de l’appel d’offres indien pour l’acquisition de 126 chasseurs (toutefois, le point final dans cette affaire n’a pas été mis). Eh bien, ce stade final verra très probablement la participation de l’allemand (dans une très grande mesure) Eurofighter Typhoon et du français Rafale fabriqué par Dassault. C’est un choix purement politique, ou plus exactement il constitue un abandon élégant de la politique précédente en faveur d’une stratégie nouvelle.

Le lot de consolation pour la Russie (qui console à peine) est le fait que le chasseur russe ne soit pas le seul à être rejeté: il quitte l’appel d’offres avec les américains F/A-18 et F-16. Finalement, le monde ne tourne plus depuis longtemps autour de l’axe constitué par la rivalité russo-américaine. Cet axe est désormais remplacé par des lignes de rupture très surprenantes. Essayons seulement de nous figurer le changement de statut de l’Allemagne si elle devient fournisseur (ou un des fournisseurs) d’avions de combat destinés à la future puissance économique mondiale numéro deux ou trois.

Et ce n’est pas tout: Angela Merkel et le premier ministre indien Manmohan Singh ont également soulevé la question de l’Afghanistan. Ce futur Afghanistan sera influencé, après le retrait des troupes des Etats-Unis et de l’OTAN, par l’Inde, l’Iran, la Chine et certains autres pays. N’oublions pas non plus les évocations incessantes du fait que les pourparlers entre les émissaires américains et les talibans, ces ennemis jurés des Etats-Unis, s’étaient déroulés notamment en Allemagne. Et que c’est en Allemagne que sera organisée fin 2011 une nouvelle conférence sur l’Afghanistan (la toute première a eu lieu en 2001: on y estimait les sommes d’argent dont le futur Afghanistan aurait besoin après le départ des talibans. Or, désormais on doit faire face à de nouvelles estimations et de nouvelles réalités).

Mme Merkel et M. Singh ont un style similaire en politique internationale. Ils ne font pas de vagues et ne cherchent pas à y apporter une touche superflue d'idéologie. Toutefois, les Indiens estiment que l’époque de la "politique étrangère indienne menée à mi-voix" se terminera après le départ de Manmohan Singh. Ensuite, il faudra réfléchir tôt ou tard au renforcement de la présence de l’Inde dans diverses parties du monde. En particulier en Afrique, où il faudra rivaliser en matière d’influence avec la Chine (pas avec l’Europe, et ce depuis déjà longtemps). Dès que ce changement de style aura été opéré, tous verront clairement à quel point la politique mondiale est devenue différente.

Pour le moment, ces changements ne se manifestent qu’à travers des événements sans prétention en apparence, à l’instar de la dernière visite d’Angela Merkel à New Delhi.

L’Europe et l’Asie: un conflit de valeurs

Quant à l’histoire scandaleuse impliquant l’Iran et relatée ci-dessus, elle a un rapport direct avec l’Inde.

Les griefs de l’Iran ne sont pas sans fondement. Le pays avait signé des contrats de vente de pétrole iranien à l’Inde, et des banques iraniennes basées en Allemagne étaient chargées d’effectuer les transactions. Le gouvernement allemand a pourtant bloqué les virements de l’argent, non pas pour ennuyer l’Iran mais en raison des sanctions européennes contre l’Iran avec son programme nucléaire. Il n’est même pas exclu que la décision de bloquer les transferts ait été prise par erreur.

Au final, l’Inde a au moins reçu le pétrole acheté, alors que l’Iran est rentré complètement bredouille. Toutefois, cette histoire permet de se faire une idée assez précise des personnages qui gouvernent actuellement l’Iran, étant donné qu’ils se permettent de telles mesquineries à l’égard des dames qui survolent leur territoire. D’autre part, il est certain que même si les dirigeants indiens n’ont pas fait de remarques concernant cette histoire à Angela Merkel, ils ont sûrement haussé les épaules avec une légère irritation.

L’Inde est également en conflit avec l’Iran sur beaucoup de questions, mais globalement les Indiens tentent de se distancier de toutes les sanctions américaines et européennes et observent avec un étonnement empreint de scepticisme la manière de l’Occident de s'attirer des problèmes dans ses relations avec les nouvelles grandes puissances mondiales, parmi lesquelles ils comptent l’Inde elle-même et la Chine mais aussi, potentiellement, l’Iran. Par ailleurs, l’Inde s’est prononcée contre les raids aériens de l’OTAN en Libye, "tout comme l’Allemagne", n’a-t-on pas manqué de le rappeler à New Delhi à Mme Merkel.

On remarque en général que lorsque l’Europe, ou plus exactement l’Union européenne, mène une politique conjointe à l’égard de l’Asie, cette politique se base sur "les valeurs européennes." Or, c’est une mauvaise idée, car elle contient des germes de confrontation en dressant l'une contre l'autre les deux parties du monde. Et quant aux sanctions (peu importe contre qui elles sont dirigées), il devient de plus en plus clair d’année en année que les pays émergents, à savoir l’Inde, la Chine, le Brésil, la Turquie, etc., ne sont guère enthousiastes envers ce type de politique, pour ne pas dire plus. Nous sommes en présence d’un conflit de valeurs et, au final, de constatations incessantes de perte de l'influence de l’Europe dans les affaires internationales ainsi que de beaucoup d’autres conséquences.

Toutefois, cela concerne l’Europe dans son ensemble, alors que des pays européens pris à part et défendant leurs intérêts individuels démontrent qu’ils sont parfaitement capables d’instaurer de bonnes relations bilatérales avec les partenaires de demain. La visite d’Angela Merkel en Inde en est un exemple éloquent.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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