Yémen: comment dissuader le président de revenir au pays

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Le président yéménite Ali Abdallah Saleh, en se réveillant après l’opération consistant à retirer un éclat d'obus de la poitrine, a immédiatement appelé son remplaçant resté à Sanaa, le vice-président Abd al-Rab al-Hadi, afin d’annoncer qu’il rentrerait prochainement d’Arabie saoudite dans son pays.

Le président yéménite Ali Abdallah Saleh, en se réveillant après l’opération consistant à retirer un éclat d'obus de la poitrine, a immédiatement appelé son remplaçant resté à Sanaa, le vice-président Abd al-Rab al-Hadi, afin d’annoncer qu’il rentrerait prochainement d’Arabie saoudite dans son pays. Difficile d’imaginer pire scénario pour le Yémen. Pour cette raison, aujourd’hui à Washington le porte-parole de la Maison blanche Jay Carney s’est empressé de déclarer qu’en réalité le chef de l’Etat yéménite devait officialiser le plus rapidement possible le transfert du pouvoir à son adjoint.

Saleh est la bête noire de la majorité des membres de l’opposition. La guerre civile en cours s’aggraverait s'il revenait. Mais connaissant personnellement le président yéménite, je suppose qu’il tentera de mettre en œuvre son projet. Et les événements actuels dans le pays ne font que le persuader qu’il aura raison.

Un politique toujours prêt à risquer gros

Des affrontements entre l’opposition et l’armée ont à nouveau éclaté au Yémen après un week-end relativement calme. Le départ de Saleh pour soigner les blessures infligées lors d'une attaque vendredi pendant la prière à la mosquée a au début apaisé les tensions. L’opposition fêtait déjà la victoire. Mais hier, six personnes ont été tuées dans la capitale, et d’autres victimes sont aujourd’hui à déplorer dans d’autres régions du pays.

Pour le président, c'est un signal pour agir. A son avis, cela prouve la véracité de ses paroles disant que sans lui "la situation serait pire." Il serait erroné de supposer qu’il s’accroche seulement de toutes ses fores au pouvoir. Il est sincèrement préoccupé par l’avenir de son pays et se considère comme responsable des événements actuels.

On ne peut que partiellement souscrire à son point de vue: sans lui ce sera effectivement difficile, l’ordre dans le pays ne sera pas rétabli rapidement. Cependant, le paradoxe est qu’avec lui ce sera bien pire pour la population. Mais Saleh, qui, des dizaines d’années durant, a assuré tant bien que de mal (il faut bien le reconnaître) la stabilité dans le pays, n’arrive pas à le comprendre. Aujourd’hui, la tâche des dirigeants saoudiens qui lui ont accordé l’asile est d’expliquer au patient "VIP" du Yémen à quel point la situation est grave, et si possible ne pas le laisser rentrer dans son pays. Il pourrait, depuis Riyad, signer avec l’opposition un accord de transmission du pouvoir et obtenir des garanties pour sa famille.

Ali Abdallah Saleh est un chef fort et têtu. Il n’est pas enclin à l’introspection, n’analyse pas toujours en profondeur la situation, mais il est rusé et ingénieux. Dans sa carrière politique il a souvent pris des risques en mettant sa vie en danger. Il est militairement rigide et éduqué dans l’esprit des notions tribales de l’honneur. Selon l’une d’elles, il est préférable de mourir plutôt que de quitter la partie en cours en perdant sa dignité.

Après sa blessure et le stress subi, il a tenu bon. Il est descendu sans aide de l’avion en arrivant à Riyad. Immédiatement après l’opération il a commencé à organiser des rencontres et à appeler ses subordonnés. On ne peut qu'envier un homme doté d'un système nerveux aussi solide.

Le parlement, arène de discussions et théâtre de coups de feu
Probablement, le khat aide le président yéménite à garder son calme. Beaucoup de Yéménites mâchent cette herbe. Il s’agit d’une drogue douce abordable même pour la population locale pauvre, bien que certaines espèces coûtent fort cher. Il est interdit en Russie, mais au Yémen il fait partie de la tradition nationale.

Une fois, lors d'un entretien que Saleh m’accordait à Sanaa, il mâchait vigoureusement ces feuilles, ce qui témoignait de la confiance en l’invité. Plus tard, ses compagnons m’en ont offert une petite branche.

Hormis le khat, la population aime les armes blanches et les armes à feu. Les hommes, parfois même des enfants, portent à la ceinture un poignard courbe, le jambiya, qui est un attribut du costume national. Beaucoup portent des pistolets à la ceinture ou des fusils d’assaut AK en bandoulière. Ils trouvent toujours de l’argent pour ces jouets bon marché, bien que près de la moitié des 23 millions de Yéménites vivent dans la misère. Malheureusement, même autrefois les armes n’étaient pas utilisées en tant qu'éléments de décorations. Les coups de feu au Yémen sont un phénomène fréquent. Les différents sur le marché, ainsi que les discussions au parlement se terminaient fréquemment par des échanges de tirs.

Des médecins russes travaillant au Yémen ont raconté à l’auteur de ces lignes que si un patient avait le malheur de mourir suite à une erreur médicale, les proches du défunt, souvent illettrés, pouvaient venir tirer contre les fenêtres de l’hôpital, voire rechercher le médecin pour l'abattre. Par contre, la capacité de rétablissement de l’organisme et la vitesse de guérison des blessures du peuple local est remarquable, car l’immunité n’est pas affectée étant donné que la population n’utilise pas de médicaments depuis longtemps.

Le Yémen est une poudrière

Ainsi, Ali Abdallah Saleh, âgé de 69 ans, issu d’une simple famille rurale, montre la volonté de survivre typique des Yéménites. Mais il sait certainement mieux que personne que d’autres tentatives de le tuer suivront. Et ce n’est pas étonnant. On s’étonne au contraire que Saleh ait tenu aussi longtemps.

Avant qu’il n’arrive à la tête du Yémen du Nord en 1978, deux présidents consécutifs y ont été tués. Auparavant le pays a connu un coup d’Etat antimonarchique, suivi de plusieurs années de guerre civile.

Au Yémen du Sud, qui s’est uni en 1990 au Yémen du Nord grâce aux efforts et sous la direction de Saleh, il existait des problèmes similaires. Et ce malgré la tutelle de l’Union soviétique et l’orientation dite socialiste. En janvier 1986, un litige opposant le premier ministre Ali Nasser Mohammed au secrétaire général du parti socialiste Abdel Fattah Ismail s'est réglé par une invitation à négocier qui n'était en fait qu’un traquenard. Les hommes du premier ministre ont attendu l’arrivée du secrétaire général et l’ont tué, lui et ses assistants.

Toutefois, les membres de la tribu à laquelle appartenait le secrétaire général défunt ont ensuite poursuivi le premier ministre perfide dans toute la ville d’Aden. Ils ont tué plusieurs proches et membres de son clan. En quelques jours, près de 1.000 personnes sont mortes. Le premier ministre défait Ali Nasser Mohammed a réussi à se cacher et à fuir en Arabie saoudite.

Voici la poudrière qu’est le Yémen. Ajoutons à cela que le Nord et le Sud du pays entraient périodiquement en guerre entre eux. Les conflits éclataient même après l’unification. De plus, certaines tribus des deux côtés se rebellaient contre les autorités centrales.

De plus, dans cet Etat qu’on peut désormais qualifier de "failli", les convictions religieuses radicales sont puissantes. Dans le pays des groupes agissent, qui, de par leur idéologie, ressemblent à l’organisation terroriste internationale Al-Qaïda. Peu de gens se souviennent que le père d’Oussama Ben Laden était en réalité d’origine yéménite, et qu’il a immigré en Arabie saoudite plus tard pour ses affaires dans le bâtiment.

Le président Ali Abdallah Saleh en est parfaitement conscient et, possédant une expérience de 33 ans de présidence dans un pays aussi complexe, il demande constamment à ses opposants qui d’autre pourrait prendre sa place? Qui protégera le pays de l’effondrement. Il a raison, pour l’instant personne ne se profile à l’horizon. Mais sa conviction que le Yémen a toujours besoin de lui est une dangereuse illusion.

La page Saleh dans l’histoire du Yémen est tournée, cette époque arrive à échéance. Et s’il voulait y écrire quelque chose de plus, ces lignes seront écrites avec du sang.

Les médiateurs internationaux doivent le dissuader de persévérer, en se servant de sa blessure pour le convaincre de transmettre le pouvoir.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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