Rabbani tué par ceux qui refusaient le dialogue

© Photo UNAMA. L’ex-président afghan Burhanuddin Rabbani
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L’un des dirigeants les plus connus d’Afghanistan sera inhumé devant une grande foule mercredi à Kaboul.

L’un des dirigeants les plus connus d’Afghanistan sera inhumé devant une grande foule mercredi à Kaboul. L’ex-président afghan Burhanuddin Rabbani, qui a survécu à plus d’une tentative de meurtre et qui avait une grande expérience du combat, a été assassiné le 20 septembre par un kamikaze dans sa maison, située dans l’arrondissement le mieux protégé de la capitale afghane. La mort de Rabbani pourrait conduire à l’exacerbation des contradictions dans cet Etat troublé, et cela remet en question les plans de l’OTAN de retirer ses troupes avant 2015.

Les hôtes de Rabbani n’avaient pas été fouillés

Le meurtrier était un taliban. Et la victime le savait. Rabbani a lui-même invité cet homme avec son camarade chez lui. Les émissaires du mouvement taliban ont annoncé qu’ils avaient apporté un message de paix important. En signe de respect ils n’ont pas été fouillés. On suppose que la bombe était cachée dans le turban de l’un des hommes (c’est ainsi qu’en été le maire de Kandahar a été tué: le terroriste portait l’explosif dans son turban).

Burhanuddin Rabbani, dont le nom sera inscrit dans l’histoire de l’Afghanistan, dirigeait le Haut Conseil pour la paix depuis l’automne dernier. Cette organisation était chargée de négocier la paix avec les talibans et se fixait pour objectif leur réintégration dans la société. Qui plus est, il était question des extrémistes les plus irréductibles du mouvement taliban, considéré en Russie, aux Etats-Unis et beaucoup d’autres pays comme une organisation terroriste. Burhanuddin Rabbani, qui était lui-même à une certaine époque un moujahid et organisateur de la résistance contre l’armée soviétique en Afghanistan, pensait qu’il était possible pour ces gens de revenir à une vie normale.

C’était sa vieille idée. Il l’a déclaré dans une interview en automne 2001, ce qui paraissait courageux. C’était immédiatement après les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis, organisés par les membres d’Al-Qaïda qui ont trouvé refuge chez les talibans afghans. A l’époque toute la puissance de la vengeance américaine s’est abattue sur l’Afghanistan, et les talibans étaient la principale cible.

"Les talibans n’ont plus d’avenir en tant qu’organisation, car ils ont accueilli les terroristes dans leurs rangs. Mais il est possible d’avoir affaire avec certains talibans. Pas au sein du gouvernement, mais à un autre niveau, et ensuite on verra. […] Le dossier de chacun sera examiné individuellement. Mais il n’est aucunement question des talibans comme d’un mouvement. Il n’existe pas. Et il ne peut avoir aucun rôle à l’avenir", a déclaré à l’époque Burhanuddin Rabbani.

Faut-il dialoguer avec les extrémistes?

Initialement, Rabbani était le seul à vouloir lancer le dialogue avec les talibans. Mais son autorité, son éducation théologique et philosophique (fils d’un mollah, il a étudié au Caire à l’université Al-Azhar, d’ailleurs il parlait parfaitement arabe), sa riche expérience de politicien et de moujahid, ainsi que sa fortune lui ont permis de défendre son point de vue. Cela a demandé beaucoup d’années. Ce n’est que l’année dernière que le président afghan Hamid Karzaï a déclaré qu’il était impossible d’éliminer et de mettre en prison tous les extrémistes, et pour cette raison il fallait dialoguer avec eux. La réconciliation entre les Afghans eux-mêmes devenait un élément nécessaire pour stabiliser la situation.

Karzaï a finalement réussi à convaincre ses protecteurs américains de la nécessité du dialogue. Pour commencer, les autorités afghanes ont reconnu l’existence de contacts secrets avec les talibans, et en septembre 2010 elles ont officiellement créé le Haut Conseil pour la paix qui était dirigé par l’auteur de l’idée, Burhanuddin Rabbani.

Il est à noter que l’actuel  président et l’ancien, Karzaï et Rabbani, ont réussi à s’entendre sur la création du Haut Conseil pour la paix, sachant que l’un est Pachtoune et l’autre est Tadjik, en d’autres termes un représentant d’une minorité ethnique. En Afghanistan, les difficiles relations entre les diverses communautés ont toujours été l’une des origines des conflits permanents.

En apprenant la tragédie, le président Karzaï a immédiatement interrompu sa visite à New York, où il assistait à la session de l’Assemblée générale des Nations Unies, et est revenu à Kaboul.

Les kamikazes avaient pris leur mal en patience

La majorité des talibans étaient loin de se réjouir de la nomination de Rabbani. Le Pakistan voisin, où il a été aidé à une époque puis rejeté en raison de son indépendance accrue, a également fait preuve de réticence quant à son rôle de principal médiateur. Rabbani ne cachait toujours pas qu’il n’avait pas l’intention de considérer les talibans comme une force politique, comme il l’avait déjà déclaré auparavant. Il y a moins d’une semaine, il a une nouvelle fois critiqué ce mouvement lors de la cérémonie de commémoration d’un autre Tadjik, Ahmed Shah Massoud.

Ce disciple de Rabbani a été assassiné il y a 10 ans, le 9 septembre 2001, à deux jours des attentats à New York. C’est arrivé de la même manière que dans le cas tragique actuel, dans la résidence du politicien au nord-est d’Afghanistan. Il est étonnant que la sécurité de Rabbani ait commis la même erreur que les gardes du corps de Massoud. Il y a 10 ans, deux Arabes, soi-disant journalistes (en réalité ils étaient membres d’Al-Qaïda, et peut-être liés aux talibans), dont les caméras étaient piégées, ont rencontré Massoud, âgé de 48 ans, sans avoir été minutieusement fouillés. Et mardi deux talibans ont pénétré dans la résidence de Rabbani avec la même facilité, bien que la situation dans la capitale afghane soit toujours dangereuse.

Bien sûr, Burhanuddin Rabbani est loin d’être idéal. Les militaires soviétiques en Afghanistan connaissaient sa violence envers les prisonniers de guerre. Par exemple, on lui attribue l’ordre d’exécution en 1985 dans le camp de Badaber d’un groupe de prisonniers insurgés russes et afghans. Néanmoins, la nouvelle Russie a établi avec lui de très bonnes relations: elle l’approvisionnait en armes et en aide humanitaire. Les dirigeants russes, notamment Vladimir Poutine, l’ont rencontré.

Au cours des dernières années Rabbani a assumé la lourde tâche de la réconciliation entre ses compatriotes. En une année, selon les estimations de politologues, avec ses collaborateurs il a réussi à faire sortir des montagnes près de 2.000 personnes (l’agence Associated Press affirme que plusieurs dizaines de milliers de personnes demeurent encore dans les rangs des talibans).

Rabbani faisait la même chose qu’Akhmat Kadyrov, puis son fils Ramzan Kadyrov en Tchétchénie. Un juge de renom et une autorité religieuse du Yémen, Hamoud Abdul-Hamid Al-Hitar, qui a créé la Commission du dialogue, pour la réhabilitation et la rééducation idéologique des extrémistes, le faisait également, dans son pays. Pour ceux d’entre eux qui sont actuellement en prison, même un programme a été élaboré pour une libération anticipée. On a également tenté de l’assassiner, mais il n’a pas l’intention de s’arrêter.

Pour les Afghans il est également important que quelqu’un poursuive le travail commencé par Rabbani, bien que cette voie soit longue et périlleuse.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

 

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