La perte de Phobos compromet la conquête de l'espace lointain par la Russie

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Jeudi, malgré les tentatives d’établir le contact avec la sonde Phobos-Grunt victime d'une panne, l’appareil n’a pas répondu.

Jeudi, malgré les tentatives d’établir le contact avec la sonde Phobos-Grunt victime d'une panne, l’appareil n’a pas répondu. Les experts ne sont pas enclins à dramatiser la situation, mais ils indiquent que les causes sont plus profondes qu’une simple défaillance technique. Désormais, la résolution des problèmes des études russes de l’espace lointain est étroitement liée à la manière dont l’agence spatiale russe (Roskosmos) se sortira de la situation délicate autour du Phobos.

Le patient est plus mort que vif

Depuis deux jours Roskosmos s’efforce au moins de recevoir des données télémétriques de la sonde Phobos-Grunt à défaut de pouvoir activer le système de commande de l’appareil, afin de comprendre ce qui s’est passé à bord de la station lorsqu’en dehors de la zone d’étude visible ses moteurs devait être mis en route et la propulser en orbite (ce qui ne s’est pas produit).

Les commentaires hésitants après la nuit de mercredi à jeudi ("les résultats des séances sont encore inconnus") sont devenus plus pessimistes ("aucun contact avec l’appareil, aucune donnée télémétrique"). De toute évidence, les tentatives d’établir le contact à partir du centre spatial à Kourou (en Guyane française) ont échoué: aucune donnée télémétrique n’a encore été reçue de Phobos.

"A mon avis, Phobos-Grunt est perdu. Cette probabilité est extrêmement élevée. Du moins, elle est largement supérieure à celle de la réanimation de l'engin", a franchement déclaré le général-major Vladimir Ouvarov, ancien spécialiste en chef de l’armée russe pour l’espace, dans une interview au le quotidien Rossiïskaïa gazeta.

Perdre le contact signifie perdre le contrôle

Il serait erroné de réduire l’échec du Phobos-Grunt à des cas particuliers de dysfonctionnements du matériel. Le problème est bien plus large et il est associé aux tendances négatives dans la gestion de la cosmonautique russe apparues durant les deux dernières décennies et qui ne semblent pas directement liées aux questions concrètes de la fiabilité technique.

"La situation est la suivante: l’appareil a été mis en orbite mais impossible d’établir le contact! La sonde effectue 16 révolutions par jour, et la liaison n’a été établie qu’une seule fois durant cette période", a expliqué Vadim Loukachevitch, expert indépendant et fondateur du portail Buran.ru, à RIA Novosti.

Selon lui, si la Russie avait réellement l’intention de se lancer dans des expéditions en direction de l’espace lointain, pour commencer il serait nécessaire de déployer "au moins deux-trois" relais de communication en orbite géostationnaire. L’échec russe précédent de 1996 dans son programme martien est précisément dû à la perte de la sonde Mars-96 en dehors de la zone de visibilité des stations de surveillances terrestres.

De plus, pour assurer ce genre de lancements Vadim Loukachevitch estime qu’il est inévitable de reconstituer la flotte spatiale russe. "Même la Chine dispose actuellement de trois ou quatre relais de communication. Or la Russie n’en possède plus aucun en fonctionnement", a fait remarquer Vadim Loukachevitch.

Renoncer aux projets ambitieux

On ignore s’il sera possible de réanimer Phobos-Grunt, mais le préjudice infligé au domaine de la cosmonautique russe non habitée est considérable. Sur la vague d’une première réaction émotionnelle, on commence à dire qu’il serait préférable de renoncer aux projets ambitieux et de se concentrer sur des missions plus faciles et plus proches de la Terre.

"Nous ne pouvons pas abaisser la barre, il faut briser le syndrome de la défaite. Nous étions confrontés à un sérieux problème, 5 milliards de roubles (environ 125 millions d’euros) ont été dépensés et la sonde a été mise au point tant bien que mal. Pendant son élaboration s’est formée une école de conception, une nouvelle école russe, même si dans cette situation on voit ses carences", répond Vadim Loukachevitch aux pessimistes.

Selon lui, les principales dépenses engagées pour Phobos-Grunt sont celles liées à la Recherche et Développement (R&D) (la sonde coûte un peu plus de 1 milliard de roubles, soit environ 25 millions d’euros), les travaux ont déjà été réalisés et ainsi la prochaine sonde coûtera moins cher, à condition de contrôler sévèrement les dépenses.

Grâce à cela, il sera possible de mieux se concentrer sur la mise au point du matériel au sol. "Grosso modo il faut réaliser la même mission avec le même objectif en tenant compte des défauts constatés", estime l’expert.

Les lacunes technologiques

Le matériel russe est moins fiable dans l’espace que celui de l’Occident en raison du manque de fiabilité des équipements électroniques, dont les composantes sont plus fragiles et moins résistantes aux radiations.

Après les succès sur la Lune et sur Venus, les sondes soviétiques ont enchaîné les échecs dans les vols bien plus lointains sur Mars. Les Américains réussissait mieux en ce qui concerne Mars, mais ce n’était pas immédiat et à chaque fois.

Cependant, dans ce cas concret il n’est pas question d'une dégradation des équipements dans les conditions d’un vol longue durée. Pour cette raison, il s’agit soit de défauts des programmes et des algorithmes, soit d’une défaillance technique des équipements.

Les experts estiment que les deux versions pourraient être la conséquence des essais insuffisants, y compris l’abandon des tests de lancement avec une maquette grandeur nature de l’appareil.

"Pourquoi ne pas avoir effectué l’année dernière en orbite les essais de ces systèmes de contrôle et de propulsion?", déclare Vadim Loukachevitch. Il a rappelé qu’en 2009 Roskosmos avait manqué la fenêtre astronomique prévue pour le lancement de Phobos-Grunt, car l’Académie des sciences de Russie estimait que la sonde n’était pas prête. Cela a donné deux ans supplémentaires au projet et il était possible de profiter de cette période pour perfectionner les équipements de lancement.

Etant donné que les équipements conçus dans le cadre du projet Phobos-Grunt sont nouveaux à 90% (cela a été récemment annoncé par Vladimir Popovkine, président de Roskosmos, lors d’une réunion à la Douma, chambre basse du parlement russe), les essais préalables (avant l’installation des équipements scientifiques très coûteux) des procédures de lancements avec une maquette grandeur nature de la sonde sont très souhaitables.

"Il fallait acheter un lanceur Zenit supplémentaire, y installer les systèmes de propulsion (moteur, circuit d'alimentation, capteurs d’orientation stellaire) et effectuer un lancement d’essai. Si tout se passe bien, on lance la sonde avec les équipements à son bord. Mais cela n’a pas été fait", fait remarquer Vadim Loukachevitch.

Phobos visait l’espace lointain

Les tâches scientifiques remplies par des robots dans l’espace lointain ont récemment été placées en tête des priorités de Roskosmos par Vladimir Popovkine (en mettant même à la seconde place l’augmentation de la rentabilité commerciale). Cependant, les programmes russes de recherche sont trop rudimentaires, et c’est la raison pour laquelle l’échec imminent de la mission de Phobos-Grunt ne peut pas être considéré comme une difficulté ponctuelle.

Après l’incident de Mars-96, en 15 ans c’est la première tentative russe d’envoyer une sonde de recherche au-delà de l’espace circumterrestre. Et ce sera la seule pendant encore une longue période. Le lancement de la sonde de recherche Luna-Globe, récemment prudemment reporté à 2015, sera désormais très certainement remis à plus tard.

Phobos-Grunt est précisément l’espace lointain russe, cette même priorité mise au premier plan par le chef de l’agence spatiale de Russie. Et la reprise de la mission Phobos-Grunt (si dans les prochaines heures et journées aucun miracle ne se produisait et que le contrôle de la station ne soit pas rétabli) serait le moyen le meilleur marché et le plus efficace de contribuer à ce domaine de la recherche.

Dans cette phase de répétition il est possible de trouver et de remédier à certains défauts de Phobos-Grunt. Toutefois, l’affaire ne s’arrête pas là. La réorganisation de toute la cosmonautique russe, qui provoque sous sa forme actuelle l’apparition d’erreurs techniques ponctuelles, est inévitable.

 

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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