Saddam: le dragon qui ne sera jamais terrassé

© RIA Novosti . Oleg Lastotchkin / Accéder à la base multimédiaSaddam Hussein
Saddam Hussein - Sputnik Afrique
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Saddam Hussein, dictateur irakien entre 1979 et 2003, a été exécuté cinq ans auparavant, le 30 décembre 2006. Nous sommes en présence d’un cas rare, où l’homme avait pleinement mérité sa peine de mort, et plutôt plusieurs fois qu’une.

Saddam Hussein, dictateur irakien entre 1979 et 2003, a été exécuté cinq ans auparavant, le 30 décembre 2006. Nous sommes en présence d’un cas rare, où l’homme avait pleinement mérité sa peine de mort, et plutôt plusieurs fois qu’une. Il méritait bien la potence pour avoir utilisé les armes chimiques contre les Kurdes, notamment contre la population civile kurde (de son propre pays), pour avoir mené des guerres d’agression contre deux de ses voisins et pour avoir ordonné de torturer ses adversaires politiques. L’actuel anniversaire est une excellente occasion pour essayer d'établir si le procès de Bagdad et l’exécution de Saddam Hussein ont réellement été équitables. Or, la réponse ne paraît pas évidente.

Après Saddam, le déluge

Ce qui paraît incontestable c’est que aussi mauvais dirigeant que fût Saddam (et il a été désastreux), la situation n’a fait que se dégrader après sa mort. Le fait est que pour améliorer la vie quotidienne d’un pays, la condition sine qua non est que ce pays existe. Evgueni Satanovski, président de l’Institut russe du Proche-Orient, a souvent fait remarquer au cours des derniers jours que l’Irak n’existe plus en tant que pays. Et il n’est pas le seul à le déclarer. Certes, Evgueni Satanovski est enclin à verser dans les extrêmes, mais voici, choisie au hasard, une nouvelle en provenance de l’Irak:

Al-Qaida revendique la récente série d’attentats perpétrés à Bagdad qui ont fait 69 morts. Or, sous Saddam, qui disposait de services secrets redoutablement efficaces, Al-Qaida n’osait pas pointer le bout de son nez en Irak, ce qui a été souvent signalé en hiver 2002-2003, à la veille de l’invasion américaine de l’Irak. Certes, le pays connaissait la pauvreté et les tortures mais il les connaît aussi aujourd’hui.

Aucun pays ne maintient sa cohésion avec le seul accord volontaire de ses citoyens. La coercition fait également partie du processus: certains citoyens doivent être contraints par la force à respecter les règles d’un comportement socialement acceptable. Le seul problème est de déterminer le degré de cette coercition.

Serait-ce une affirmation controversée? Imaginez alors Londres ou New York sans leur police locale puissante. Notamment celle qui disperse les manifestants "occupant" les centres financiers. Il y a près de deux cents Etats dans le monde, et la plupart d’entre eux, sans avoir été créés de façon vraiment artificielle, se sont néanmoins constitués dans des conditions historiques bien précises et risquent de s’effondrer à tout moment. C’est vrai pour les Pays-Bas, pour le Royaume-Uni et, en analysant bien l’histoire, pour tous les pays. Et cette conclusion n’est basée que sur des conflits ou frictions interethniques, or il existe également des groupes sociaux. Et que peut-on faire si la classe moyenne abhorre tous les autres groupes et vice versa?

Tout le monde n’aime pas évoquer ce sujet car il fait peur. Et cette peur provient du fait que l’effondrement d’un pays est inévitablement une catastrophe pour ses habitants dans l’immédiat en attendant un avenir plus radieux. Telle est la règle, et le cas de la République tchèque et de la Slovaquie est une exception. La question paraît en effet inextricable: que convient-il faire si une partie de la population veut maintenir l’intégrité territoriale de son pays mais pas l’autre? La réponse à cette question n’a pas été la même à toutes les époques, et la nôtre n’a encore donné aucune réponse, voire trop de réponses contradictoires à la fois.

L’Irak s’est en fait désintégré pour former le pays des Kurdes et des territoires (villages, quartiers) contrôlés par les sunnites et les chiites, ces derniers étant axés sur l’Iran chiite. Et seule une nouvelle dictature militaire, à l’image de celle de Saddam, pourrait restituer la paix et l’unité à la nation.

Toutefois, la question n’est pas vraiment de savoir si Saddam devait être exécuté. Elle est plutôt de savoir si les Etats-Unis devaient envahir l’Irak au printemps 2006 et, dans l’affirmative, ce qu’ils devaient entreprendre par la suite. Le changement du régime (chose facile à faire) a été effectué avec succès, or l’édification d’un nouvel Etat s’est traduite par une catastrophe. Quant à la question de savoir qui et comment devait punir Saddam, c’est un sujet à part entière devenu pertinent après le 13 décembre 2003 lorsque l’ancien président irakien a été arrêté (tiré d’un sous-sol) aux alentours de sa ville natale de Tikrit. Et cette question est plus épineuse encore, car elle porte sur la nature de la justice.

Le pouvoir est-il toujours sacré?

Qui devait juger Saddam? Il était clair que les autorités d’occupation américaines n’avaient pas l’intention de rendre une justice étrangère et que le procès de Saddam était sensé constituer un élément d’édification d’une nouvelle nation. Il est tout aussi évident que la mort du dictateur est toutefois imputable aux Etats-Unis.

Les Iraniens auraient aussi pu juger Saddam. En 1980, un an seulement après son arrivée au pouvoir, Saddam Hussein a attaqué l’Iran. Certes, il a été fortement soutenu dans son entreprise par les Etats-Unis et par certains autres pays. Néanmoins, ce qui compte c’est que c’était une guerre de tranchées ayant fait des centaines de milliers de tués et de blessés (le monde l’a pratiquement oublié). Les Iraniens auraient pu remporter la victoire et prendre Bagdad. Ils auraient alors été confrontés au même problème que les Américains en 2003: comment organiser le procès de Saddam? Par ailleurs, en 1990, ce dernier a envahi le Koweït.

Toutefois, le procès avec la participation de juges locaux s’est avéré assez controversé. Toute révolution ou guerre civile engendre une psychose de masse, voire une série de psychoses dirigées les unes contre les autres. L’élimination du dirigeant renversé en fait partie. Le meilleur exemple est le lynchage le 20 octobre dernier de Mouammar Kadhafi dans le sillage de la guerre civile en Lybie. Ceux qui, après cette histoire, qualifieront toujours les événements en Libye de lutte pour la démocratie seront probablement peu nombreux. Mais un procès, à la différence d’un lynchage, doit être le triomphe de la justice et non pas un acte de vengeance. Or, dans le cas de Saddam cet objectif n’a pas été atteint car il était inaccessible.

Il a été jugé par des Kurdes, qui se vengeaient justement des représailles et de la guerre chimique mené contre leurs compatriotes par Saddam. En tout cas, c’était l’impression des millions d’Irakiens, indépendamment de la véritable appartenance ethnique des juges (il était de toute façon inévitable que les Kurdes soient présents dans la salle du procès). Et si les juges avaient été des Arabes chiites, les sunnites n’auraient pas été plus heureux pour autant. Bref, il semblerait que pendant la longue période suivant le déclenchement de la guerre civile (les Américains ont, en fait, ouvert la boîte de Pandore de la guerre civile en envahissant l’Irak, et c’est là le problème crucial), il soit impossible de juger le dirigeant déchu sur son territoire. Des doutes relatifs à la nature équitable du procès persisteront. Il est plus simple de l’expédier comme Kadhafi: dans son cas, la justice n’a même pas été évoquée.

Il paraît utile d’énoncer là une idée qui paraît claire à tout le monde mais qui est rarement exprimée. Le pouvoir est toujours revêtu d’un aura mystique et il est sacré dans un certains sens. L’entrain polémique des partisans d’un régime libéral en est la meilleure preuve: plus ils s’évertuent de démontrer que le chef de l’Etat n’est qu’un gestionnaire embauché par la société (et que tous ceux qui ne partagent pas cette opinion vivent à l’âge de la pierre), plus on se rend compte que l’âge de la pierre n’est pas finie et qu’elle ne finira probablement jamais.

Dans tous les procès du genre de celui de Saddam, on ressent inévitablement le désir des gens de "terrasser le dragon", mais le dragon en la personne d’un dictateur précis. Tout tribunal désacralise nécessairement le détenteur du pouvoir mais parallèlement, la psychologie de la foule le remplace progressivement par un autre, que ce soit le vainqueur de son prédécesseur ou n’importe quelle autre personne. Telle est la nature de l’homme.

Est-ce que cela signifie qu’un tribunal international devait être la seule instance habilitée à se prononcer en la matière? La réponse ne paraît pas évidente, car il n'est pas bon non plus que "notre leader soit jugé par des étrangers." Aussi le droit international progresse-t-il dans ce secteur selon la méthode des essais et des erreurs.

Doit-on en conclure qu’une personne telle que Saddam Hussein devrait mourir de sa belle mort? Ou s’agit-il seulement du fait que la peine capitale n’a vraiment rien à voir avec la justice?

 

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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