Les commentateurs de RIA Novosti décrivent leurs impressions personnelles les plus mémorables de l’année qui s’achève

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2011 est pour moi l’année de l’Europe. Et c’est naturel: durant toute l’année le Vieux Continent n’a pas cessé de nous surprendre et de nous effrayer.

 

2011 est pour moi l’année de l’Europe. Et c’est naturel: durant toute l’année le Vieux Continent n’a pas cessé de nous surprendre et de nous effrayer. Il nous a fait peur en plaçant le monde au bord d’une nouvelle crise et il nous a surpris en montrant la facilité avec laquelle des dogmes qui constituent le fondement de la société peuvent s’effondrer.

Il y a un an seulement, l’unité de la zone euro, ainsi que l’irréversibilité du multiculturalisme et de l’économie postindustrielle paraissaient des axiomes que seuls des marginaux pouvaient remettre en question. Aujourd’hui ces sujets sont vivement débattus. Qu’en sera-t-il demain?

La révision des notions de base provoque toujours des conflits, et je suis persuadé qu’en 2012 le Vieux Continent continuera de nous surprendre et de nous faire peur.

Le reniement de la dialectique

Aujourd’hui, beaucoup d’hommes politiques et d’experts reconnaissent que la création de la zone euro n’avait aucun fondement économique. Cette thèse est, certes, controversée mais, selon certaines estimations, la création d’une monnaie et d’un espace économique communs n’a pas stimulé le développement industriel et la croissance économique de l’Europe. En revanche, ces mesures ont contribué à une redistribution des flux financiers au profit des banques françaises et allemandes, ont fourni des avantages concurrentiels aux entreprises allemandes et ont, en fait, porté le coup de grâce à l’industrie des Etats périphériques de la zone euro. Les forts se devenus plus forts et les faibles - plus faibles.

En guise de récompense, il a été permis aux parents pauvres de vivre au-dessus de leurs moyens. Grâce aux crédits et aux subventions de l’Union européenne, l’augmentation du niveau de vie des pays pauvres dépassait largement le développement de leurs économies. Ainsi, la Grèce, au seuil de la cessation de payements, avec un PIB par habitant de 25% seulement inférieur à celui de la prospère Allemagne.

Alors que les économistes continuent de s’interroger sur l’utilité de l'Europe unifiée, les hommes politiques avancent les arguments suivants: l’unification du continent était nécessaire pour éviter la réitération des horreurs de la Seconde guerre mondiale. Le monde, à la veille du conflit, était excessivement conflictuel, trop de pays à la fois revendiquaient le rôle de centre de force, cette confrontation ne pouvait que mal tourner. Selon eux, ce n’est qu’en unifiant tous les pays avec leurs habitants et en les mélangeant bien que l’on peut faire disparaître les contradictions. Comment peut-on faire la guerre en l’absence de frontières et avec une population tout entière professant les mêmes valeurs? Cette approche était également du goût des entreprises multinationales rêvant d’un consommateur universel.

Toutefois, la première tentative d’unifier l’Europe remonte à la veille de la Première guerre mondiale. Le Vieux Continent était en train de mettre en place une sorte de marché commun et des frontières transparentes, et les hommes politiques assuraient que gouvernée par des gentlemen, l’Europe ne risquait plus une grande guerre. Ils avaient tort.

La leçon de l’histoire a été mal assimilée. Tout comme celle de la philosophie: la logique du développement de la civilisation européenne avait toujours été basée sur un conflit, entre des civilisations et même au sein de chacune d’elles. Le continent a toujours été un nœud de contradictions: des centres d’influence, des Etats et des doctrines s’opposant, voire se reniant, constituaient la locomotive du progrès. La lutte et l'unité des contraires est l’une des lois du développement dialectique.

La grande expérience européenne de la charnière du XXe et XXIe siècle consiste justement à tenter de renoncer au développement basé sur les contraires dialectiques.

Le cours du politiquement correct du capitaine Beatty

Quels sont des dangers de cette approche? Rappelons que le rejet de la dialectique était à la base des modèles les plus perfectionnés des régimes totalitaires. Le XXe et le début du XXIe siècle sont riches en œuvres effrayant le bourgeois par des perspectives lugubres d’une société totalitaire. Il suffit de rappeler les contre-utopies de Evgueni Zamiatine, George Orwell et Ray Bradbury.

Certes, la majorité des contre-utopies avec leurs Big Brothers, leurs Pères et leurs Premiers consuls ont actuellement l’air trop primitives. Pratiquement aucun auteur ne s’est donné la peine d’esquisser un modèle sérieux de l’avenir. Au lieu de cela, ils prenaient des modèles existants, les dotaient de traits grotesques et les situaient 50 ou 100 ans en avant. Le Big Brother d’Orwell, un homme entre les deux âges avec une moustache noire, n’est rien d’autre qu’une allusion claire à Staline et Hitler. C’est bien connu.

Ray Bradbury se démarque des autres auteurs par son Fahrenheit 451 où il ne décrit pas un régime stalinien, franquiste, hitlérien ou maoïste réduit ad absurdum mais dépeint un phénomène complètement différent: une société de consommation idéale. La population aisée n’y vit pas dans des baraquements totalitaires mais dans des maisons intelligentes qui pouponnent leurs habitants. Ces derniers ne vont pas travailler en marchant au pas mais se rendent dans leurs bureaux à bord de leurs véhicules volants. Qui plus est, c’est une société où le politiquement correct a triomphé.

Il suffit de rappeler le discours du chef des pompiers, le capitaine Beatty, devant ses subordonnés: "Penchons-nous sur la question des petits groupes existant au sein de notre civilisation… Prenez garde à ne pas froisser l’un d’eux: les amateurs de chats et de chiens, les médecins, les avocats, les commerçants, les dirigeants, les mormons, les baptistes, les unitaristes, les descendants d’émigrés chinois, suédois, italiens et allemands, les Texans, les habitants de Brooklyn, les Irlandais, les habitants de l’Etat d’Oregon ou de Mexico."

Défense d’attiser quelque haine que ce soit. Mais comment tout surveiller? Même après une centaine de relectures d’un livre à la recherche du politiquement incorrect, on laisse quand même passer une remarque que quelqu’un trouvera insultante.

A titre d’exemple, l’auteur de la saga Harry Potter pour enfants a été accusée d’antisémitisme dissimulé. Quelle est la solution? Elle est bien simple: "Les personnes de couleur n’apprécient pas l’Histoire du petit nègre Sambo (un livre pour enfants de Helen Bannerman – ndlr). Brûler-le. Les blancs n’aiment pas La Case de l'oncle Tom? Au four!", résume philosophiquement le capitaine Beatty.

Et pourquoi ne pas appliquer le même principe à la vie économique et politique? L’industrie porte atteinte à l’environnement et génère des frictions sociales? Eliminons-là. Délocalisons-là vers l’Asie! Des Etats entrent en conflit à cause de leurs frontières? Effaçons les frontières! Les pays se dépeuplent? Faisons venir des immigrés! Et pour éviter des conflits, supprimons les civilisations et les ethnies et renonçons aux cultures dominantes.

"Nous devons tous être identiques", enseignait le capitaine Beatty. Consommer, se divertir, regarder la télé: les maisons du futur comprennent une pièce spéciale équipée de murs-écrans interactives. Tout, pour éviter de penser. Et d’entrer en conflit. Il s’agit de supprimer le développement par la lutte et de supprimer la dialectique.

Et le plus important: cela ne nécessite aucune ingérence des supérieurs, aucune supervision de Big Brothers ou de Recteurs Grammatons de l'ordre des Tetra-Grammatons (du film américain Equilibrium). Le consommateur idéal ne cherche pas de conflits, il fuit des pensées provocatrices. En fin de compte, il n’a même pas besoin de progrès. Il lui faut des soldes et des gadgets. "La consommation de masse et une pression de la part de ces petits groupes, voilà ce qui a conduit, Dieu merci, à la situation actuelle", conclut son discours prophétique le capitaine Beatty.

L'aube après le crépuscule

Le capitaine astucieux n’a pas entièrement tort: la paix est préférable à la guerre. Mais, comme la réalité l’a démontré, balayer un problème sous le tapis n’équivaut pas à le résoudre. Et si un parti rejette le développement par la lutte, cela ne signifie pas que l’autre parti en fera autan.

La société idéale décrite par Bradbury s’est consumée dans les flammes d’une guerre nucléaire. Apparemment, le gouvernement avait stimulé l’économie en lui passant des commandes militaires. Nous en sommes loin, Dieu merci, mais la méthode de balayage de problèmes sous le tapis démontre de plus en plus ses tares. La délocalisation des industries européennes n’a pas résolu les problèmes écologiques mais les a seulement translatés pour un certain temps à l’autre bout du monde.

La volonté des multinationales de se débarrasser des conflits sociaux et d’augmenter leurs bénéfices s’est traduite quelques décennies plus tard par une crise dont les économistes n’arrivent pas à évaluer toutes les conséquences.

Enfin, l’abandon d’une culture dominante au profit de la création d’un consommateur idéal a conduit à une sorte de renaissance archaïque en Europe: le vide culturel a commencé à se remplir avec des mythes archaïques de nature ethnique et confessionnelle. Au XXIe siècle, le Vieux Continent est en train de vivre la réapparition d’une culture clanique moyenâgeuse.

Le plus terrible, c’est qu’on n’a pas de réponses acceptables à ces défis. Les fonctionnaires européens cherchent à résoudre la crise de la dette en injectant de l’argent dans l’économie tout en se rendent compte que ce n’est pas une solution mais seulement une façon de reporter la résolution du problème. Probablement, le fait est que le démarrage d’une crise à part entière est tout simplement la seule issue (selon certains économistes).

Les chefs d’Etats des principaux pays européens annoncent l’échec du multiculturalisme mais les sociologues avertissent que les processus migratoires ont progressé à un point tel qu’il n’y a probablement pas de solution politiquement correcte de ce problème. Bref, l’année 2012 promet d’être réellement passionnante.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

 

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