Un an après Fukushima: Minamisoma, ville martyre (REPORTAGE)

© RIA Novosti . Ksenia NakaJapon: un an après Fukushima
Japon: un an après Fukushima - Sputnik Afrique
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"On dit que les radiations sont une chose effrayante. Moi, je dirais qu’il est effrayant de voir une ville morte, lorsqu’on n’aperçoit aucune lumière aux fenêtres, lorsqu’il n’y a personne dans la rue, aussi bien durant la journée que pendant la nuit, seulement des chats et des chiens.

"On dit que les radiations sont une chose effrayante. Moi, je dirais qu’il est effrayant de voir une ville morte, lorsqu’on n’aperçoit aucune lumière aux fenêtres, lorsqu’il n’y a personne dans la rue, aussi bien durant la journée que pendant la nuit, seulement des chats et des chiens. Ça, c’est vraiment épouvantable", une Japonaise âgée sert ses mains contre sa poitrine et croise convulsivement ses doigts. Ses yeux sont complètement secs.

Cette femme habite dans la ville de Minamisoma, dans la préfecture de Fukushima.

La neige est tombée pendant la nuit dans la ville. Il y a du soleil, mais les flocons de neige légers et doux continuent à planer dans l’air. Dans la cour d’un hôtel familial un garçon secoue la neige sur les branches de bambou.

Sa mère le surveille avec inquiétude par la fenêtre. Tout le monde sait ici : si le ciel est dégagé et la neige tombe, elle ne vient pas du ciel mais des montagnes. Il y a des radiations dans les montagnes. On est à Minamisoma.

Les volets des magasins et des cafés sont fermés. C’est un jour férié, mais il n’y a pas de passants dans les rues. Seulement des voitures. Depuis presqu’un an les gens se rendent en voiture dans le magasin le plus proche. Le régime de "confinement à domicile", lorsqu’il a été ordonné à tout le monde de ne pas sortir dans la rue qu’en cas de nécessité, de ne pas laisser sortir les enfants et ne pas utiliser l’air conditionné, a été levé seulement en automne. On est à Minamisoma.

Le passé et le présent

Il y a exactement un an, en mars 2011, près d’un tiers de la ville au sud s’est retrouvé dans la zone d’exclusion de 20 km autour de la centrale nucléaire accidentée de Fukushima, et un autre dans la zone de 20 et 30 km, baptisée par le gouvernement "zone prête à l’évacuation en cas d’incident". C’est ici que se trouve le centre administratif de Minamisoma.

Minamisoma est une municipalité ayant le statut de ville. Elle est apparue il y a seulement quelques années après la réunion de trois grands villages.

Même dans le centre-ville il y a peu de bâtiments de plus de deux étages : 2-3 hôtels, la mairie et le palais de la culture. Pour le reste, ce ne sont que des maisons particulières de 1-2 étages. Le voyage jusqu’ici en bus ressemble à une excursion dans une lointaine province russe : de rares lampadaires et feux tricolores, l’obscurité totale à droite et à gauche, seuls quelques lumières falotes tremblent au loin. Si le bus ne circulait pas à gauche de la chaussée, et en l’absence des panneaux avec des caractères japonais et les gants blancs du chauffeur, on se serait cru dans la Russie profonde.

Jusqu’en mars 2011, le Japon, qui plus est le reste du monde, ignorait l’existence de Minamisoma. Si à l’époque on avait dit aux habitants de la municipalité, qui vivent principalement d’agriculture et de pêche, que le nom de leur village deviendrait connu à travers tout le Japon et que des journalistes et des scientifiques étrangers s’y rendraient, personne ne l’aurait cru. Comme ils n’auraient pas cru qu’on y couperait des arbres, que peu d’enfants resteraient dans le village et que le nombre d’habitants serait divisé par deux.

La vie près de la zone d’exclusion

"Se promener? On part se balader en voiture le week-end. Au nord, dans la préfecture voisine.

On n’a pas le choix. Au sud se trouve la zone d’exclusion, dans les montagnes il y a les radiations, à l’est tout a été détruit par le tsunami. On interdit aux enfants de s’y promener. Les adultes jouent au football à Fukushima. Si on est incapable d’évacuer les enfants, on doit au moins réduire au minimum leur contact avec l’environnement nocif", déclare un père de deux enfants.

Le taux moyen de radiation à Minamisoma est de 0,4 microsievert par heure. Sur 365 jours, c'est légèrement supérieur à la norme inoffensive annuelle de 1 millisievert Mais la radiation s’accumule, et on ignore quel taux de radiation recèlent les bacs à sable et chaque mètre carré de pelouse.

On ignore combien de fois un enfant devra passer une radio ou effectuer un long trajet en avion. D’autant plus, que le taux moyen varie entre 0,2 et 2 microsieverts par heure.

"Il y a la crainte. Et il y a la responsabilité. De toute façon il est impossible de mesurer chaque mètre. On est responsable de leur vie et de leur santé. Je ne peux pas laisser calmement les enfants se promener si je n'ai pas l'assurance qu’il ne reste pas de points chauds", déclare Miki Sekine, mère de deux garçons.

"On s’est récemment rendu au nord, dans un parc. Il y a un grand bac à sable. Mon fils aîné de trois ans et demi apprenait à son petit frère de bientôt deux ans à jouer dans le sable. Vous comprenez? Il ne sait pas s’amuser dans un bac à sable, car il ignore ce qu’est le sable. Lorsque l’accident s’est produit, il ne savait pas encore marcher. Après l’accident, on ne se promenait plus dans le parc", ajoute-t-elle.

Des arbres ou des branches ont dû être sciés dans beaucoup de parcs de la préfecture de Fukushima, car ils avaient accumulé une concentration élevée de radiation.

"Il me semblait que je m’étais résignée aux changements survenus dans ma vie après l’accident. Mais ça m'a fait tellement mal lorsque les sakuras  ont été abattus dans notre parc! On allait les admirer en famille. Et on ne peut plus voir les jaunes feuilles de l’allée des ginkgos en automne : ils ont également été coupés", a écrit une habitante de la ville en réponse aux actions de l’administration "Minamisoma : la mémoire et les annales".

"Professeur, les animaux ressentent-ils les radiations?, a demandé un paysan à un célèbre enseignant de Tokyo lors d’une conférence à Minamisoma sur l’avenir de la ville à la mi-février. J’ai des arbres avec des kakis et des clémentines dans le jardin. Ma maison est dans les montagnes. Avant, les singes arrachaient sans répit tous les fruits. Mais cette année ils ne viennent plus. Pourquoi, professeur? ". C'est la première fois qu'il en entendait parler.

"On apprend à vivre avec et près des radiations. Jusqu’à ce que chaque mètre carré soit nettoyé. Aujourd’hui, on paye très peu pour l’eau : on utilise l’eau du robinet seulement pour laver le linge et faire le ménage. Pour tout le reste, le thé, les soupes, la nourriture, j'utilise de l’eau minérale en bouteilles. J’y lave même le riz. Depuis bientôt un an on n'étend pas le linge à sécher dehors, même pendant les jours ensoleillés. Mais on n’a pas le choix. Mon bébé n’a que quelques mois, et c’est moi qui en suis responsable, et non pas TEPCO ou le gouvernement" , déclare une jeune mère avec un nourrisson dans les bras.

Le temps d’attente est épuisé

"Le temps où l’on pouvait attendre quelque chose de la part du gouvernement ou de TEPCO est épuisé. Nous devons agir nous-mêmes si nous voulons que la ville continue à vivre", déclare Yoshiyuki Kondo. Il occupe le poste de directeur d’une école maternelle et il a créé un groupe qui, armé de connaissances et de moyens techniques, procède lui-même à la décontamination.

"70% des enfants ne sont toujours pas revenus dans notre école. Une ville où il n’y pas d’enfants et de jeunes mères n’est pas une ville. La réhabilitation signifie le retour des enfants. Il faut faire en sorte qu’il ne soit pas dangereux d’élever des enfants à Minamisoma, et nous pouvons nous-mêmes le faire mieux et plus rapidement", explique M. Kondo.

"Pourquoi 30% des enfants sont revenus, pourquoi leurs parents ne sont pas partis avec eux? Généralement, ce sont des enfants, dont les parents sont médecins, enseignants ou soignants dans les maisons de retraite. C’est leur mission et ils ne peuvent pas partir. Ou ce sont des familles qui ne veulent pas vivre séparément : le père ici, et la mère avec les enfants dans une autre ville. Bien qu’il y ait beaucoup de telles familles", poursuit-il.

L’école maternelle de M. Kondo a été montrée à la télévision pendant plusieurs mois – le taux de radiation y était supérieur à 2 microsieverts par heure. Avec les parents, le directeur a nettoyé mètre après mètre tout le territoire de l’école.

"Aujourd’hui, nous avons 0,2 microsieverts, ce qui est inférieur à la norme", déclare-t-il fièrement.

"On nous invite dans les maisons ou nous proposons nous-mêmes nos services. Evidemment, c’est gratuit. Au lieu d’argent, nous demandons qu'on nous aide : lorsqu’on on nettoie soi-même sa maison, c'est plus convaincant que les paroles et les vérifications d’un dosimètre. L’administration municipale n’a toujours pas lancé la décontamination à grande échelle. D’autant plus qu’elle s’apprête à commencer par les montagnes. Ce n’est pas juste. Il y a très peu de gens, les conditions sont difficiles et le taux de radiation est élevé. Il faut commencer par les endroits où il y a des enfants, car ils n’attendent pas et grandissent", affirme M. Kondo. Il ne s’agit pas seulement des mesures de radiation, mais les gens doivent être tranquilles pour leurs enfants".

Après avoir marqué une pause, il a ajouté : "Je ne veux pas que cette ville meure. Désormais, tout dépend de nous".

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