Freedom House réussira-t-il à renverser le gouvernement égyptien?

S'abonner
Le week-end dernier le processus de dissolution du gouvernement a été lancé en Egypte, après le vote de défiance de la chambre basse du parlement égyptien.

Le week-end dernier le processus de dissolution du gouvernement a été lancé en Egypte, après le vote de défiance de la chambre basse du parlement égyptien. La cause (le prétexte ou le mécanisme de déclenchement), ce sont les Américains, plus précisément les organisations non gouvernementales américaines qui ont travaillé ou travaillent encore dans le pays. Des scandales autour de ces ONG ont déjà éclaté partout dans le monde, mais aucun gouvernement n’avait encore été renversé suite à de tels esclandres. Et le plus intéressant (pour l’instant) dans cette histoire est la réaction des Etats-Unis aux événements.

L’Egypte garde les cautions en souvenir

L’histoire a commencé en octobre 2011 et se limitait jusqu’au week-end dernier au fait que le gouvernement égyptien postrévolutionnaire avait commencé à s’intéresser au rôle joué par les ONG américaines et étrangères en général dans la révolution égyptienne de 2011. Les accusations étaient jusque-là présentées comme une violation des lois égyptiennes portant sur le financement et le fonctionnement des ONG, mais en fait on soupçonnait que les manifestations de masse en début d’année (qui ont renversé le régime en Egypte), ainsi qu’en automne dernier (contre le nouveau régime) étaient encouragées par des organisations américaines, dont formellement le but ne consistait qu’à développer la société civile à travers le monde.

En décembre 2011 (lorsque des manifestations ont été organisées pour des raisons quelconques pratiquement partout dans le monde), les autorités égyptiennes ont effectué des descentes dans les QG des ONG, saisissant les ordinateurs et les documents, et appréhendant 43 personnes, dont 19 citoyens américains. Ils ont été assignés à résidence, puis ils se sont réfugiés pendant un certain temps à l’ambassade américaine…

Le scandale a éclaté car le bureau du procureur egyptien avait, en fait, levé l’assignation à résidence en permettant ainsi aux citoyens américains de quitter le pays moyennant une caution de 300.000 dollars laissée aux Egyptiens en souvenir. Les autres se sont retrouvés sur le banc des accusés, ce qui donne une idée du mécontentement des juges, et pas seulement.

Laissons les Arabes aux arabisants

Ce qui se passe en réalité en Egypte, comme d’ailleurs dans d’autres pays victimes du printemps arabe, est un problème complexe. Pour y répondre, il existe des arabisants qui traversent une période difficile, car les Arabes eux-mêmes ne comprennent pas le sens des événements. Une chose est sûre: ceux qui ont initié les révolutions (c’est-à-dire la strate inférieure de la classe moyenne urbaine appuyée par les réseaux sociaux, et les intellectuels libéraux) n’ont pas du tout réussi à obtenir dans les pays révolutionnaires le "renversement des tyrans" qu’ils attendaient.

Toutefois, en général c’est toujours le cas – les premiers commencent la révolution, les deuxièmes la poursuivent et les troisièmes la terminent. La question est plutôt de savoir dans quelle mesure les forces extérieures, dont une est actuellement sur le banc des accusés en Egypte, ont participé à tous ces événements. Et quelles sont ces forces.

Il existe plusieurs versions. La première, classique, suggère que l’Occident, notamment les Etats-Unis sont responsables, comme d’habitude. Ils seraient responsables directement (en organisant le renversement des régimes, notons-le, tout à fait proaméricains et prooccidentaux de Tunisie et d'Egypte) ou indirectement en déclenchant le processus puis en lui laissant libre cours. Il y a une autre version, qui devient de plus en plus plausible, à savoir que des forces complètement différentes, c’est-à-dire les monarchies conservatrices du Golfe, ont commencé à frapper l’Occident en utilisant ses armes et en organisant leur propre révolution de couleur (impliquant le conflit armé) dans certains pays arabes en butant seulement en Syrie. On pourrait supposer qu’en réalité tous ces processus se sont déroulés en même temps sous la forme d’un chaos et sont loin d’être terminés.

Bref, laissons les Arabes aux arabisants. Pour l’instant, la réaction aux événements (notamment en Egypte) des Américains est bien plus intéressante.

Cherchez la femme

Un vrai journal est un journal qui ne se transforme pas en un torchon de propagande d’une idée, mais organise dans ses pages une discussion pour le plaisir des lecteurs. Depuis l’année dernière, les principaux figurants du scandale autour des ONG, les Egyptiens et les Américains, débattent sur les pages du Washington Post. Par les Américains, on sous-entend avant tout la principale victime, David Kramer, président de Freedom House (Maison de la liberté).

Cette organisation est un cas particulier. Dès qu’un scandale concernant l’incitation de la "société civile" à une "révolution de couleur" éclate quelque part, Freedom House devient la cible numéro 1. C’est un cas classique: Freedom House est financé à 66-80% par les subventions gouvernementales, principalement via le département d’Etat américain. Sans parler du fait que cette "Maison de la liberté" a été dirigée par les directeurs de la CIA à la retraite, et ainsi de suite.

En fait, dans beaucoup de cas internationaux des organisations créées ex nihilo travaillaient de manière bien plus efficaces, mais Freedom House, qui est une vache sacrée du mouvement international des défenseurs des droits de l’homme, a été créée par Roosevelt en 1941, alors on ne va quand même pas la fermer.

Alors voici les arguments du président de Freedom House en décembre, immédiatement après le raid sur les ONG: la révolution en Egypte a eu lieu en raison de la violation des droits de l’homme par Moubarak, la falsification des résultats des élections, etc. Les militaires égyptiens ont volé la révolution et poursuivent l’œuvre de Moubarak. Les Etats-Unis ne doivent pas financer un tel régime. Les militaires et les autres autorités égyptiennes doivent autoriser les bureaux des ONG à rouvrir leurs portes, etc. (En ce qui concerne le financement américain de l’Egypte, il s’agit tout de même d’une somme avoisinant 1,3-1,5 milliard de dollars d’aide militaire et autre.)

La particularité de ce premier article – Kramer a trouvé son principal ennemi, une femme, Fayza Aboul Naga. Il s’agit de la ministre égyptienne de la Coopération internationale et elle serait derrière toute l’histoire du raid sur les ONG. Fayza a écrit dans le même quotidien une réponse qui se résume ainsi: L’Egypte ne sera plus jamais la même, elle subit de profonds changements; l’activité des ONG étrangères qui n’étaient même pas enregistrées était peut-être une chose admissible à l’époque de Moubarak, mais plus aujourd’hui; personne ne s’en prend aux 35.000 ONG égyptiennes et 83 ONG étrangères "normales"; après le début de la révolution les Etats-Unis ont significativement et ouvertement augmenté le financement de certaines ONG américaines, et le peuple égyptien ne l’a pas apprécié.

La réponse de Kramer publiée le 11 mars (c’est-à-dire après le départ des accusés américains) se distingue fortement par le ton du premier article. Il n’exige plus mais se défend. A peu près de cette manière: Fayza est une femme du passé, elle a travaillé pendant 10 ans dans l’administration de Moubarak, c’est une première chose. Selon la législation de l’Egypte, en l’absence d’un refus 60 jours après la notification de l’ouverture d’une ONG, l’autorisation est automatique, et Moubarak ne s’y opposait pas, c’est une deuxième chose.

Et aujourd’hui, le parlement égyptien a dit son mot. Il n’a rien à voir avec le passé, c’est un résultat direct des élections qui se sont terminées seulement en janvier, et il est composé à près de 60% de Frères musulmans et d'islamistes loin d’être modérés. Le parlement voudrait (ce n’est pas encore gagné) dissoudre le gouvernement parce qu’il a permis aux accusés américains de quitter le territoire. Et le gouvernement égyptien (ainsi que, dans une certaine mesure, les militaires) cherchait probablement à éviter ainsi sa dissolution, mais quelqu’un a décidé qu’il valait mieux laisser repartir les accusés chez eux. Autrement dit, aujourd’hui en Egypte les Etats-Unis ont avantage à punir tous ceux qui ont joué un rôle dans les événements de l’année dernière ou à laisser tomber. Et le reste ce ne sont que des détails.

Si depuis votre enfance vous n’aimez pas les Etats-Unis, vous pouvez vous réjouir concernant les événements actuels en Egypte. Mais il est bien plus intéressant de réfléchir à ce que la politique étrangère américaine inhabituellement calme à l’heure actuelle fera par la suite au Moyen-Orient. Continuera-t-elle à contribuer à son islamisation, par exemple, en Syrie (pour ne pas se brouiller avec les nouveaux patrons de la région, les monarchies du Golfe) ou se retirera-t-elle et attendra, ou encore autre chose.

Et pendant ce temps les "architectes" de la société civile en Egypte, le personnel des ONG qui n’a pas réussi à fuir à temps, pourraient être condamnés non pas pour "infraction des règles de financement", mais pour haute trahison. Le tribunal siégera encore longtemps.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

 

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала