Russie: pas d'armes à feu pour les Russes dit l'État-nounou

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En décembre 1917, deux semaines après leur avènement au pouvoir, les bolcheviks ont lancé une campagne de confiscation de toutes les armes à feu possédées par les Russes. Et ils ne les leur ont jamais rendues.

En décembre 1917, deux semaines après leur avènement au pouvoir, les bolcheviks ont lancé une campagne de confiscation de toutes les armes à feu possédées par les Russes. Et ils ne les leur ont jamais rendues.

Cette habitude paraît tenace: la législation russe restrictive en matière d'armes à feu n'a jamais été sérieusement libéralisée au cours des cent dernières années malgré de fréquents appels à cet effet, dont le dernier émanait la semaine dernière d'un sénateur (membre de la chambre haute du parlement Russe, le Conseil de la Fédération – ndlr) pro-gouvernemental.

Les adversaires de la vente libre d'armes à feu redoutent la population russe trop émotionnelle et prédisent des carnages, ainsi qu'une hausse du nombre de meurtres.

Mais certains sceptiques déclarent que la vraie raison pour laquelle le Kremlin refuse aux Russes le droit d'acquérir des armes à feu réside dans la crainte que les citoyens armés ne retournent leurs armes contre la bureaucratie nationale notoirement corrompue.

"Ils se mettront à massacrer les fonctionnaires", a déclaré Mikhaïl Pachkine, président du syndicat de police de Moscou.

"Les pertes humaines dues aux purges perpétrées par le peuple pourraient s'élever à plusieurs millions de personnes, ce qui est beaucoup trop pour la Russie souffrant d'une crise démographique", prédit M. Pachkine dans un accès d'humour noir policier pince-sans-rire. Quelques 14.000 meurtres et tentatives de meurtre ont été perpétrés en 2011 en Russie, d'après le ministère russe de l'Intérieur.

Souriez et portez un pistolet

La discussion sur le contrôle des armes à feu en Russie s'est ranimée après que le sénateur Alexandre Torchine, membre du parti au pouvoir Russie unie, avait proposé la semaine dernière de légaliser la vente de pistolets aux citoyens.

Dans son rapport présenté au Conseil de la Fédération, M. Torchine a cité l'exemple de l'ex-république soviétique de Moldavie, où, après l'instauration de la vente libre de pistolets en 1995, le taux de meurtres a chuté de 20%.

Six millions d'unités d'armes à feu appartiennent déjà à des particuliers en Russie, a déclaré M. Torchine. Mais la plupart d'entre elles sont des armes de chasse qui ne sont pas adaptées au port dissimulé et ne sont pas de ce fait un moyen pratique de légitime défense, a t-il dit.

Les pistolets "rendront notre société meilleure", a déclaré la semaine dernière, selon les médias, le sénateur Torchine, "Regardez l'Amérique, tout le monde sourit là-bas."

M. Torchine a proposé d'organiser un référendum sur cette question, mais le Kremlin n'a pas tardé à tempérer son ardeur.

"[L'initiative] n'a pas été discutée et est seulement en cours d'élaboration à un échelon inférieur, et la question n'est pas aujourd'hui à l'ordre du jour", a déclaré la semaine dernière, selon le quotidien Izvestia, le porte-parole du président russe, Dmitri Peskov.

L'initiative avait de toute façon peu de chance d'aboutir: le sondage le plus récent, organisé l'année dernière par l'institut de sondage indépendant Centre Levada, a montré que 80% des Russes étaient hostiles à la vente libre des armes à feu, alors que seulement 13% se sont prononcés en faveur de cette idée, et 6% se sont déclarés indécis. 1.600 personnes ont participé au sondage dans le pays tout entier, et la marge d'erreur est estimée à 3,4%.

L'initiative du sénateur Torshin lui a probablement été suggérée par des lobbyistes de l'industrie des armes à feu qui cherchent à exploiter un marché prometteur avec l'aide des législateurs, a déclaré Alexei Moukhine du Centre d'information politique.

Il y a près de 11 millions d'acheteurs potentiels en Russie qui pourraient se permettre d'avoir une arme à feu, ce qui pourrait aboutir à la création d'ici cinq ans d'une industrie se prévalant d'un chiffre d'affaires de 1.000 milliards de roubles (près de 25 milliards de dollars), déclare dans son rapport le sénateur Torshin.

L'Etat tyrannique

Lorsque le deuxième amendement à la Constitution américaine a accordé dès 1791 aux Américains le droit de porter des armes, le but était de leur permettre de se protéger contre la "tyrannie du gouvernement", et non pas contre les bandits de grand chemin, selon Thomas Jefferson, un des auteurs de l'amendement.

Aucun militant de l'opposition russe n'a eu l'audace de déclarer ouvertement que l'opposition avait besoin d'armes pour mettre au pas le régime extrêmement fustigé du président russe Vladimir Poutine, même après que le Kremlin avait intensifié au cours des derniers mois la répression de l'opposition politique, suite à la série de manifestations de masse à Moscou qui ont finalement débouché sur les émeutes de la place Bolotnaya en mai dernier. La police a perquisitionné les domiciles des ténors de l'opposition et a inculpé, apparemment au hasard, une douzaine de participants aux émeutes.

Cependant, de nombreux détracteurs de Vladimir Poutine préconisent une libéralisation de la législation russe sur les armes à feu, y compris le célèbre blogueur anti-corruption russe, l'avocat Alexei Navalny, adversaire politique numéro un du Kremlin qui a fait dès 2007 campagne pour la vente libre de pistolets aux citoyens.

"Auparavant je plaidais en faveur d'un contrôle strict de la circulation des armes à feu, mais aujourd'hui mon opinion change", a déclaré Guennadi Goudkov, député de la Douma (chambre basse du parlement russe) appartenant au parti d'opposition Russie juste et ancien colonel du KGB.

"J'estime que de cette façon le gouvernement sera enfin contraint de commencer à montrer un certain respect pour les citoyens", a déclaré M. Goudkov, co-organisateur des récentes manifestations de masse.

"J'ai l'impression que selon les législateurs se serait une honte si quelqu'un d'autre, hormis eux, possédait des armes", a convenu Rafaïl Rouditski, membre du conseil fédéral de l'Union civile des armes, un groupe civil se prononçant en faveur des armes à feu et qui a contribué à rédiger le rapport du sénateur Torchine.

La récente série de lois émanant du Kremlin a conféré à l'Etat russe des moyens supplémentaires pour enrayer la plupart des formes d'activités civiles, y compris les organisations non gouvernementales, des rassemblements publics non autorisés, ainsi que l'usage d'Internet, principale tribune de critique du gouvernement. Des revirements législatifs radicaux, tels que la vente libre d'armes à feu, sont irréalisables dans ce contexte politique, selon les experts.

Quoi qu'il en soit, et Rouditski et Goudkov ont insisté sur le fait que les pistolets n'étaient nécessaires que pour permettre aux particuliers de se protéger contre les criminels - même si le taux de criminalité est en baisse depuis 2007 en Russie, selon le ministère russe de l'Intérieur.

M. Mukhin du Centre d'information politique a également nié que les restrictions concernant les armes à feu revêtaient un caractère politique, les qualifiant de "bon sens pur et simple."

Le "gouvernement tyrannique" mentionné dans le deuxième amendement visait la Grande-Bretagne, une puissance étrangère qui menaçait l'existence même de l'Etat américain nouveau-né: la Russie ne court clairement pas ce genre de danger, déclare M. Mukhin.

Par ailleurs, le pays risque de détériorer l'ordre public en rendant les pistolets accessibles à des millions de Russes émotionnellement instables et ne possédant aucune culture liée aux armes à feu mais lestés en revanche de nombreux griefs qui n'attendent que d'éclater au grand jour, a-t-il déclaré.

L'ennemi est à l'intérieur

Les armes à feu ne représentent pas nécessairement un risque politique, a déclaré M. Rouditski. Il a souligné que pendant les émeutes en Moldavie consécutives aux élections parlementaires contestées de 2009 la foule a pris d'assaut des bâtiments publics mais pas un seul coup de feu n'a été tiré, malgré le fait qu'une grande partie de la population locale possède des pistolets.

Toutefois, les choses sont différentes dans les républiques russes du Caucase du Nord, telles que le Daghestan et la Tchétchénie, où la plupart des habitants détiennent déjà des armes à feu, quoique illégalement. Cela ne conduit pas à de fréquents échanges de tirs entre les citoyens ordinaires, mais cette possession généralisée d'armes fait que la police subit en permanence des attaques que l'on attribue avant tout aux combattants islamistes irréductibles.

La fréquence des attentats terroristes au Daghestan a augmenté de 50% par rapport à 2011 avec 103 meurtres et des centaines d'agressions commises par des extrémistes, selon les statistiques policières régionales de février, les dernières statistiques disponibles.

"Un policier peut se faire tuer là-bas pour une arrestation illégale," a déclaré M. Pachkine.

Des cas similaires se manifestent déjà à travers toute la Russie, le plus célèbre étant celui des "guérilleros du Primorie" qui faisaient la chasse aux policiers considérés comme corrompus dans l'Extrême-Orient russe en 2010, faisant deux morts et plusieurs blessés. Quatre membres de la bande sont actuellement jugés à Vladivostok.

Les "guérilleros" - qui se sont assuré la sympathie de 47% des Russes, selon un sondage réalisé par le Centre Levada en 2010 – ont surtout utilisé des fusils de chasse et non pas des pistolets. Toutefois, en juin, un retraité originaire de Tchétchénie a utilisé un pistolet pour tuer un chef de district dans la région de Volgograd qui aurait créé des obstacles au fonctionnement de son entreprise. Le retraité s'est ensuite rendu aux autorités.

"La politique joue un rôle secondaire dans cette question," a déclaré M. Rouditski en évoquant la vente de pistolets. "Mais que m'importe si un criminel porte des haillons ou un uniforme de police?"

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

 

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